Prépensions: Retour aux sources
Par André Henry le Jeudi, 17 Mars 2005 PDF Imprimer Envoyer

La pré-pension était au cœur des négociations interprofessionnelles. Leur suppression n'est pas seulement l'une des panacées du patronat ; elle s'inscrit aussi dans les volontés du gouvernement. C'est donc l'occasion de dresser un historique de la pré-pension, dont l'auteur de ces lignes fut un pionnier, en se penchant sur l'esprit de la création de ce qui fut pour les travailleurs une démocratisation en même temps qu'une des plus grandes humiliations.

En 1964, des jeunes sortis de la grève générale de l'hiver 60-61, dont des camarades du POS, créent un journal de la gauche syndicale: "La Nouvelle Défense". Parti de Gilly, ce petit journal allait impulser un véritable syndicalisme de combat dans les entreprises du verre de la région de Charleroi. La Nouvelle Défense et ses fondateurs ont en effet été à la base et à la pointe des diverses grèves et des combats des années 70. C'est à partir de ce petit journal - grand par son impact - qu'allait naître, deux ans plus tard, l'idée de créer la pré-pension.

En 1966, c'est le creux de la vague. Les travailleurs réclamaient le remboursement du pourcent de leur salaire retenu pour fait de grève. Mais plusieurs négociations avaient eu lieu sans jamais aboutir à une issue favorable. La démoralisation et l'humiliation, ajoutées à la peur de se voir retirer à nouveau 1% pour faire grève, avaient entraîné un manque total de combativité. Mais, dans ce contexte défaitiste, nous envisagions une alternative.

A l'époque, la moyenne d'âge des travailleurs était élevée. Beaucoup d'entre eux atteignaient et dépassaient la soixantaine. A 60 ans, dans ces années-là, l'être humain était déjà vieux; les deux guerres et la crise capitaliste dans leur intervalle avaient terriblement marqué. A travers La Nouvelle Défense, nous avons donc demandé aux jeunes - que nous étions à l'époque - de ne pas réclamer notre pourcent mais de le laisser pour les vieux camarades afin qu'ils obtiennent ce qu'ils attendaient: prendre leur (pré)pension. Jeunes que nous étions, nous ne perdions pas au change car nous les remplacerions dans leurs fonctions avec des salaires plus élevés que les nôtres.

Les patrons ont accepté ces propositions parce qu'elles les arrangeaient aussi dans la mesure où se profilait une autre technique de travail. Mais les patrons n'avaient pas prévu dans leurs plans stratégiques qu'un nouveau syndicalisme pointait aussi à l'horizon. Par le rajeunissement de la moyenne d'âge des travailleurs, nous allions pouvoir sortir du creux de la vague et rallumer la flamme du syndicalisme de combat, basé sur la démocratie ouvrière, sur le contrôle ouvrier, et sur l'autogestion des grèves.

A ses débuts, la pré-pension s'appliquait autrement qu'aujourd'hui. Elle prenait cours à 62 ans, puis 60 ans. Elle impliquait aussi des embauches compensatoires; une commission centrale avait été créée à ce sujet. Le revenu mensuel des pré-pensionnés atteignait 90% du salaire net. Quand le pot du pourcent retenu s'est vidé, le rapport de force a imposé aux patrons de remplir le fonds des pré-pensions avec leur propre argent, et non plus avec celui des travailleurs. Les acquis ne se sont pas arrêtés là. Lors de la grève de 1975, déclenchée suite à l'annonce de la fermeture de Glaverbel Gilly, de nouveaux accords ont autorisé la pré-pension à 58 ans, avec 95% du salaire et embauche compensatoire. A Charleroi, le comité régional syndical du verre, composé de chaque délégué d'entreprise, contrôlait les embauches de la région. De ce point de vue, c'était une belle victoire syndicale.

Aujourd'hui, la pré-pension est détournée de ses objectifs; elle permet aux patrons de licencier "sans douleurs". Dans la conjoncture actuelle, où le chômage et le stress sont de plus en plus intenses, le maintien de la pré-pension s'impose comme une revendication nécessaire et indispensable.

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