Les Soviets + l’électricité?
Par Daniel Tanuro le Dimanche, 14 Novembre 2004 PDF Imprimer Envoyer

“Toujours plus, toujours plus vite" est la devise qui pourrait s'inscrire en lettres d'or au fronton du capitalisme. Toujours plus de marchés, toujours plus de choses transformées en marchandises à faire circuler toujours plus vite. Toujours plus de profits, toujours moins de coûts. Toujours plus de salariés dans des villes toujours plus grandes dont le ravitaillement dépend d'une agriculture toujours plus intensive. Toujours plus de ressources naturelles - y compris la force de travail humaine ! - consommées de façon toujours plus productive (de sorte que la quantité absolue de ressources prélevées augmente alors que leur part relative dans la production diminue). Telle est la logique infernale de l'accumulation capitaliste.

Tôt ou tard, cette logique devrait se heurter à une limite matérielle. Osons un parallèle. Les marxistes ont l'habitude d'expliquer que même le capital le plus "automatisé" ne pourra jamais se passer de la force de travail humaine, seule source de plus-value. Eh bien! Le même raisonnement vaut pour l'autre "source de toute richesse" (Marx): le capitalisme ne pourra jamais s'affranchir de la nature qui fournit gratuitement l'eau, l'air, le sol, les minerais, les produits végétaux, etc. Cela signifie qu'il y a une contradiction fondamentale entre la dynamique tendanciellement infinie de l'accumulation capitaliste et le fait que les ressources du globe sont limitées. Sans caresser l'illusion que le capitalisme s'effondrera de lui-même, il est clair que cette contradiction pèse de plus en plus lourdement sur les rapports sociaux, économiques et politiques.

A cet égard, la question de l'énergie constitue un enjeu majeur. Car qui dit accumulation de marchandises dit consommation croissante de ressources énergétiques. Les combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz) ont été la cible principale de cette boulimie capitaliste. Après la seconde guerre mondiale, la conscience que les réserves pourraient se tarir s'est développée petit à petit. Mais, plutôt que d'alimenter une critique de l'accumulation, cela a débouché sur le fantasme d'une énergie inépuisable, sorte de potion magique permettant au système de sauter par-dessus sa propre tête. Quand Tchernobyl a montré que le rêve nucléaire risquait de se transformer en cauchemar, on a une fois de plus refusé de voir la réalité en face et le capital s'est réorienté vers les énergies fossiles (d'autant plus facilement que la domination impérialiste faisait baisser le prix du pétrole). Mais le spectre de l'étranglement énergétique devait revenir le hanter, tôt ou tard. 

Et nous en sommes là. Car, entre-temps, un nouvel élément est intervenu: le changement climatique. L'utilisation des combustibles fossiles produit du gaz carbonique (CO2) qui s'accumule dans l'atmosphère et augmente l'effet de serre. Un engrenage de réchauffement planétaire accéléré s'est mis en marche qui fait peser une menace très sérieuse non seulement sur les écosystèmes mais aussi sur les conditions d'existence de centaines de millions de gens. Comble de l'injustice: les plus pauvres seront les principales victimes, alors qu'ils n'ont aucune responsabilité dans le phénomène. 

Une catastrophe climatique majeure est-elle évitable ? Oui. Il faut que la concentration en CO2 à la fin du siècle ne dépasse pas le double de ce qu'elle était à l'ère pré-industrielle. Pour cela, les émissions doivent diminuer de 60% d'ici 2050 et la part des énergies renouvelables doit être multipliée par six. C'est techniquement possible: en réduisant drastiquement le gaspillage énergétique (notamment le transport routier et aérien), en donnant la priorité absolue à la recherche et à l'utilisation des énergies renouvelables, en mettant en œuvre un vaste plan de développement propre du tiers-monde. 

La vraie question est: la catastrophe pourra-t-elle être évitée dans le cadre capitaliste, et comment ? En supposant que la classe dominante finisse par prendre conscience du danger, il est évident qu'elle y répondra en fonction de ses intérêts, et à sa manière. C'est-à-dire: 

1°) en tentant de reporter les échéances (depuis le Sommet de la Terre en 1992, un temps précieux est perdu pour ne pas écorner les profits dans le pétrole, l'automobile, la production d'électricité); 2°) en maintenant par tous les moyens sa domination impérialiste sur le tiers-monde; 3°) en déplaçant le problème, afin de ne pas remettre en cause la logique d'accumulation (c'est pourquoi le nucléaire revient dans le débat). 

Face à de tels enjeux, c'est peu dire que la gauche a un travail d'élaboration à entreprendre. Parfaitement pertinente dans le contexte russe de l'époque, la définition léniniste du socialisme - "les Soviets + l'électricité" - est aujourd'hui insuffisante, voire dangereuse, si on ne précise pas que l'électricité sera produite à partir de sources renouvelables, que l'énergie sera partagée au niveau mondial et que la mutation énergétique sera un des fils rouges de la transition vers une alternative de société qui devra être non productiviste.

 

Voir ci-dessus