Egypte : création d'un "Front socialiste" et recomposition du mouvement ouvrier
Par Dina Samak, Olga Rodriguez, A l'Encontre le Mercredi, 25 Mai 2011 PDF Imprimer Envoyer

Après des années d’activités clandestines, la gauche en Égypte s’est rassemblée dans un Front unique pour agir afin que la révolution de justice sociale prenne tout son sens. Pendant des décennies, le mot « socialisme » a suscité du scepticisme en Égypte. Après plus de quinze ans de pouvoir de Gamal Abdel Nasser, la doctrine autrefois prisée qui fut adoptée par le parti unique régnant jusqu’au début des années soixante-dix est vue par beaucoup comme la cause de l’infortune de l’Égypte dans les décennies qui suivirent. Mais, maintenant que le socialisme arabe de Nasser n’existe plus, ses adhérents, enhardis par la révolution, tentent de se frayer un chemin pour leur retour sur la scène politique.

Il y a quelques jours, cinq groupes socialistes et partis nouvellement créés se sont unis pour former un « Front socialiste ». Selon Yehia Fekry, l’un des fondateurs du parti Alliance démocratique populaire, le Front a pour objectif d’organiser les activités des différents groupes socialistes déjà à l’œuvre sur le terrain, avant et depuis la Révolution du 25 janvier, pour créer une force de gauche plus décisive. L’intention est de rendre une telle entité attractive pour les personnes qui déjà ont sympathisé avec la politique et les idées de gauche, mais qui ne s’identifient comme étant de gauche.

« Tout le monde est dans la rue », dit Fekry, « la question maintenant est de savoir qui va gagner les cœurs et les esprits des masses. La gauche a pour cela une opportunité exceptionnelle car l’une des principales exigences de la révolution, c’est la justice sociale, et l’une de ses principales forces, ce sont les travailleurs. Serons-nous en mesure d’y parvenir ? Cela reste à voir. »

Le nouveau front comprend :

- le Parti de l’Alliance démocratique populaire, au sein duquel des membres de nombreuses organisations de gauche se sont retrouvés pour former un seul parti de gauche. Il s’agit principalement d’anciens membres du Parti Tagammu (le seul parti officiel de gauche dans l’Égypte de Moubarak) qui l’avaient quitté pour rejoindre plus tard l’Alliance après rupture sur la position du parti pour les élections parlementaires de novembre ;

- le Parti socialiste égyptien dont les membres comptent un certain nombre de personnalités de premier plan de la politique égyptienne depuis les années soixante-dix ;

- le Parti communiste égyptien qui, autrefois était organisé, mobilisé et militait au sein du Parti Tagammu, puisque considéré comme illégal jusqu’à la chute de Moubarak ;

- le Parti démocratique des travailleurs, le premier parti de travailleurs en Égypte créé par des militants travailleurs et travailleurs sociaux ;

- les Socialistes révolutionnaires, un groupe de socialistes internationaux qui milita pendant des années sous la tutelle du « Centre d’Études socialistes ».

Le besoin d’une alternative de gauche selon de nombreux militants de gauche est devenu une exigence très importante, même avant le 25 Janvier. « Partout où le système capitaliste existe, les gens ont besoin d’un parti de gauche » dit Gamal Abdel Fattah, militant socialiste qui a bien accueilli cette étape de la formation d’un Front uni de la gauche. « Mais maintenant, un tel parti revêt une grande importance car tous ceux qui ont fait la révolution (les travailleurs et les pauvres) ne sont pas encore au pouvoir et leurs intérêts ne sont pas encore vraiment représentés. » Mais comme beaucoup d’autres, Fattah se souvient que d’autres tentatives de créer un front uni pour la gauche échouèrent.

En 2006, différents groupes de gauche essayèrent de former ce qu’on appela l’Alliance socialiste. Cela visait à créer une alternative de gauche pour œuvrer sur le terrain, surtout avec la nouvelle vague d’actions revendicatives qui émergeaient à l’époque. Pourtant, l’Alliance fut à peine annoncée que les divergences entre ses membres paralysèrent toute coordination sur le terrain.

