Syndicats: Que faites-vous d’ici le 30 janvier?
Par Paul Van Pelt le Samedi, 14 Janvier 2012 PDF Imprimer Envoyer

La brutalité des mesures gouvernementales pousse le mouvement syndical dans les cordes. C’était visible dès la publication de la note Di Rupo. Dès ce moment, les trois (!) organisations syndicales prenaient position contre la logique néolibérale de la note. En réaction, les syndicats organisèrent le meeting de protestation du 15 novembre, suivi de la manifestation du 2 décembre, avec 80.000 participant-e-s. De toute évidence, cela a fait peu d’impression, puisque les négociations  gouvernementales ont débouché en fin de compte sur une accord  qui est encore plus néolibéral que la note de départ.


Fuite en avant


Ensuite, le gouvernement (par la bouche des ministres Van Quickenborne et De Coninck) a opté pour la fuite en avant en faisant adopter à la hussarde – et sans concertation sociale - ses mesures relatives respectivement à la problématique de la fin de carrière des fonctionnaires et aux allocations d’attente ainsi que de chômage. Face à cette provocation, les syndicats du secteur public ont convoqué en urgence une grève de 24H le 22 décembre. L’impact de la grève a été grand, en particulier grâce à son succès très net dans les chemins de fer et les entreprises publiques régionales de transport (De Lijn, TEC, MIVB-STIB) ainsi que dans les services de pilotage du port d’Anvers. Dans les chemins de fer en Wallonie, la direction syndicale a même été dépassée par sa base.


Calendrier de concertation


Entre-temps, les directions de la FGTB, de la CSC et de la CGSLB ont lancé un préavis de grève pour “une grève de 24 heures et/ou des actions sectorielles au plus tard le 30 janvier”. Ce préavis devait servir à “imposer une concertation sociale”, en vue de parvenir à “des “modifications significatives” de l’accord de gouvernement. Que la demande d’une concertation doive être introduite avec une menace d’action à l’appui, voila qui ne fait pas de doute. C’est avec des pieds de plomb que les patrons ont accepté de négocier. Depuis le 11 janvier il y a un accord sur un calendrier de réunions. La concertation – sur les services publics, le chômage, les prépensions et le crédit temps- n’a donc pas encore commencé.


Silence radio


Depuis la grève dans le secteur public, les directions syndicales ont observé un silence radio quasi complet. Par conséquent, la base n’a pas été et n’est toujours pas préparée à la grève (ou aux actions sectorielles) du 30 janvier – ou à peine. Il y a eu par contre quelques actions dispersées. C’est ainsi que la centrale Générale a lancé une campagne de tracts, pour sensibiliser la base dans les entreprises. A Anvers, la CSC a organisé une marche aux flambeaux. Ici et là, aussi en Flandre, la FGTB a organisé des assemblées d’information.


Priorités


Maintenant qu’il y a un accord sur le calendrier de la concertation sociale, il semble que le discours de la direction FGTB perde de sa force. Selon Rudy De Leeuw (président flamand de la FGTB), c’est logique, vu que “nous devons donner une chance réelle à la concertation. Entre-temps, le journal Syndicats sort quand même un numéro conçu comme un journal de campagne consacré aux grandes revendications et analyses de la FGTB. Concrètement, l’accent est mis sur six priorités: (1) une politique de relance pour créer des emploi, (2) la prépension et le crédit temps, (3) le maintien du pouvoir d’achat et de l’index, (4) le cadastre des fortunes et la levée réelle du secret bancaire, (5) le renforcement des services publics et (6) le changement de politique au niveau de l’Union Européenne.


