Quelques aspects cruciaux du conflit chez IAC
Par Guy Van Sinoy le Samedi, 14 Novembre 2009 PDF Imprimer Envoyer

Le conflit social chez IAC, et ses prolongements juridiques, comprend quatre volets. Il convient de bien les distinguer. Il y a d’abord le volet relatif au licenciement de 24 travailleurs, sans négociation d’un plan social, où la direction a tenté de contourner la loi Renault. Il y a ensuite le volet relatif à 12 de ces 24 licenciés qui sont des travailleurs protégés par un mandat syndical et pour lesquels IAC a tenté de mettre hors jeu la commission paritaire seule compétente pour lever les protections pour raisons économiques.

Il y a aussi le volet relatif aux deux ordonnances en référé prises par des juges du tribunal civil et la prétendue faute grave invoquée par l’employeur pour licencier 4 travailleurs (en plus des 24) dont deux protégés. Il y a enfin le volet relatif aux licenciements de Manu Agostini, délégué principal, pour de prétendues fautes graves (il a reçu deux lettres de licenciement successives pour faute grave!). L’arrêt de la cour du travail du 5 novembre, en faveur des travailleurs, met un terme aux dossiers de licenciement pour faute grave de Manu Agostini et des deux autres travailleurs protégés.

Le licenciement des 24 travailleurs

Rien n’est encore en cours sur le terrain juridique à ce sujet. La direction a d’abord sélectionné 24 travailleurs à licencier, dont 12 protégés, il s’agit d’une purge politique et sociale visant un groupe ciblé de travailleurs. A plusieurs reprises, dans le passé, des membres de la direction se sont laissés aller en déclarant que la délégation syndicale « pourrissait tout dans l’entreprise », que« le ver était dans le fruit » et qu’il fallait « purger la délégation ». Comme il y a beaucoup de mécaniciens sur les 5 sites et des magasiniers sur quatre sites, les travailleurs sont relativement transférables d’un siège à l’autre. Si IAC avait réellement voulu supprimer 24 emplois pour raisons économiques, l’objectif aurait pu être atteint par des prépensions (une bonne douzaine de travailleurs sont dans ces conditions) et par des départs volontaires.

Pour éviter que le Conseil d’Entreprise ne puisse discuter des critères de licenciement et pouvoir mettre dans la même charrette les 24 travailleurs ciblés, la direction a prétendu que l’on fermait « des divisions d’entreprises » pour essayer d’entrer dans une logique de fermeture. Or il n’y a qu’une seule entité juridique et qu’une seule unité technique d’exploitation chez IAC. Sur ce volet, la direction d’IAC se trouve donc sur une planche savonneuse,… qu’elle a elle-même savonnée !

Le licenciement des 12 travailleurs protégés pour raisons économiques

La loi interdit le licenciement de travailleurs protégés (délégués ou candidats aux élections sociales). L’employeur peut toutefois faire une demande de levée des protections, pour des raisons économiques, à la Commission paritaire du secteur dont l’entreprise dépend. Celle-ci est un organe paritaire de concertation sociale composée en nombre égal de représentants des employeurs du secteur et de représentants des organisations syndicales. Les décisions s’y prennent à l’unanimité. Dans le dossier IAC, la Commission paritaire a refusé de décider la levée des protections des 12 travailleurs concernés.

L’avocat d’IAC a alors introduit un recours au tribunal civil contre la non-décision de la Commission paritaire en arguant que « dans un Etat de droit, il est toujours possible d’aller en recours contre une décision administrative ». Mais une Commission paritaire, organe de concertation entre des parties qui en général connaissent bien la réalité du terrain social, n’est pas une autorité administrative qui prend des décisions envers des administrés.

D’une manière générale, si on permettait aux tribunaux de trancher les décisions ou les non-décisions des Commissions paritaires, ce serait ouvrir la boîte de pandore et mettre fin à toute concertation sociale. Eric Carlier, l’avocat d’IAC mène un combat politique contre la concertation sociale qu’il estime devoir casser. Malheureusement pour lui, dans l’état actuel du rapport de forces entre les classes sociales, le patronat dans son ensemble ne partage pas ce point de vue et considère que la concertation sociale est un mal nécessaire qui, certes, oblige les employeurs à lâcher des miettes, mais qui a le mérité inestimable de canaliser le mécontentement social.