« Nous avons tous une expérience négative avec une tentative de créer un mouvement uni de la gauche », dit Aida Seif, éminente militante des droits de l’homme, et co-fondatrice du Parti des travailleurs. « Mais le moment actuel est différent de tous ceux que nous avons traversés jusqu’à maintenant. Nous sommes en révolution, et chacune et chacun d’entre nous veut en tirer le meilleur parti ».

Seif croit que les exigences sont plus claires que jamais, et que toute mobilisation qui repose sur ces exigences réussira à attirer la population vers un programme de gauche. « Toutes les tendances politiques parlent de justice sociale, mais c’est cette justice-là qui compte véritablement » dit-elle. « La plupart des nouveaux partis (aujourd’hui) et des syndicats sous contrôle de l’État se sont lancés dans la défense du capitalisme égyptien. Je ne comprends pas pourquoi les gens prennent l’économie de marché pour acquise après tout ce que les travailleurs ont souffert les décennies passées. »

Pour Seif, le principal devoir pour la gauche, dans l’immédiat, est d’aider à la mobilisation des classes laborieuses (et pour elle, cela regroupe tous les travailleurs, les cols bleus comme les cols blancs) pour qu’elles défendent leurs droits. D’autres objectifs sont également cités dans la première déclaration du Front socialiste, notamment le droit à l’égalité pour tous les citoyens et le droit à un État démocratique.

Mais considérant que les partis qui participent à l’action du nouveau Front partagent des programmes similaires, beaucoup se demandent pourquoi la gauche n’a pas un seul parti ?

« Toute l’idée de l’Alliance populaire est de créer un seul parti pour la gauche » dit Fekry. En dépit de bien des efforts pour y parvenir, explique-t-il, d’autres partis n’ont pas accueilli favorablement cette idée de fusion, « aussi nous avons convenu que nous allions essayer de créer une entité d’union, à travers laquelle nous pourrions nous coordonner et travailler ensemble. »

Le Parti socialiste est l’un de ceux qui n’ont pas aimé cette idée de fusion. Ahmed Bahaa Shaaban, l’un des fondateurs du parti, pense qu’il est trop tôt pour que les militants de gauche s’engagent dans un débat sur un programme unifié. « Tous les partis doivent s’élaborer un programme concret et ensuite, nous pourrons engager des discussions sur l’unité, mais jusque-là, nous avons besoin d’un haut niveau de coordination entre nous tous, parce c’est la seule façon pour nous de pouvoir créer un pôle de gauche » dit Shaaban. « L’existence de quatre ou cinq partis de gauche dans un pays avec une population qui dépasse 85 millions ne signifie pas que la gauche a un problème d’union de ses forces. Regardez les libéraux, combien de partis ont-ils ? »

La gauche en Égypte a été une force sur le terrain dès le début du XXè siècle, mais depuis des décennies, les organisations de gauche ont dû militer clandestinement. Cela leur est reproché car elles n’ont pu recruter sur une grande échelle. Avec un mouvement de travailleurs qui prend de l’élan depuis 2006 et un terrain politique aujourd’hui ouvert à tous les groupes pour qu’ils s’organisent, le défi est aujourd’hui plus grand que jamais.

« Nous savons que parler d’une gauche unie peut être vu par beaucoup comme un coup de plus, surtout que les effectifs de chacune de ces organisations n’excèdent pas quelques centaines » dit Hesham Fouad, des Socialistes révolutionnaires. « Cependant, il se présente une énorme opportunité politique sur le terrain, et nous pouvons, avec une réelle organisation, être une vraie force avec des bases populaires profondes. »

Fouad, comme les autres socialistes, croit que la crise économique mondiale qui a éclaté en 2008 s’approfondit et que la colère devant le chômage, la pauvreté et la corruption va monter à cause de la richesse ostentatoire, très rapportée, d’une petite élite au pouvoir soutenue par un système politique impassible devant les besoins fondamentaux de la majorité de la population. « Les gens pensent maintenant que c’est tout le système qui doit être changé, ce qu’il nous faut, en tant que gauche, c’est leur expliquer pourquoi il en est ainsi, et à partir de là, vers où ils peuvent aller. Mais après tout, c’est leur bataille et la gauche ne peut la gagner à leur place, même si elle prend tous les sièges au Parlement ».

