La santé malade du néoliberalisme
Par M. Lievens le Samedi, 17 Juillet 2004 PDF Imprimer Envoyer

Le secteur des soins de santé est un des gros points sensibles de la sécurité sociale. Les dépenses ont doublé entre 1990 et 2002 dans ce secteur, tandis que le revenu disponible n'augmentait que de 51%. En 1995, le coût des soins de santé au sein de la sécurité sociale se chiffrait encore à quelques 10 milliards d'Euros. En 2004, ils monte à 16 milliards. En 1980, 24% du budget de la sécurité sociale était consacré aux soins de santé. En 2004, on en est à 35%. Tandis que l'Europe intensifie la pression en faveur d'une privatisation du système, la majorité des partis flamands s'empare du problème pour exiger la scission de la sécurité sociale.

Dans les années 90, la norme de croissance pour les dépenses de l'ONSS était limitée à 1,5% par an. Elle a été portée à 2,5% en 1999. Malgré cela, chaque année, la norme a été dépassée. Elle est aujourd'hui à 4,5% et cette augmentation est une petite victoire face au discours sur les restrictions. N'empêche que les informations désespérantes qui annoncent d'énormes dépassements budgétaires continuent à pleuvoir. Les chiffres du déficit pour 2004 varient entre 300 et 600 millions d'euros, voire plus. La sécurité sociale semble ainsi être un système intenable ! Mais personne ne soulève que, si le déficit total de la sécu se monte à un milliard d'euros en 2005, les diminutions des cotisations patronales, elles, ne se chiffrent pas à moins de 5 milliards…

L'augmentation des coûts dans le secteur des soins de santé s’explique de diverses façons. Il y a le vieillissement et le coût croissant de certains nouveaux traitements médicaux. Il y a certainement des abus, tels que la prescription de médicaments chers par certains médecins. Ceux-ci ne sont pas sanctionnés pour ces pratiques, mais sont au contraire récompensés par l'industrie pharmaceutique. Peut-on parler de surconsommation, comme les néolibéraux le prétendent ?

Des analyses réalisées par la Fédération des Mutualités Catholiques pour la période 1990-2000 montrent surtout que l'augmentation des dépenses est moins dûe aux volumes ou à l’inflation qu’à la conséquence de l'évolution des prix (des nouveaux médicaments et de la technologie, à côté des hausses salariales - relatives !). Seulement 20% de l'augmentation a quelque chose à voir avec l'augmentation de la consommation, qui doit surtout être mise sur le compte du vieillissement.

Les cas éventuels de surconsommation ne peuvent pas non plus être mis purement et simplement sur le dos des patients. Des voix s'élèvent en faveur de l'augmentation du ticket modérateur dans le but de dissuader les patients d'aller trop chez le médecin. C'est au contraire le système de la médecine à l'acte qui incite à la surconsommation et nuit à la qualité des soins. La logique de ce système pousse à multiplier le nombre de patients et à favoriser les thérapies les plus longues et les plus chères au détriment des plus efficaces. La facture maximum, qui est une mesure positive évidemment, ne touche pas au système en tant que tel.

Les coûts croissants dans le secteur des soins de santé ne doivent pas être vus à priori comme quelque chose de négatif. Ils fournissent aussi un indicateur de l'amélioration possible des conditions de vie des gens. Pourquoi personne ne dénonce-t-il le fait que les dépenses pour les voitures ou pour les ordinateurs, par exemple, croissent plus vite que le PIB ? De toute évidence, une certaine sorte de consommation est bonne pour le type d'économie dans lequel nous vivons, et une autre ne l'est pas.

Les cris alarmistes concernent surtout la part de la consommation qui est socialisée (via la sécurité sociale ou les services publics). Le patronat ne vise naturellement pas explicitement cette socialisation dans ses déclarations. Il se plaint surtout de l'inefficacité supposée du système: selon lui, le secteur relativement bon marché des soins de santé engendrerait une surconsommation, donc un gaspillage. Mais est-ce vrai ?

Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, en 2001, 8,9% du PNB belge était consacré aux soins de santé(1). 71,7 % de ce montant était couvert par la sécurité sociale. Au cours de la même année, les dépenses de santé aux Etats-Unis se montaient, par le jeu du "libre marché" à 13,9% du PNB, dont 44,4% seulement couverts par la collectivité. Les Etats-Unis dépensent presque deux fois plus par personne et par an que la Belgique en soins de santé. Malgré cela, en 2000, l'OMS classe la Belgique en 21e position des meilleurs systèmes de santé à l'échelle mondiale, tandis que les Etats-Unis sont en 37e place. L'espérance de vie aux Etats-Unis est plus basse qu'en Belgique, la mortalité infantile est supérieure. Dans les années 2002-2003, un Américain de moins de 65 ans sur trois n'avait pas de couverture santé(2). Cela représente plus de 80 millions de gens.