Le licenciement de 4 travailleurs pour faute grave

En mai dernier, la lutte des travailleurs d’IAC pour tenter d’arracher une négociation sociale a donné lieu à l’occupation pendant plusieurs jours de l’atelier de Meiser. Durant cette occupation plusieurs ordonnances en référé ont été prises par des juges du tribunal civil.

La première requête en référé était dirigée contre 19 occupants identifiés. L’occupation avait commencé un jeudi matin et la juge s’est prononcée le mardi en début d’après-midi en ordonnant aux 19 personnes citées dans la requête un certain nombre de choses : quitter les lieux sous peine d’astreintes, remettre les clés des voitures qui avaient été rassemblées dans l’atelier (il ne s’agissait que du double des clés ; la direction a toujours été en possession des clés originales). Cela é été signifié au domicile des 19 le mercredi matin. Mais il n’y avait pas que 19 personnes dans le bâtiment. Les autres sont donc restées.

L’avocat d’IAC est alors retourné au tribunal civil (devant un autre juge qui n’a même pas pris la peine de prendre connaissance de la première ordonnance !) pour introduire une seconde ordonnance, cette fois contre « quiconque ». Il l’a obtenue le jour-même et l’huissier est revenu à Meiser le mercredi soir, accompagné de la police, pour signifier à tous les présents de quitter les lieux. Parmi les présents il y avait beaucoup de délégués syndicaux d’autres entreprises, venus en solidarité, et quatre travailleurs d’IAC.

Le lendemain, la direction a signifié aux quatre travailleurs d’IAC présents dans les locaux de Meiser le mercredi soir qu’ils n’avaient pas à être là dans la mesure où il y avait eu une première ordonnance, qu’il s’agissait d’une rupture de la confiance et qu’ils étaient par conséquent licenciés pour faute grave.

Deux de ces quatre travailleurs licenciés pour faute grave étant protégés, leur dossier devait passer en justice en procédure rapide (dans les 45 jours). Le 13 juillet 2009, le tribunal du travail a jugé qu’il n’y avait pas faute grave en ce qui les concerne. IAC est allé en appel et vient de perdre en appel devant la cour du travail le 5 novembre. Le procès pour les deux travailleurs non protégés doit encore avoir lieu mais il est fort probable que tribunal du travail suivra, pour eux, les attendus du 13 juillet et du 5 novembre.

Il est intéressant de noter que le tribunal du travail n’a pas reconnu comme étant une faute grave le fait de ne pas obéir à une ordonnance en référé prononcée par un juge du tribunal civil de première instance (par exemple : cesser une occupation, dissoudre un piquet de grève). D’autre part, l’avocat de la direction semblait considérer que le droit de grève signifie juste le droit de cesser le travail, mais qu’il ne peut s’accompagner de « voies de fait » (occuper l’atelier, souder ou cadenasser une porte d’entrée,…) alors que le juge du travail a estimé qu’une occupation d’entreprise en cas de grève était « socialement admise ». Ce qui peut sembler sympathique pour les travailleurs et leurs syndicats. Mais cela reste une notion conservatrice. S’il avait fallu n’admettre, dans le passé, que les actes « socialement admis à une époque donnée », les conquêtes sociales n’auraient pas beaucoup avancé et, par exemple, la lutte des travailleurs des usines de montres Lip à Besançon, qui dans années 70, avaient confisqué le stock de pièces pour produire à leur compte étaient une innovation dans le domaine des actes « socialement admis ».

Le licenciement du délégué principal pour fautes graves

Avec Manu Agostini le délégué principal, la direction y est allée carrément à la mitrailleuse. Il a reçu deux lettres de licenciement pour faute grave. Dans la première, on lui reproche une série de faits inexacts (avoir soudé le volet du garage) et anecdotiques (avoir commandé du café pour les grévistes sur le compte de l’entreprise) et qui se résument finalement à deux griefs principaux : celui d’avoir dirigé la lutte et d’avoir refusé de remettre les doubles des clés des voitures une fois l’occupation terminée. Trois jours après la première lettre, Agostini a reçu une seconde lettre de licenciement pour faute grave sous prétexte qu’il avait déposé plainte auprès de l’Inspection sociale pour non respect de la loi en matière de sécurité et hygiène.

