Bruxelles: Veolia confrontée à un accident industriel majeur
Par Marc Laimé le Mercredi, 06 Janvier 2010 PDF Imprimer Envoyer

Depuis un peu plus d’un mois, la multinationale française et sa filiale belge Aquiris, qui a construit et gère une gigantesque station d’épuration, dédiée à l’assainissement des eaux usées de Bruxelles, affrontent violemment les autorités belges, qui lui reprochent d’avoir unilatéralement interrompu le fonctionnement de la station d’épuration, au motif, invoqué par Veolia, que les égouts de la capitale charrieraient jusqu’à la station d’énormes quantités de sables et de gravats.

Ce scandale énorme qui secoue toute la Belgique, générateur d’une pollution gravissime, n’a sans doute pas encore révélé tous ses mystères. Il pourrait aussi recouvrir un véritable accident industriel, lié au dysfonctionnement d’un procédé « innovant » d’élimination des boues d’épuration, que Veolia a justement inauguré à Bruxelles. Une « première » sur laquelle les autorités et les medias belges demeurent étonnamment discrets jusqu’à présent…

Nous avions déjà soulevé cette hypothèse sur «Eaux glacées» le 15 décembre dernier. Or l’emballement de l’affaire en Belgique apporte de l’eau à notre moulin.

Dans un article publié le 24 décembre 2009, le quotidien « Le Soir », rapporte en effet, une information qui passe inaperçue dans l’embrouillaminis de plaintes, rumeurs, décisions de justice et accusations qui fusent en tout sens : «(…) Selon le cabinet Huytebroeck, au-delà de cette date (le 31 décembre 2009), Aquiris n’aurait plus accès aux lignes de crédit des banques. Selon la ministre, Aquiris est toujours incapable de remplir sa mission et se trouve contrainte d’expédier des camions de boue en Allemagne, entraînant un surcoût de 450.000 euros par mois. »

Aquiris, les différentes autorités belges concernées et les medias qui ont consacré des centaines d’articles au feuilleton ont tous focalisé sur "l’entrée" de la station…

Veolia prétend qu’elle est obstruée par des tonnes de sables et de gravats, les autorités belges démentent. On tourne en rond là dessus depuis un mois et demi.

L’information ci-dessus est pourtant étonnante : quel rapport entre une éventuelle obstruction de l’entrée de la station et le fait qu’Aquiris (filiale de Veolia), doive, selon la ministre de l’Environnement de Bruxelles « expédier des camions de boues en Allemagne, pour un coût de 450 000 euros par mois ? »

Sinon que Veolia connaîtrait de graves problèmes avec le traitement des boues d’épuration de sa station géante de Bruxelles ?

L’hypothèse mérite d’autant plus d’être examinée de près qu’un expert de Veolia confirme dans une interview réalisée par « Valeurs vertes », interview en ligne sur le site internet de Veolia Environnement, que la multinationale a pour la première fois développé à l’échelle industrielle à Bruxelles un nouveau procédé d’élimination des boues des stations d’épuration : l’oxydation par voie humide.

Lire l’interview : «Michel Dutang nous parle de l’importance de la RD dans la gestion de l’eau»

«(…) - Valeurs Vertes : Comment faire avancer le problème des boues d’épuration ?

- Michel Dutang : De plus en plus de boues signifie l’épuration de plus en plus d’eau. La création du tout à l’égout il y a quelques décennies, impliquait qu’il n’y ait pas de pollutions industrielles. Lorsqu’on reçoit les produits organiques de la vie azotés et phosphorés, cela donne une bonne qualité de compost. A Narbonne où il n’y a pas de pollution industrielle, les boues sont compostées avec des déchets verts et nous obtenons non plus un déchet mais un vrai produit, surveillé, labellisé. Dans le cas d’une grande ville ancienne avec des millions d’habitants, la même surveillance n’est pas possible, il faut avoir recours à deux grands procédés de destruction dont l’un est nouveau et porteur d’avancées : l’oxydation par voie humide qui est en cours d’installation pour la ville de Bruxelles. C’est comme une cocotte minute de 44 bars de pression qui monte à 200-300 degrés et dans laquelle on introduit de l’oxygène. Ce procédé va traiter les boues de Bruxelles, Milan, Epernay. »

Cette technique expérimentale, développée durant des années par Veolia sur un petit site à Toulouse en France, n’a donc jusqu’à présent été déployée à l’échelle industrielle par la multinationale française qu’à Bruxelles, Milan, et Epernay en France.