Avec un sourire optimiste teinté de scepticisme, Abel Fattah dit : « Les gens disent que chaque fois que deux personnes de gauche se retrouvent ensemble dans la même pièce, elles finissent par être en désaccord sur quelque chose qui leur paraît très important. Mais nous ne pouvons plus nous permettre ce genre de chose. »

Dina Samak

12 mai 2011 - AhramOnline : http://english.ahram.org.eg Traduction : JPP.


Les défis de la gauche égyptienne

La gauche égyptienne a devant elle un moment unique, un terrain nouveau dans lequel tout peut être possible. Dans des centaines d’entreprises réparties dans tout le pays, les travailleurs organisent des grèves dans lesquelles il n’y a pas seulement des revendications pour un salaire digne et un minimum de droits sociaux. Dans plusieurs cas, ils ont ajouté l’exigence de la nationalisation des entreprises dans lesquelles ils travaillent et qui ont été privatisées il y a quelques années suite à la vague de « réformes économiques » de Moubarak, un euphémisme destiné à masquer la vente de compagnies nationales aux multinationales étrangères à un prix bien en dessous de leur valeur réelle. Et avec la bénédiction de Washington, du Fond Monétaire International et de la Banque mondiale.

Ces revendications de nationalisation ont été présentées devant les tribunaux. Les avocats qui défendent les ouvriers allèguent qu’il y a eu corruption dans ces ventes – les responsables des entreprises et du régime ayant été achetés pour fixer un prix de vente au rabais – et que les nouveaux propriétaires n’ont pas seulement renié leur engagement écrit de procéder à des investissements dans les usines, mais qu’ils ont même commencé à les démanteler, à vendre les terrains, dans le seul but de s’enrichir.

En plus de ces demandes de nationalisation d’entreprises, les travailleurs continuent à s’organiser massivement dans des syndicats indépendants et pour l’intégration de ces derniers dans une fédération de nouveaux syndicats libres. Il y a des cas absolument exemplaires, comme par exemple celui de l’Hôpital Mansheat El Bakry à Heliópolis, où les médecins et les infirmières et y compris les conducteurs d’ambulances se sont rassemblés dans un nouveau syndicats indépendant, ont expulsé le directeur, exigé de l’armée qu’elle poursuive en justice les cas de corruption et ont élus un nouveau directeur, un chrétien copte. Un bel exemple de la manière avec laquelle le sectarisme religieux est mis de côté par la lutte de classes.

Les défis sont nombreux. Depuis la chute de Moubarak jusqu’à aujourd’hui, il y a des centaines d’institutions, de représentants de gouvernements occidentaux et d’organisations non gouvernementales étrangères qui ont débarqué en Egypte dans l’intention de « conseiller » et de diriger les projets révolutionnaires des Egyptiens. « Si nous acceptons ces aides financières, nous seront les jouets d’intérêts étrangers » assurent les différents groupes de la gauche socialiste égyptienne.

Le principal débat qui occupe les esprits aujourd’hui tourne autour de la manière de s’organiser avec force sans devoir dépendre de l’intervention gouvernementale ou institutionnelle extérieure et, en conséquence, sans beaucoup de moyens financiers. La nouvelle loi électorale exige pour la création d’un parti un minimum de 5.000 membres – contre 1.500 nécessaires jusqu’à présent – répartis dans une bonne partie des différentes zones géographiques du pays. Chaque membre doit s’enregistrer et payer une petite contribution pour cela et tous doivent payer l’annonce de fondation du parti dans les pages d’un journal, ce qui coûte également de l’argent.

C’est entre autres pour cela qu’un secteur important de la gauche égyptienne ne concentre pas son attention sur les élections parlementaires de septembre ni dans les présidentielles de novembre vu que, si rien ne change d’ici là, il est probable que toutes deux bénéficient aux partis déjà existants sous la dictature – et qui comptent sur une structuration plus solide – ou qui ont plus de moyens financiers.

