Chasse aux chômeurs: un bilan accablant
Par Freddy Bouchez le Lundi, 03 Octobre 2005 PDF Imprimer Envoyer

Depuis juillet 2004, les demandeurs d'emplois qui ont entre 15 et 21 mois de chômage sont convoqués à l'ONEM pour un entretien de contrôle de leur disponibilité sur le marché du travail. Ils doivent faire la preuve qu'ils recherchent activement un emploi sous peine de perdre leur droit aux allocations de chômage. Les entretiens à l'ONEM ont débuté en octobre 2004 et, jusqu'en juin 2005, ce sont les moins de 30 ans qui sont ainsi appelés à se justifier. A partir de juillet 2005, les personnes de 30 à 39 ans qui ont 21 mois de chômage seront convoquées et au mois de juillet 2006 débuteront les auditions pour celles de 40 à 49 ans. Freya Van den Bossche, la ministre fédérale de l'emploi, a tiré un premier bilan dans une conférence de presse le 19 janvier 2005. Elle semble satisfaite. Ce n'est pas notre cas.


Favorise l’emploi précaire

Quand les demandeurs d'emploi se rendent aux entretiens à l'ONEM, très souvent, la personne qui les reçoit leur demande s’ils sont inscrits dans les agences intérimaires. Très souvent aussi, quand l'entretien se solde par un résultat négatif et qu'il y a un contrat, il est imposé aux chômeurs de s'inscrire dans une ou plusieurs agences et de répondre aux offres de travail de celles-ci. Nous touchons là à l'un des buts essentiel de cette mesure de contrôle qui est de forcer les chômeurs à accepter tout type d'emploi même si celui-ci est à durée très déterminée. Il faut savoir que les agences intérimaires font par exemple des contrats journaliers. Elles téléphonent parfois le jour même et le demandeur d'emploi est obligé d'accepter sous peine qu'aucune offre ne lui soit plus proposée.

De plus en plus d'employeurs demandent aux agences de réaliser les engagements et le contrat intérimaire sert de période d'essai. C'est maintenant une pratique devenue courante dans plusieurs secteurs, et notamment dans celui des grands magasins. Il n'est pas rare de rencontrer des personnes qui travaillent depuis un an ou plus pour la même société en contrat intérimaire. Cela permet à l'employeur d'utiliser le travailleur comme il en a envie. Certaines semaines, celui-ci ne sera utilisé qu'une seule journée tandis qu'une autre semaine, si le besoin s'en fait sentir pour le patron, le travailleur prestera beaucoup plus.

Pire, certaines agences n'hésitent pas à dénoncer à l'ONEM des chômeurs qui refusent ces contrats de travail au rabais. Dans certains bureaux de chômage, des demandeurs d'emploi se sont retrouvés en audition risquant ainsi une suspension de leur allocation de chômage pouvant aller de quatre à cinquante deux semaines. Des agences intérimaires avaient déjà fait le coup précédemment pour des personnes en revenu d'intégration, permettant ainsi au C.P.A.S. de les sanctionner lourdement. Ce fut le cas il y a quelques années à La Louvière où un bénéficiaire de l'aide sociale avait été dénoncé par ADECCO. Tout dernièrement, c'est ACTIEF Intérim qui a remis le couvert pour des chômeurs. Petit à petit, que devient donc la notion d'emploi convenable dans ce contexte où les gens se sentent obligés de recourir aux agences intérimaires pour décrocher un boulot ?

N'oublions pas non plus que l'ONEM est un service public qui, dans ce cas, favorise des intérêts privés qui se font du profit sur le dos de la précarisation de nos conditions de vie et de travail. Ce lien entre les mesures de contrôle renforcé des chômeurs et les agences intérimaires montrent bien la volonté du patronat et du gouvernement d'imposer un marché de l'emploi de plus en plus précaire afin de diminuer au maximum le coût des salaires et d'augmenter la flexibilité du travailleur. La pression exercée par l'ONEM pousse les demandeurs d'emploi à penser qu'ils n'ont plus d'autres choix.

