Occupations d’entreprises
Par André Henry le Mercredi, 17 Juillet 2002 PDF Imprimer Envoyer

Un certain regain de combativité ouvrière se manifeste avec à la clé des occupations d'entreprises. Par exemple à Mouscron chez De Poortere et Dessaux. A Liège il y eut Alstom il y a peu. A Glaverbel-Seneffe les travailleurs en grève occupent l'entreprise depuis le 19 septembre pour la défense des libertés syndicales. Cette forme de combat doit attirer toute notre attention.

L'occupation d'entreprise a plusieurs avantages, notamment celui d'empêcher les «jaunes» de travailler et de saboter la grève. Elle permet également d'échapper aux pressions du milieu social et familial, à l'individualisme et à l'égoïsme de l’idéologie bourgeoise. L'occupation d'entreprise demande une structuration spéciale du combat, telle que l'élection d'un comité de grève car cette forme de combat demande la participation maximale des travailleurs.

La défaite d'une grève avec occupation peut avoir des implications beaucoup plus graves qu'une défaite d'une grève «normale». Ce qu'il faut bien comprendre dans le cas d'une occupation d'usine, c'est l'enjeu politique qui se pose, à savoir l'imposition du pouvoir des ouvriers face à celui des patrons capitalistes.

Lors d'une occupation, les travailleurs se rendent maîtres de l'entreprise, bafouant ainsi l'autorité patronale. La question se pose alors en ces termes: qui est le maître dans l'usine? Puisque nous sommes dans une société capitaliste où la propriété privée est sacrée, occuper un bien est une violation de la loi. C'est là que réside tout l'enjeu politique de l'occupation d'usine. L'occupation est directement en opposition avec les lois de la propriété privée capitaliste. Cette situation va créer tout au long du combat une dualité de pouvoir.

C'est le rapport de forces qui répondra à la question «qui est le maître?». Les travailleurs doivent tout mettre en oeuvre pour que ce rapport de forces reste en leur faveur. Cet indice barométrique doit retenir toute leur attention. Cet indice indiquera où le bât blesse et où il faut intervenir avec efficacité dans le combat. C'est pourquoi tout doit être mis en oeuvre pour entraîner le maximum de travailleurs dans l'action, sans oublier d'obtenir un soutien extérieur à travers le soutien de la population et la solidarité du mouvement ouvrier.

Dans certains secteurs industriels (sidérurgie, les verreries, etc.), il s’impose, dans le cadre des rapports de force, de prendre en charge la protection et la gestion de l'outil, ceci afin d'éviter tout sabotage de la direction.

Dans ce type de grève, l'élection d'un comité de grève s'impose et il est indispensable car c'est lui qui va unifier et solidifier le combat. C'est également lui qui va répartir les tâches et centraliser toutes les données. Dans une occupation, tous les travailleurs doivent apporter leurs pierres à l'édifice, ils doivent être bien organisés.

Sur le comité de grève

Comme on le voit, l'occupation d'entreprise demande beaucoup de travail, d'énergie et de dévouement. Devant un tel travail gigantesque, il est donc nécessaire d'élire un organe de gestion. Cet organe ne peut être qu'un comité de grève qui, en fonction du travail que réclame la grève et l'occupation, suggérera en assemblée générale la constitution de différentes commissions pour renforcer le combat.

Il faut également attirer ici l'attention des militants de l'avant-garde ouvrière sur un point qui peut apparaître comme secondaire mais qui est pourtant capital. Ce point est que le comité de grève doit être élu et révocable par les travailleurs de l'entreprise eux-mêmes, il ne doit donc pas être assumé par des volontaires parachutés par les instances syndicales.

L'importance de l'élection et de la révocabilité en assemblée réside dans le fait que les travailleurs acquièrent ainsi la pleine gestion de leur combat. Pour renforcer cet aspect, il faut également instaurer un débat avec les travailleurs en assemblée générale sur le rôle et la fonction du comité.

Démocratie ouvrière

La révocabilité des membres du comité de grève est d'une importance capitale pour la viabilité, la solidité et l'unité des grévistes, mais aussi pour la démocratie ouvrière. C'est au travers de celle-ci que la grève et les grévistes puiseront leurs forces. L'élection et la révocabilité sont les garants pour éviter toute manipulation quelconque. C'est ce qui empêchera toute coupure entre le comité et les travailleurs. La révocabilité et l'élection sont les moyens par lesquels les grévistes exercent un contrôle direct sur le comité et sur la grève elle-même. Grâce à un tel comité, les travailleurs retrouvent leur liberté d'expression, découvrent importance de leur propre force - sous-estimée auparavant ; une conscience nouvelle et plus grande s'ouvre alors en eux.

C'est au comité à établir les ordres du jour des assemblées quotidiennes des grévistes. C'est à lui également qu'il incombe de tenir ces assemblées, d'assister à toutes les négociations, de décider des emplacements des piquets et des heures de remplacement, de désigner les ouvriers qui feront partie de ces piquets. Parmi les autres tâches pratiques, on peut citer l'organisation de l'occupation en trois fois 8 heures ; assurer le ravitaillement des occupants ; promouvoir la solidarité, etc. Le comité de grève devra donc, avec les travailleurs en assemblée générale, créer différentes commissions pour l'aider dans ces différentes tâches (commission de protection et maintenance de l'outil, commission de solidarité, etc.).

Cohésion

Sur base de l'expérience acquise par les travailleurs de Glaverbel-Gilly, qui ont mené plusieurs grèves avec occupation et élection d'un comité de grève, dans les années 70, il apparaît que le comité de grève doit être composé de deux à trois travailleurs par secteur de l'entreprise, élus dans leur propre secteur et ratifié par l'assemblée générale.

Cette méthode a un avantage important: elle permet d'élire des gens compétents dans leur secteur mais non connus de l'ensemble de l'entreprise. De cette façon, tous les secteurs sont représentés au sein du comité de grève, ce qui donne une plus grande efficacité, cohésion et légitimité au comité.

Insistons encore une fois: l'occupation est une grande tâche qui demande un travail gigantesque. Mais elle en vaut largement la peine, ne fut-ce que pour la prise de conscience que les travailleurs acquièrent au travers de leur lutte. S'opposer à l'élection d'un comité de grève élu et révocable par les travailleurs lors d'une occupation est une faute qui hypothèque dès le départ le succès de la lutte.

La Gauche n°18, 29 septembre 2000

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