Une bonne partie des organisations révolutionnaires sont d’accord pour souligner que leur objectif principal est le travail sur le terrain, la construction de réseaux militants au travers des syndicats, des associations et des mouvements sociaux comme autant de plateformes à partir desquelles ont peut exiger et mettre sous pression le pouvoir. Autant de lieux à partir desquels faire progresser l’organisation, l’égalité et la justice sociale qui, ultérieurement, serviront de base pour la construction d’une nouvelle structure politique forte, pour atteindre un système politique, économique et social qui abolisse les pratiques de corruption et les inégalités actuelles.

Les incertitudes et les obstacles sont nombreux, mais il est indiscutable que ce qui est semé aujourd’hui dans le champ social égyptien donnera des fruits qu’il sera difficile de détruire.

Olga Rodríguez. Journaliste et envoyée spéciale du jourbal  « Público » au Caire

Article publié dans le journal  « En lucha / En lluita » http://enlucha.org/site/?q=node/15997

Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be


Un 1er Mai au carrefour du syndicalisme indépendant et d’un parti des travailleurs

Le dimanche 1er mai 2011, pour la première fois depuis quelque 60 ans, les travailleurs et travailleuses d’Egypte et les militants syndicalistes ont fêté le «Jour du travail» indépendamment de l’Etat. Et c’était le premier «Jour du travail» fêté sans être «sponsorisé» par le président Hosni Moubarak et l’organisation syndicale officielle du régime (la Fédération égyptienne des syndicats – ETUF).

Sur la place symbolique de la révolution du 25 janvier, la place Tahrir, des milliers de personnes se sont réunies. Trois thèmes étaient à l’ordre du jour: la création de syndicats indépendants, l’hommage rendu aux 850 personnes ayant payé de leur vie le succès de la révolution du 25 janvier, et le thème de la constitution d’un parti représentant les intérêts propres des salarié·e·s.

Dans diverses capitales des gouvernorats et dans diverses villes ouvrières, des manifestations similaires ont eu lieu. On peut citer ce qu’affirmait, dans le gouvernorat de Gharbiya, le secrétaire du syndicat des collecteurs de l’impôt foncier (RETA), Reda Noaman, pour avoir une synthèse de la revendication portant sur l’établissement de syndicats indépendants : «Nous sommes ici pour commémorer les martyrs et les travailleurs d’Egypte. Nous sommes ici pour demander la dissolution de l’ETUF corrompu, contre laquelle divers verdicts de justice ont déjà été émis. Cette institution pourrie et non démocratique n’a jamais représenté les travailleurs d’Egypte. Elle a représenté seulement les intérêts des hommes de Moubarak et de leur Parti national démocratique.» La direction de l’ETUF était aux mains des membres du PND qui présidaient 22 fédérations sur 24; PND qui a été récemment dissous. Reda Noaman ajoute:  «Aujourd’hui, nous célébrons l’existence de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants qui a été établie durant la révolution de janvier. Au moins 21 syndicats indépendants du contrôle de l’Etat existent aujourd’hui.» Le syndicat des collecteurs de l’impôt foncier a été créé en avril 2009, il a représenté le premier moment de l’institution de syndicats indépendants.

Sur la place Tahrir, un «tribunal populaire» a été mis en scène, pour juger Hosni Moubarak, Hussein Megawer, l’ex-président de l’ETUF, ainsi que l’ancien ministre du Travail, Aisha Abdel Hadi. Dans le cadre des débats, le «tribunal» a mis l’accent sur la revendication d’un salaire minimum de 1200 livres égyptiennes (quelque 190 francs suisses) et un maximum salarial qui ne doit pas dépasser 15 fois le salaire minimum. Parmi les banderoles déployées sur la place Tahrir, l’une proclamait : «Le droit de grève contre la pauvreté et contre la faim est légitime». Cela fait allusion à la décision du Conseil suprême de l’armée, le 24 mars 2011, d’interdire la grève.

Les contre-réformes néolibérales et la question syndicale

La manifestation du 1er Mai, du point de vue des travailleurs, s’est déroulée dans une conjoncture dont deux facettes doivent être mises en relief.