Et le FOREM

Dans la législation chômage, le demandeur d'emploi doit répondre aux convocations du service public régional de l'emploi sous peine de se retrouver en audition litige à l'ONEM. Durant plusieurs années, il y a eu un net ralentissement des convocations à l'ONEM sur ce sujet. La mise en application du Plan Vandenbroucke a occasionné un marchandage politique entre le gouvernement fédéral et les régions. Le gouvernement wallon a réclamé des moyens supplémentaires pour le FOREM afin que celui-ci mette en place un nouveau plan d'accompagnement des chômeurs. Dès lors, toutes les personnes concernées par les entretiens de contrôle de leur disponibilité sur le marché de l'emploi à l'ONEM sont également convoquées pour des réunions collectives au FOREM. Les présences ou absences sont systématiquement transmises par le FOREM à l'ONEM. Les facilitateurs qui reçoivent les chômeurs dans les entretiens ont donc ainsi la possibilité de demander au chômeur de se justifier s’il était absent à la rencontre collective organisée par le FOREM.

L'une des conséquences du plan Vandenbroucke est donc le fait que même le plan d'accompagnement du FOREM ne se réalise pas tout à fait sur une base volontaire. Il vaut mieux avoir répondu à la convocation du FOREM avant d'aller à l'entretien de contrôle à l'ONEM ou par exemple avoir justifié son absence si on n'a pas pu s'y rendre. Cette transmission de données est censée protéger le chômeur mais en tout cas pas ceux qui sont en difficultés et qui n'ont pas la capacité pour toute une série de raisons d'assumer toutes ces obligations contraignantes.

Pire, depuis quelques semaines, il y a une recrudescence des convocations litige à l'ONEM pour non présentation au FOREM et celles-ci touchent des personnes qui ne sont pas ou pas encore concernées par le plan Vandenbroucke. Si elles ne parviennent pas à justifier leur absence au FOREM, elles risquent une suspension de quatre à cinquante deux semaines. La pression politique exercée sur le FOREM commence à porter ses fruits et visiblement, malgré ses déclarations, le gouvernement Wallon veut montrer des gages de bonne volonté à ceux qui disent que la politique du FOREM n'est pas suffisamment répressive vis à vis des chômeurs.

L'article 80

L'article 80 exclut les cohabitants chômeurs de longue durée si les revenus du ménage dépassent un certain plafond et si la personne cohabitante n'a pas derrière elle suffisamment d'années de travail. Cet article est en train de disparaître en même temps que s'appliquent les mesures de contrôle de disponibilité sur le marché de l'emploi. Nous avons demandé sa suppression mais pas pour qu'on le remplace par le Plan Vandenbroucke qui élargit le contrôle et permet de sanctionner tous les chômeurs, même les isolés et les chefs de ménage. Au passage, signalons qu'un certain nombre d'associations demandent toujours la suppression du statut cohabitant pour lequel le gouvernement belge a été condamné par le Conseil Economique et Social des Nations Unies. Celui-ci trouve que ce statut est discriminatoire et particulièrement pour les femmes.

A partir de juillet 2005, les plus de 30 ans vont être à leur tour convoqués par l'ONEM dans le cadre du plan Vandenbroucke et évalués par les facilitateurs. On va leur demander ce qu'ils ont fait pour rechercher de l'emploi sur une période d’une année sans tenir compte de leur passé professionnel. Or, parmi les personnes les plus âgées, il y a des travailleurs qui ont travaillé durant dix, quinze ou vingt ans et qui ont été victimes de restructurations, délocalisations, … Nous n'avons pas combattu l'article 80 pour en arriver là. Il est scandaleux de forcer des gens qui ont travaillé toute leur vie à devoir aller se justifier sur une seule année de leur existence surtout quand on sait les drames humains et sociaux que représentent les fermetures d'entreprises et on vient encore d’en avoir un exemple à Splintex Charleroi.