Or la presse belge relate par ailleurs que la STEP construite à Milan par Veolia a elle aussi connu des problèmes de fonctionnement… Si notre hypothèse est la bonne, on comprend donc les rumeurs selon lesquelles Veolia voudrait en fait depuis 6 mois vendre sa filiale belge Aquiris au bord de la faillite, comme le relatait le quotidien belge Le Soir du 29 décembre 2009.

Et le fait que le tout nouveau directeur de Veolia Eau, M. Jean-Michel Herrewyn, ait du, à peine nommé, toutes affaires cessantes, se déplacer à Bruxelles l’avant-veille de Noël, pour y rencontrer une heure durant le ministre-président M. Charles Picqué et la ministre de l’Environnement Mme Evelyne Huytebroeck, avant d’accepter le principe d’une expertise contradictoire, semble bien indiquer que le dysfonctionnement de la gigantesque STEP de Bruxelles construite par Veolia pourrait bien se révéler « structurel », et ne pas se limiter à un rocambolesque afflux de sables et de gravats à l’entrée de la station.

Et notre affaire doit bien celer quelques périls, puisque Veolia vient de mobiliser pour l’assister rien moins que l’une des plus grandes agences américaines spécialisées dans la gestion de crise, Hill & Knowlton, dont les références en la matière sont impressionnantes.

Affaire à suivre…

Article de Marc Laimé  (Eaux Glacées) reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'auteur.


Lire aussi l’appel lancé par un collectif de militants associatifs et syndicalistes belges, publié par le quotidien Le Soir, dans son édition du 28 décembre 2009 : « Aquiris ou la preuve par l’exemple des dangers de la délégation d’un service public essentiel. »

Aquiris ou la preuve par l’exemple des dangers de la délégation d’un service public essentiel

L’arrêt de la station d’épuration de Bruxelles-Nord, décidé unilatéralement par Aquiris, filiale du groupe français Veolia Environnement, a eu et continue d’avoir des conséquences dramatiques pour les trois rivières flamandes dans lesquelles se déversent maintenant la moitié des eaux usées de la ville de Bruxelles, et pour tous leurs riverains.

Quelles qu’aient été les raisons de cette cessation d’activités, elles ne sauraient excuser le comportement irresponsable de cette société qui a osé polluer gravement une région entière dans le seul but de faire monter les enchères dans sa négociation avec les services de la Région de Bruxelles Capitale pour décider qui devait assumer la responsabilité, et donc le coût, de dégager l’entrée de la station. La « sécurité » invoquée par l’exploitant pour justifier cet arrêt a bon dos. Son intention proclamée de rétablir le fonctionnement de la station et de se présenter comme sauveur allant « au-delà de ses obligations contractuelles » est particulièrement cynique : il pouvait très bien prendre ce genre de décision avant d’anéantir volontairement ses « années d’efforts pour assainir les eaux de la Senne, du Ruppel, de l’Escaut et d’autres rivières ».

Le débat tend maintenant à épouser les lignes, classiques dans notre pays, de la querelle communautaire : les eaux usées bruxelloises ont pollué des rivières flamandes, reflet du cycle de l’eau qui se joue bien des frontières humaines. Ce débat est inévitable aujourd’hui mais sans doute pas le mieux adapté à la question qui nous occupe ici : quoi qu’il advienne de la Belgique, néerlandophones et francophones resteront voisins et continueront de devoir gérer ensemble leurs rivières communes. La question de savoir au nom de quoi une entreprise privée peut se permettre de prendre en otage l’environnement d’une région entière par le monopole qu’elle détient de la gestion d’un service public essentiel est beaucoup plus grave et ne doit pas être occultée. Nous demandons donc à la Région de Bruxelles Capitale de prendre les mesures qui s’imposent :

1. Prendre le contrôle d’Aquiris pour que pareil scandale ne se reproduise pas.

2. Associer démocratiquement l’ensemble des riverains des rivières concernées, et leurs institutions représentatives, à la gestion des eaux des bassins versants qui traversent la Région pour ne pas laisser la question de l’eau otage des querelles communautaires.

(*) Riccardo Petrella (professeur à l’UCL), Martin Pigeon (Corporate Europe Observatory), Francis Dewalque (groupe AGCS Forum social de Belgique), Raouf Ben Amar (Forum social bruxellois), Gilbert Lieben (CGSP Admi), Sophie Heine (politologue), Kim Lê Quang (Aquattac), Francine Mestrum (Global Social Justice), ACME-France, Raf Verbeke (syndicaliste), Anna Theisen (Forum social Brabant wallon).

Voir ci-dessus