Tout d’abord, la révolution, jusqu’à maintenant, n’a pas encore permis que des revendications ouvrières soient acceptées, entre autres celles portant sur les salaires minimums, sur la diminution radicale des contrats de travail à durée déterminée et leur transformation en contrat à durée indéterminée, sur la mise à l’écart des dirigeants d’entreprises encore étatisées, sur la réétatisation d’entreprises privatisées pour une bouchée de pain et avec un transfert de richesses en faveur de la clique familiale de Moubarak. A ce propos, le gouvernement d’Ahmed Nazif, en lien avec Gamal Moubarak (le fils affairiste d’Hosni), avait vendu en une année 17 entreprises, ce qui a abouti à des licenciements, à la suppression d’avantages sociaux, sans mentionner les gains illicites. De 2002 à 2010, 190 entreprises ont été privatisées, cela dans le cadre du programme d’ajustement structurel mis en œuvre sous la surveillance du FMI et de la Banque mondiale. Kamal al-Fayoumi, qui milite en faveur de la création du Parti démocratique des travailleurs (WDP), insiste sur le fait que les travailleurs «font face dans chaque firme à un personnel dirigeant lié au régime de Moubarak, qui est toujours présent, entre autres sous cette forme».

La création de syndicats indépendants doit aussi être appréhendée à partir d’une donnée socio-économique : selon la statistique officielle, les salarié·e·s, au sens large, sont estimés à 26 millions. Or, 60 % du total des travailleurs sont occupés dans le secteur informel, ce qui implique qu’ils ne reçoivent aucun salaire minimum, qu’ils n’ont droit à aucune assurance maladie, à aucune retraite, à aucune compensation salariale en cas d’absence pour maladie, à aucun salaire pour les vacances, à aucune allocation maternité, et évidemment à aucune protection syndicale. Sameh Naguib, un sociologue de l’Université américaine du Caire, souligne, contre la propagande officielle actuelle: «S’ils [les entrepreneurs] veulent remettre en marche la roue de la production, ils doivent attribuer des droits aux travailleurs. Le problème n’est pas celui des travailleurs, mais celui des directions des firmes qui sont réticentes à reconnaître leurs droits depuis quelque 30 ou 40 ans, particulièrement depuis l’accélération des contre-réformes dès 1991.»

Un défi: créer une organisation indépendante des salariés

Ensuite se pose le problème de l’expression politique des travailleurs, au travers de partis politiques indépendants. A ce sujet, Kamal al-Fayoumi souligne que la nouvelle loi sur les partis politiques fera obstacle à la reconnaissance officielle du Parti démocratique des travailleurs (WDP). Tout d’abord, parce que la loi interdit la création de partis ayant explicitement une base de classe. Ensuite, parce que ces partis doivent réunir au moins 5000 signatures certifiées devant notaire et publiées dans deux quotidiens à large diffusion, ce qui exige une dépense de 1 million de livres égyptiennes. Kamal al-Fayoumi affirme: «Ce fardeau financier pèse sur les pauvres, les travailleurs, les petits paysans, les ouvriers agricoles. Cela indique que la vieille mentalité est toujours présente et que le gouvernement se place aux côtés des hommes d’affaires et non pas des travailleurs.» Il continue: «Nous ne payerons pas un penny; nous déclarerons que notre parti existe déjà sur le terrain malgré cette loi qui ne reflète pas la volonté populaire.»

Et pour lancer un défi à cette législation inique, le WDP se fixe l’objectif de recruter 10’000 travailleurs et 10’000 petits paysans et ouvriers agricoles, et sur cette base de lancer officiellement et publiquement le WDP. En cela, ce parti agit exactement à l’opposé du magma des télécommunications, Naguib Sawiris (qui contrôle le holding Orascom), qui a lancé à grands frais le Parti des Egyptiens libres, un parti qui encourage l’économie libre de marché, l’investissement privé national et étranger, tout en ayant un discours sur la justice sociale. Le sociologue Sameh Naguib résume ce genre d’opération politique ainsi: «Des hommes d’affaires veulent que cette révolution soit démocratique, au sens restreint du terme, mais ce n’est pas la nature du processus en cours si l’on prend en considération les besoins des travailleurs et leur engagement dans le processus de révolution. Sous cet angle, c’est une révolution contre le néolibéralisme.»