Le 13 juillet, Manu Agostini a gagné son procès au tribunal du travail sur tous les points sauf en ce qui concerne la remise des clés. La FGTB est allée en appel et a fait auditionner devant la cour du travail un enregistrement sonore prouvant que le délégué principal a répété à plusieurs reprises au directeur qu’il ne s’opposait pas à la remise des clefs. Le 5 novembre, la cour du travail a débouté l’employeur.

A l’issue de l’arrêt de la cour du travail du 5 novembre, Martin Willems – Secrétaire-adjoint du SETCa Bruxelles-Hal-Vilvorde – déclarait : « Les prononcés du 3 et du 5 novembre sont syndicalement fondamentaux. Le tribunal et la cour du travail confirment qu’on ne peut contourner la négociation collective en abusant de la notion de « fermeture de division », et qu’un délégué (voire tout militant) ne peut pas être sanctionné par son employeur pour avoir participé ou organisé une action collective. C’est aussi une grande victoire parce que la direction de IAC et de FIAT se fait prendre par sa propre stratégie qui a toujours été de judiciariser le conflit social. Cela démontre pour tous les autres patrons qui seraient tentés par cette stratégie que c’est un piège. Mais le combat n’est pas terminé pour autant. Certains recours sont encore possible pour la direction, deux travailleurs protégés sont encore menacés et nous n’avons toujours pas de plan social. Nous ne lâcherons pas ! »


Le 5 novembre 2009, la cour du travail a débouté, en appel, la direction d' IAC sur le dossier relatif au licenciement pour faute grave de trois travailleurs protégés. C’est une première victoire, mais la lutte n’est pas finie! Nous publions ci-dessous quelques extraits intéressants des arrêts de la cour:

[...]

La Cour du travail est d’avis que le principe qui interdit au juge de se prononcer sur l’opportunité de la grève, l’empêche également de s’immiscer dans le conflit collectif en s’arrogeant le droit de décréter illicite le recours à la grève selon les critères qu’il pose lui-même.

III.1.5.

Le fait de placer des piquets de grève est une pratique inhérente à la grève. Cette modalité de la grève fait partie de l’exercice normal du droit de grève ; elle ne présente un caractère illicite qu’à partir du moment où elle s’accompagne de faits punissables, tels que violences physiques, perturbation de l’ordre public ou autres comportements constitutifs de délits.

De même, l’occupation de l’entreprise, lorsqu’elle s’inscrit dans le cadre d’un « conflit d’intérêts » entre travailleurs et employeur et a pour objectif d’ « assurer l’effectivité du droit à la négociation », est une forme d’action sociale qui doit être admise, pour autant qu’elle ne s’accompagne pas de dégradations de matériel ou de faits engageant la responsabilité pénale des travailleurs.

Les juridictions n’ont pas le pouvoir de décider si une action sociale est ou non licite en se fondant sur la finalité, ce qui revient à s’immiscer dans le conflit collectif.

Les seuls critères d’appréciation, et les seules limites, hors l’interdiction de commettre des délits à l’occasion d’une action collective, sont ceux qui se dégagent des articles 6 et 31 de la Charte sociale européenne.

Dans « Agostini », page 27 :

La Cour du travail considère que les actions incriminées (blocage des accès du site de la société et déplacement des véhicules à l’intérieur du site) constituent l’exercice du droit d’agir collectivement.

Dans Agostini, page 32

Les égards mutuels et la loyauté envers l’employeur, en situation de conflit collectif, ne doivent pas être appréciés de la même manière que durant l’exécution normale du contrat de travail.

Ainsi que le relèvent pertinemment les parties appelantes, le concept de « rupture de confiance » entre les parties n’a pas de sens pendant un conflit social aigu : aucune des parties ne fait confiance à l’autre.

Voir ci-dessus