Le plan Vandenbroucke défavorise particulièrement les femmes

Les femmes enceintes de plusieurs mois sont quand même convoquées et, pourtant, tout le monde sait bien que, durant la grossesse, il y a peu de chance qu'un employeur vous engage. Même à ces femmes, l'ONEM demande de fournir des preuves de recherche d'emploi. Certaines se sont trouvées dans l'obligation de signer un contrat avec des démarches qui ne riment à rien dans cette situation. Si le congé de maternité se termine au moment de l'entretien, la personne est malgré tout convoquée en devant prouver qu'elle a réalisé des démarches. A coup sûr, beaucoup de ces femmes sont dans l'incapacité d'apporter des preuves et vont être pénalisées par un contrat et la perspective d'un second entretien où elles seront susceptibles d'être sanctionnées. De plus, les femmes qui allaitent leur bébé ne peuvent pas bénéficier d'un congé pour le faire car la législation ne reconnaît pas cette possibilité pour les chômeuses. Ce serait pourtant la moindre des choses puisque cette même législation impose maintenant aux chômeuses de rechercher activement de l'emploi. Que dire de la situation des mères et, dans une beaucoup moindre mesure, des pères célibataires ou de celles sur lesquelles repose toute la responsabilité de l'éducation des enfants. Dans les entretiens, l'ONEM les pousse à rechercher une solution pour qu'elles ou ils puissent placer leurs enfants. On retrouve cette exigence dans certains contrats alors que tout le monde sait que les infrastructures d'accueil pour les enfants de moins de trois ans sont nettement insuffisantes. D'une part, l'Etat impose à ces personnes de trouver une solution, mais d'autre part, Il ne crée pas les infrastructures nécessaires, ce qui est quand même un comble.

La seule possibilité laissée pour échapper à toutes ces contraintes, c'est ce qu'on appelle dans la législation chômage l'article 90. C'est une dispense accordée par l'ONEM pour se consacrer à l'éducation des enfants pour autant qu'ils aient moins de 4 ans. Mais cette dispense de pointage s'accompagne d'une diminution de revenus. L'allocation versée tourne autour de 10 EUROS par jour. Seules les cohabitantes ou cohabitants qui vivent dans une situation financière plus ou moins potable (par exemple avec un compagnon ou une compagne qui a un bon contrat de travail) peuvent y avoir accès. Pour les autres, les mères/pères célibataires chefs de ménage ou les cohabitant/es dont la situation financière n'est pas bonne, c'est tout à fait impossible car, avec un tel montant d'allocation, il n'est pas question de pouvoir s'en sortir. D'une part, la législation sociale reconnaît l'empêchement durant une période d'être disponible sur le marché du travail du fait de l'éducation des enfants, mais d'autre part, elle ne donne pas la possibilité à toutes les personnes pour lesquelles cette dispense serait nécessaire de pouvoir en profiter. Beaucoup de mères et quelques pères célibataires vont donc se trouver en situation délicate, forcé/es de signer un contrat pour aller vers un second entretien avec l'épée de Damoclès d'une sanction au-dessus de la tête.

Les cours et formations professionnelles

Pour les demandeurs d'emploi qui suivent des cours ou des formations, même sans dispense de pointage, l'entretien à l'ONEM doit être conclu positivement pour autant que ces cours ou formations soient un projet sérieux qui tient la route dans le temps. L'ONEM, nous dit-on, n'est pas un organisme habilité pour juger du bien fondé d'une formation. Pourtant, ce sont bien les services admissibilité de l'ONEM qui, d'un autre côté, accordent ou refusent les dispenses de pointage pour ces mêmes formations ou cours. Bizarre, non ?

