Partenaires sociaux ou adversaires négociateurs?
Par Mathieu Desclin le Lundi, 15 Juillet 2013 PDF Imprimer Envoyer

Tous les jours, médias, hommes politiques, « spécialistes » et même porte-parole des grandes organisations syndicales nous abreuvent du terme de « partenaires sociaux », pour désigner les représentants des travailleurs et ceux du patronat lorsque des négociations les mettent face à face.

Ce terme, loin d'être neutre, est en fait un conditionnement pour nous faire considérer qu'au-delà de divergences parfois aigües, les protagonistes sont des « partenaires » au sein d'un système, l'économie de marché; qu'ils ont des intérêts communs. Et qu'il est évident que seul l'économie capitaliste représente la réalité . 

Or, les travailleurs n'ont globalement aucun intérêt commun avec les entrepreneurs, les banquiers, les multinationales. Dans l'économie capitaliste, l'ensemble de la richesse sociale est produite par les salariés, et une infime partie de celle-ci leur est restituée sous forme de salaires directs ou différés (les cotisations « patronales » à la sécurité sociale, par exemple).

Depuis que le capitalisme existe, le patronat et les salariés véritables créateurs de la  richesse, sont des adversaires irréductibles, de même que les travailleurs des grands circuits commerciaux, des services publics (administrations, enseignement, santé, etc.) auxquels les patrons et les banquiers doivent « pour faire rouler la machine » retourner une petite partie de la richesse accaparée, une part de leur profit global, suivant la même répartition entre salariés et capitalistes de ces secteurs, par exemple, de la grande distribution, tels Delhaize, Carrefour et autres...

Malheureusement nos capitalistes devaient, hier suivant les pays, maintenant suivant les continents, affronter l'impitoyable lutte de la concurrence pour les marchés, la conquête ou la conservation de ceux-ci et l'élimination de leurs concurrents. Celle-ci est de plus en plus nécessaire dans le cadre idyllique de la mondialisation. Pour mener la guerre de la concurrence, ils devraient donc s'efforcer d'obtenir, sous le nom de « paix sociale », un armistice sur le front social.

Mais dommage pour eux, cette guerre de la concurrence qu'ils ont rebaptisée du beau nom de « compétitivité » les oblige en Europe à attaquer tous les acquis sociaux que des décennies de luttes sociales et d'armistices moins défavorables avaient assuré aux travailleurs. Et sont placés en situation de « guerre sur deux fronts » comme jamais auparavant.

Pourquoi ? Pour réaliser un profit, il faut non seulement produire mais aussi vendre les marchandises produites dans un marché de plus en plus saturé par la mondialisation. Et donc réduire les coûts de production et les prix. Cela pouvait se faire en réduisant les salaires réels, en comprimant un peu la part dévolue à l'encadrement du système. Mais à présent les frais consacrés à faire « tourner la machine », services publics et autres activités non directement productives, ne sont plus assumables par les capitalistes, vu les exigences de la guerre de la concurrence !

Alors, outre les discours sur les « partenaires sociaux », on essaie de faire passer la pilule, on essaie la douce musique du patriotisme des acteurs sociaux : NOTRE compétitivité, NOS entreprises, l'intérêt commun. Mais cette musique-là n'est en fait qu'une cacophonie grinçante aux oreilles de la masse des « partenaires travailleurs » : chômage massif, licenciements, pauvreté et marginalisation, dettes abyssales à rembourser aux banques par ceux qui n'en ont jamais vu la couleur, et la liste est longue encore...

Ah ! Être compétitif pour que les travailleurs d'une entreprise « concurrente » se voient jetés dehors grâce aux sacrifices de ceux d'une firme qui demain à son tour devra fermer en voyant ses gros actionnaires et ses dirigeants se retirer, les pauvres, avec leur avenir confortablement assuré !

Et pourtant... Pourtant ils existent, les partenaires sociaux : banquiers, entrepreneurs et assureurs, mais aussi dirigeants politiques, défenseurs ouverts et sans vergogne et représentants sans états d'âme de l'économie du marché et du profit, seule façon d'après eux d'organiser une société : ils défendent leurs privilèges becs et ongles.

Et hélas, ils existent aussi les seconds couteaux sur lesquels les capitalistes se déchargent d'appliquer leur politique : dirigeants des partis dits socialistes ou sociaux-démocrates qui cherchent désespérément à mettre quelques miettes de « social » dans leur libéralisme « propre », certains hauts dirigeants de grands syndicats qui s'évertuent à préserver leurs petits privilèges d'interlocuteurs courtiers avec des capitalistes qui « ne peuvent plus » leurs concéder de misérables miettes, jusqu'au jour où ils auront achevé de scier eux mêmes la branche sur laquelle ils sont encore inconfortablement assis...

Une économie sociale, solidaire, écologique et alternative peut seule nous sauver de la catastrophe vers laquelle nous allons, et tout enfumage ne peut à la longue masquer cette terrible réalité.

Cet article a été publié dans La Gauche n° 62 du mai-juin 2013

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