Dissoudre l’ETUF et valoriser l’action syndicale indépendante

Kamal Abbas, coordinateur du Centre pour les syndicats et l’aide aux travailleurs, une ONG indépendante qui joue un rôle important pour la construction de syndicats indépendants «fondés sur la démocratie», a engagé avec le CTUWS une procédure pour la dissolution de l’ETUF. Cette procédure vise le chef du Conseil suprême de l’armée, le premier ministre par intérim et le ministre par intérim du Travail. Elle a pour fondement une donnée: ces derniers n’ont appliqué les décisions prises par diverses cours de justice contre la violation des normes d’élection par l’appareil syndical officiel, cela à l’occasion des dernières élections syndicales qui se sont tenues en octobre-novembre 2006.

Kamal Abbas affirme: «Ces mêmes autorités ont pris la décision de dissoudre l’Assemblée du peuple [parlement] et le Conseil sur la base que les élections étaient truquées et donc que les membres de ces deux instances avaient été élus de manière frauduleuse. Le même type de décision doit être appliqué à l’ETUF, puisque les élections étaient truquées de façon similaire.»

La dissolution de l’ETUF pose évidemment – comme on l’a connu dans un processus de «transition de la dictature à la démocratie» dans l’Etat espagnol – la question de la disposition et du contrôle des biens du syndicat officiel étatique. En Egypte, il s’agit de divers instituts dits culturels, de l’Université ouvrière, de cliniques, d’hôpitaux, etc.

Les résistances officielles à la création de syndicats indépendants sont nombreuses et la volonté de maintenir une autre structure, quitte à recycler l’ETUF, se manifeste. Ainsi, Ahmed Hassan al-Boral, ministre par intérim du Travail, déclarait le 13 mars 2011 que les travailleurs avaient le droit de mettre sur pied leur propre syndicat indépendant pour autant qu’ils soumettent pour leur création une documentation exhaustive au ministère ou aux offices locaux de ce dernier. C’est dans les campagnes que les obstacles les plus nombreux sont enregistrés pour la création de syndicats de travailleurs agricoles et de petits agriculteurs.

Enfin, l’inexistence pendant des décennies de structures syndicales indépendantes a créé, comme le souligne Kamal Abbas, une méfiance ou une incompréhension, dans certains secteurs, face aux structures syndicales: «Les travailleurs sont habitués à croire que les syndicats sont des entités gouvernementales que quelqu’un rejoint pour défendre ses intérêts personnels. Nous devons faire un effort important pour convaincre les salariés, les travailleurs ruraux, les pêcheurs que les syndicats sont des organisations qui visent à améliorer l’ensemble des conditions de travail pour tous les travailleurs.»

Ainsi, Kamal Hassan, un pêcheur du gouvernorat du delta du Nil, de Kafr al-Sheikh, se bat pour mettre sur pied un syndicat indépendant. Après avoir fait face aux résistances du bureau dépendant du Ministère du travail dans son gouvernorat, il a réussi finalement, le 17 avril 2011, à créer un syndicat indépendant de pêcheurs, réunissant 262 membres à Abu Kashaba et à Arab al-Gezira. «Nous n’avions jamais eu de syndicat des pêcheurs auparavant. Dès lors nous essayons de susciter l’intérêt concernant le rôle des syndicats dans la protection des droits de ses membres», affirme Hassan. «La plupart des pêcheurs ne sont pas conscients que les syndicats servent à sauvegarder les intérêts de leurs membres et à améliorer les conditions de travail. Nous nous attendons à ce que de nombreux pêcheurs rejoignent nos rangs lorsqu’ils pourront voir les avantages de la syndicalisation.»

Article rédigé par la rédaction d’A l’Encontre, sur la base de conversations téléphoniques et de la presse égyptienne. www.alencontre.org

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