“Des améliorations significatives”


La direction de la FGTB espère de plus des “améliorations significatives” pour rectifier les “ruptures de contrat”(par suite desquelles des travailleur-euse-s sont puni-e-s pour des choix de carrière qu’ils-elles ont fait en confiance avant l’adoption des mesures), pour éviter un recul social en particulier pour les métiers lourds, pour garantir l’équilibre de la sécurité sociale et pour que des pas soient posés en direction d’un “modèle de croissance éco-solidaire”, basé sur une fiscalité équitable.L’approche de la direction FGTB fait fort penser à celle de la CSC. Celle-ci semble se soumettre d’avance aux mesures gouvernementales dont elle respecte la légitimité démocratique: “les décisions ont été prises démocratiquement par le perlement, en tant que syndicat nous pouvons donc difficilement en demander le retrait”. Le 24 janvier, le comité fédéral de la FGTB évaluera les résultats de la concertation, et décidera alors si le mot d’ordre de grève pour le 30 janvier doit être maintenu ou pas.


Miracle?


L’attitude hésitante de la direction de la FGTB suscitera peu d’enthousiasme auprès des militants et des délégués, d’autant plus que chacun-e comprend qu’il faudrait un miracle pour que des “améliorations” soient vraiment “significatives”. Lors de l’assemblée générale des militant-e-s à Anvers, par exemple, pas un seul des douze intervenants ne s’est rangé derrière la ligne de la direction. Tous les orateurs ont exigé un appel clair et sans ambiguïté à faire grève le 30 janvier. C’est dailleurs dans cette perspective que de nombreux groupes de syndicalistes se préparent. Des initiatives concrètes sont prises ou ont été prises par des militant-e-s dans les entreprises de la chimie et du pétrole, dans certaines entreprises de la métallurgie et dans certains services publics. Cette unanimité des intervenants et les applaudissements nourris qui les ont tous salués, Rudy de Leeuw n’a pas pu les récupérer par des propos plus musclés. Heureusement, tout le monde n’a pas la même attitude attentiste. En effet, le 13 janvier, le Bureau fédéral de la CGSP a décidé qu’il n’était pas possible d’attendre plus longtemps. La CGSP mobilise donc officiellement pour une grève de 24H le 30 janvier.


Trois groupes?


La raison de l’attentisme de cerains dirigeanrs syndicaux ne réside pas dans la soi-disant existence de “trois groupes” au sein du syndicat, comme le disent les militants du PTB. Selon cette analyse (qui n’est en fait rien de plus qu’une impression)  le syndicat comporterait trois sortes de syndicalistes. D’abord ceux qui ne jurent que par la concertation. A ce groupe appartiendraient les centrales de la CSC (à une exception près), la Centrale des métallos flamands de la FGTB et sa centrale des transports (l’UBOT). Ensuite ceux qui pensent que la concertation ne peut donner quelque chose que  combinée à la menace d’une grève le 30 janvier. A ce groupe appartiendraient les centrales des employés de la CSC, la CNE et la LBC, des secteurs du SETCa-FGTB et une grande partie de l’aile flamande de la CGSP. Enfin, il y aurait le groupe de ceux et celles qui rejettent fondamentalement l’accord gouvernemental et qui voudraient aller au finish. Ce groupe comprendrait l’aile francophone de la CGSP, les métallos francophones de la FGTB, la Centrale Générale et des secteurs du SETCa. Pour ces militants du PTB, les choses sont donc simples: pour que la grève du 30 soit un succès, il suffirait qu’un compromis soit trouvé entre les groupes 2 et 3.


Une impression superficielle


Nous rejetons cette impression superficielle, parce qu’elle n’apporte rien aux militant-e-s  et n’aide nullement à faire avancer les choses. Si par exemple vous êtes militant de la CSC, métallo flamand de la FGTB ou membre du syndicat des transports de la FGTB: devez-vous vous contenter d’attendre en silence qu’un compromis soit trouvé entre ces groupes 2 et 3? Ou si vous êtes actif-ve au sein de la CNE ou de la CGSP flamande, devez-vous espérer en silence que le compromis – s’il a lieu- sera suffisant pour que la grève du 30 soit vraiment un succès? Et que faire si vous êtes militant dans une centrale du groupe 3? Devez-vous accepter un compromis, même si celui-ci ne répond pas au défi de l’heure? Et, ce qui est encore plus grave, tandis que nous attendrions patiemment le “compromis” au sommet du syndicat, comment devrions-nous résister à l’offensive de propagande constante des médias contre le mouvement syndical? En fait, cette “analyse” désarme la gauche syndicale en lui imposant une attitude attentiste face à ce qui se passe dans les appareils.