En Belgique, il n'y a pas seulement la pression pour privatiser et pour faire des économies. En effet, les partis bourgeois flamands transforment toute question en question communautaire. Selon le NVA et le VLD en particulier, les soins de santé et les allocations familiales doivent être régionalisés. Fin novembre, les hôpitaux flamands du réseau catholique ont également plaidé pour la scission, avec le soutien d'Yves Leterme et d'Inge Vervotte (CD&V), sous prétexte que le ministre Demotte (PS) ne prendrait pas assez de mesures structurelles (lisez “d'austérité”). Voka, l'organisation patronale flamande, soutient aussi cette revendication et s'en est pris durement au ministre Demotte. Selon un sondage auprès des administrateurs délégués, publié dans le Standaard, 72% des chefs d'entreprise en Flandre sont pour la scission (DS, 16/12/04). Stevaert est le seul qui s'y soit opposé, tandis que De Batselier (SP.A) appuyait lui aussi la scission. Pourtant, la farce autour de l'hôpital Dodoen, à Malines, oùles médecins poussaient à la surconsommation, n'a pas fait du bien à l'image simpliste diffusée par les partisans de la scission. Comme si la Walloniela Flandre vers la Wallonie est naïf, mais cela passe quand même comme une lettre à la poste. avait le monopole des abus ! Réduire “l’assainissement” de la sécurité sociale à la question du démantèlement des "transferts" de

La communautarisation enterrerait le principe d'assurance. Pour une bonne assurance, il est important que le risque soit réparti sur le plus grand groupe d'assurés possible. Il y a effectivement des différences structurelles dans la consommation des soins médicaux. La droite flamande essaie de les expliquer en termes de clientélisme de la culture PS, de "profitariat" et de laxisme des Wallons. Les Wallons, par exemple, seraient des fans des examens pré-opératoires. A l'inverse, les francophones prétendent que la Flandre dépense plus en soins psychiatriques et en institutions de repos et de soins.

Les excès et les abus doivent naturellement être combattus. Pourtant, ces différences ont en partie une base réelle. Comment des différences de "culture" liées à la langue pourraient-elles avoir un tel impact ? Il y a des causes structurelles pour des profils de consommation différents qui ont à voir avec le fait que les gens vivent à la campagne ou en ville, avec le milieu social, le niveau de chômage et de revenu, le type de travail presté par les gens. Les hôpitaux limbourgeois sont aussi meilleur marché que les autres hôpitaux flamands. Quelle est la "différence culturelle" qui l'expliquerait ? Il y a de grandes différences aussi entre le Nord et le Sud des Pays-Bas sur le plan de la consommation médicale, et cela n'est pas agité comme raison pour revoir l'assurance santé dans ce pays.

Plaider pour la scission de la sécurité sociale est donc tout simplement une manière de vouloir briser la solidarité. La seule réponse rationnelle au problème est la suppression de la médecine à l'acte, une mise au pas de l'industrie pharmaceutique et la formulation de règles claires pour tout le pays de sorte que les mêmes actes aient partout le même coût.

Serrer la ceinture ne peut pas être une option, étant donné que cela se fait aux détriments du patient. Privatiser non plus: les soins de santé doivent être un droit universel, et ne doivent pas être rendus dépendants du pouvoir d'achat. Le choix devant nous est simple: ou bien des cotisations sociales élevées avec une médecine gratuite, ou bien des cotisations basses avec une médecine privée. Seule la première option, qui reconnaît le droit universel à des soins de santé, est un choix civilisé. A la place du système actuel de médecine à l'acte, avec ses cabinets privés et ses pharmacies privées, il faut un système public de centres de santé de quartier, avec un salaire fixe pour toutes les professions de la santé. Aucun frein financier ne devrait être opposé à une bonne santé: "à chacun selon ses besoins", tel est notre principe socialiste !

Notes:

(1) World Health Report 2003.

(2) D. Sicot, Sécurité sociale, des proposiotions pour une autre réforme, dans le Monde Diplomatique, juillet 2004, p. 4.

Voir ci-dessus