Certains chômeurs se retrouvent donc avec un entretien positif du fait d'être en formation mais aussi avec un refus de dispense de pointage pour cette même formation. C'est bien de suivre une formation pour le contrôle sur la disponibilité mais, pour la dispense, c'est moins bien quand on n'a pas atteint un an de chômage ou quand cette formation se déroule dans un secteur qui n'est pas considéré comme étant en pénurie de main d'œuvre. Les personnes qui suivent des cours du soir et qui ont des stages en journée, n’obtiennent pas de dispense si elles n'ont pas un an de chômage par exemple. Or, cette dispense est tout à fait obligatoire pour des stages. Pour ceux qui n'ont pas obtenu de dispense mais qui néanmoins ont un avis positif par le biais des mesures de contrôle, il s'agira quand même de l'obligation de stopper leur formation si un emploi se présente puisque ceux-là doivent rester impérativement disponibles sur le marché du travail.

Pour l'application du plan Vandenbroucke, pas de délai pour pouvoir suivre une formation. Pour la dispense, obligation d'un an de chômage si la formation ne se situe pas dans un secteur où il y a pénurie de main d'œuvre. Pour la dispense, il y a obligation pour le chômeur de s'investir dans une recherche de travail pendant un an mais pas pour le contrôle de cette même disponibilité sur le marché de l'emploi. Que pense Freya Van den Bossche de ces incohérences ? On n'en sait rien mais les chômeurs, quant à eux, ne s'y retrouvent plus tellement bien.

De toute manière, pourquoi faut-il attendre une année pour pouvoir suivre une formation avec dispense de pointage ? Quelle perte de temps quand un chômeur se rend compte qu'il doit se requalifier le plus rapidement possible pour obtenir une petite chance de décrocher un boulot ! Et cette notion de pénurie de main d'œuvre ? N'y a-t-il pas actuellement pénurie de main d'œuvre dans tous les secteurs ? Au lieu de contraindre les chômeurs à ces conditions restrictives, ne faudrait-il pas plutôt créer les conditions pour développer l'emploi de qualité en suffisance en réduisant le temps de travail, en maintenant absolument nos systèmes de pré pension qui peuvent permettre des embauches pour les plus jeunes. Ne faudrait-il pas que les pouvoirs publics reprennent de l'espace pour créer des emplois dans les secteurs du logement, du transport en commun, de l'environnement, de la culture, du social ? Ne faudrait-il pas que le gouvernement ose un peu plus s'attaquer aux puissances d'argent en créant par exemple un impôt sur les grosses fortunes qui pourraient permettre ces créations d'emplois ?

Au lieu de restreindre l'accès aux formations, ne faudrait-il pas l'encourager en augmentant d'une manière significative les indemnités de stage qui depuis de nombreuses années restent fixées à un euro net ou brut de l'heure ?

Conclusions...

Le plan Vandenbroucke, selon le gouvernement, a été mis en place pour aider les chômeurs à mieux chercher et à trouver un travail. Pour trouver du travail, il faudrait d'abord qu'il y en ait en suffisance et pour ne pas perdre rapidement son boulot quand on en a un, il conviendrait également que celui-ci soit stable. Aider les chômeurs à trouver un emploi, c'est d'abord en en créant et non en leur compliquant l'existence par des mesures contraignantes qui produisent des exclusions (d’octobre 2004 à janvier 2005, 500 personnes ont été exclues durant minimum 4 semaines de leur droit aux allocations de chômage et 1/3 des chômeurs convoqués sont à la merci d'une sanction possible au second entretien). Soit on aide vraiment les chômeurs et alors cette aide doit se réaliser sur une base volontaire et sans la menace de sanctions. Soit on veut créer un climat pour que les chômeurs acceptent tout type d'emploi flexible sous peine d'exclusion. C'est plutôt dans ce sens que va le plan Vandenbroucke.

Comme nous sommes opposés à la précarisation du marché du travail et à la précarisation du droit aux allocations de chômage, nous continuons à revendiquer le retrait du plan Vandenbroucke.

17/05/2005

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