Mobiliser avec le frein en main


A notre avis, ce n’est pas par hasard que des militants du PTB ramènent les divergences au sein du mouvement syndical à cette histoire des trois groupes. Cela les dispense de soulever la question fondamentale, qui est politique. La raison fondamentrale pour laquelle les directions syndicales mobilisent en tenant le frein en main réside dans le fait que leurs prolongements politiques sont coresponsables de la politique gouvernementale. Les directions syndicales veulent certes sauver leur place à la table de négociation, mais elles ne veulent pas mettre en question leurs “connections” politiques. De plus, elles paniquent à l’idée que le gouvernement soit renversé. A leurs yeux, l’alternative (avec la NVA par exemple) serait “encore plus grave”. Cette peur face à la NVA exprime surtout un manque de confiance dans la force du mouvement syndical mobilisé. En manquant ainsi de confiance en sa propre base, la direction syndicale mine non seulement sa propre position, mais aussi les chances de mobilisation. Elle semble de plus oublier que si le mouvement syndical aujourd’hui peut reenverser le gouvernement Di Rupo, il peut tout aussi bien – et mieux encore!- battre demain un gouvernement avec la NVA, et même empêcher qu’il se forme.


Orphelins politiques


La conscience des vraies motivations politiques des directions syndicales commence d’ailleurs à percoler dans le mouvement ouvrier. Lors de l’assemblée des militants anversois de la  FGTB, plusieurs orateurs ont référé explicitement au fait que le mouvement ouvrier est orphelin sur le plan politique. Il s’agit pour les syndicalistes de gauche de transformer ce sentiment en un combat actif en faveur d’une rupture ouverte avec les partis social-démocrate et démocrate-chrétien, afin d’ouvrir la porte vers la construction d’un nouveau parti du monde du travail et pour le monde du travail.


Empêcheurs de danser en rond


Le PTB n’est pas intéressé par cette démarche. Il la voit comme concurrencielle par rapport à sa propre construction. Il espère, par une attitude suiviste – et attentiste- face aux directions syndicales être considéré par celles-ci comme un prolongement politique; Par contre, Erik De Bruyn, du mouvement Rood!, ensemble avec des personnalités telles que Wouter Van Bellingen (ex-échevin de Sint Niklaas), Jef Sleeckx (ex-parlementaire du SP.a) et Francine Mestrum, a lancé un “message de Nouvela An à tous les empêcheurs de danser en rond de bonne volonté”. On y met l’accent sur le fait que “les élus qui devraient représenter les droits des travailleurs sont aujourdhui ceux qui appliquent les recettes néolibérales qui nous appauvrissent”. Les signataires concluent  donc que “l’heure d’un nouveau chapitre a sonné. On a besoin d’un nouveau mouvement pour redonner voix à la lutte sociale sur le pan politique. Pas un projet idéologique dans les étoiles mais un projet contemporain qui reprend le meilleur de nos traditions et le combine avec la révolte des jeunes générations contre le système injuste dans lequel elles grandissent. Retrouvons une vraie unité autour de ce drapeau. Pas pour nous-mêmes, mais pour les gens, la planète et l’avenir de nos enfants et petits-enfants”.


Mobilisons nous-mêmes


Pour les syndicalistes (quels que soient leur secteur ou leur centrale), la meilleure manière de donner aussi une expression pratique à cet espoir consiste à prendre en mains eux-mêmes la mobilisation afin de donner forme à la volonté de lutte du monde du travail. N’oublions pas que, dans l’histoire de la Belgique, une seule grève générale fut véritablement organisée par les directions syndicales (ce fut aussi la moins réussie- celle de 1912). Il ne s’agit pas aujourd’hui d’attendre un quelconque compromis imaginaire entre des dirigeants de la FGTB et/ou de la CSC. Il s’agit de s’adresser directement à la base syndicale pour la sensibiliser, la mobiliser et l’appeler à l’action le 30 janvier.

Voir ci-dessus