Action contre des pommes de terre OGM. Patates détruites, militante licenciée
Par Par Jean Peltier, Isabelle Stengers le Jeudi, 21 Juillet 2011 PDF Imprimer Envoyer

Wetteren, charmante petite commune de Flandre orientale, à proximité de la centrale nucléaire de Doel, abritait jusqu’il y a peu un champ expérimental de pommes de terre OGM appartenant à un centre de recherche affilié à l’Université de Gand.

Dimanche 29 mai,  quelques dizaines de militants anti-OGM ont largement détruit cette culture. Si les OGM sont une source de profits importants pour des secteurs de la recherche pharmaceutique et de l’industrie agro-alimentaire, ils sont une menace directe pour la survie d’une agriculture paysanne, mais aussi pour la santé de la population. C’est d’autant plus vrai avec des sites comme celui de Wetteren où les essais ont lieu en plein air et où existe donc un sérieux risque de contamination des cultures voisines et de l’environnement par les semences OGM.

Licenciement scandaleux

Parmi les militants anti-OGM se trouvait une chercheuse au département d’urbanisme de l’université à l’université catholique de Leuven (KUL), Barbara Van Dyck. Dès qu’elle a appris sa participation à cette action, l’université n’a pas hésité à la licencier sur le champ, estimant qu’il s’agissait "d’une attaque inacceptable contre la liberté et l’indépendance de la recherche scientifique".

Barbara ne voit évidemment pas les choses de cette façon. "Le problème des OGM est un problème important qui s’inscrit plus largement dans celui de l’avenir de l’agriculture en général. On fait face à une profonde transformation de notre système agricole, avec une privatisation progressive des semences qui rend de plus en plus compliqué, voire impossible, le développement d’une agriculture de type paysanne". Et les OGM sont un des aspects les plus dangereux de ce processus de privatisation des semences. "C’était un champ d’essai. Mais ces essais ne sont qu’une étape préalable à la commercialisation des semences OGM. On passe par la recherche scientifique pour mettre les OGM sur le marché. C’est une des conséquences du financement privé de la recherche. Les universités ont aussi besoin de financements privés mais il faut se poser la question des conséquences que ces financements peuvent avoir."

Une pétition a été lancée pour s’opposer au licenciement de Barbara Van Dyck. Vous pouvez la signer sur  www.thepetitionsite.com/4/petitie-tegen-ontslag-barbara-van-dyck


Face à la menace que représentent les OGM et à la mainmise des grandes entreprises sur la science : « Enseigner et écrire des livres est tout à fait insuffisant »

Le 7 mai 2000, 200 personnes participaient au Festival de résistance aux OGM. Celui-ci se concluait par la décontamination d’un centre expérimental de la firme Monsanto, près de Namur. Le procès eut lieu en 2003. Lors de la dernière audience, Isabelle Stengers, professeur de philosophie des sciences à l’ULB, s’exprima au nom des 13 prévenus.

Nous publions ci-dessous des extraits de son allocution. Les arguments développés restent pleinement d’actualité dans le contexte de l’action menée à Wetteren contre un champ de pommes de terre OGM.

Le texte complet est consultable ici : http://www.hns-info.net/article.php3?id_article=3626

Par Isabelle Stengers

Madame la Présidente,

(…) L’action qui nous est reprochée avait pour première motivation de demander à l’opinion publique et aux politiques de penser à l’avenir qui se prépare et nous semble redoutable. (…)

Mon métier d’enseignant et les livres que j’ai écrits sont largement consacrés à la question du rôle des sciences, et de l’argument d’autorité scientifique, dans nos sociétés modernes. J’y plaide le caractère crucial d’une démocratie vivante, où ceux qui sont intéressés à une décision sont reconnus comme interlocuteurs légitimes, ayant le pouvoir d’objecter et de mettre à l’épreuve la fiabilité des experts. J’y montre les raisons de la fiabilité des productions scientifiques spécialisées, liées précisément à ce que toute la communauté compétente a pour rôle légitime d’objecter et de mettre à l’épreuve. J’y souligne le déséquilibre qui se produit lorsqu’une proposition issue des sciences sort des lieux de recherche, car à ce moment-là nul ne contrôle plus que toutes les objections qu’elle peut soulever ont été prises en compte et évaluées. (…)

Expertise peu fiable

(Pour) faire connaître ses objections, (…) enseigner et écrire des livres est tout à fait insuffisant. En effet, ce genre de production est bien incapable de mettre en question la différence entre les experts reconnus comme faisant autorité et ceux ou celles, dont je fais partie, à qui on demande de ne pas se mêler de ce qui n’est pas censé les regarder. C’est là que nous nous heurtons aux limites de la démocratie telle qu’elle fonctionne actuellement.

Comme je l’ai écrit dans mon livre " Sciences et pouvoirs ", (p. 96-97) du point de vue de sa fiabilité, nos sociétés modernes ont la science qu’elles méritent, fort peu fiable en l’occurrence là où les pouvoirs ont la liberté de nommer leurs experts. (…) (Pour) le cas des OGM : l’expertise est dominée par des biologistes de laboratoire qui n’ont que peu d’expérience de ce qui se produit dans les champs, et aucune expérience des conséquences socio-économiques des innovations agricoles, mais qui jugent en revanche normal et légitime que leurs " réussites " biotechnologiques soient synonyme de progrès.

Quand l’invitation m’est parvenue de participer à la rencontre à propos des OGM, je me suis considérée comme tenue, car l’engagement de ceux qui s’opposent aux OGM correspond très précisément à ce qui, pour moi, reste le privilège des régimes démocratiques, un privilège qui, à chaque fois, doit être réaffirmé aux risques et périls de ceux qui prennent les moyens d’objecter. On entend beaucoup parler aujourd’hui de forums citoyens, où on demande à des personnes non impliquées d’écouter les arguments et les contre-arguments experts à propos d’une innovation (…). Aujourd’hui, le poids d’une telle démarche est inséparable des actions d’opposition plus directes.

C’est par exemple à cause de cette opposition, que des objections scientifiques qui n’avaient trouvé aucun écho ont été enfin entendues, que des questions ont enfin pu être posées, qu’en Grande-Bretagne des informations hautement significatives ont pu être produites à propos de l’impact négatif de la mise en culture des OGM sur la biodiversité. (…) Lorsque l’on réunit des personnes au départ sans opinion et qu’on leur soumet le dossier des OGM (…), "plus ils en apprennent moins ils sont favorables aux OGM". C’est ce que je répondrais à ceux qui affirment que les pratiques minoritaires ne sont pas démocratiques (…) : c’est grâce à de telles pratiques qu’une innovation qui était censée être acceptée sans problème, au nom du progrès, est devenue pensable et discutable, bref " publique ", et que nous pouvons savoir aujourd’hui que, convenablement informés, la majorité des citoyens la refuseraient plus que probablement.

Confinement impossible

Moi-même, qui me pensais plus ou moins au courant, j’en ai encore appris au cours de ce processus (…). En effet, j’avais d’abord cru, naïvement, que les champs d’essai devaient répondre aux questions portant sur les risques écologiques, et mon opposition venait de ce que je ne faisais pas confiance à ceux qui ont intérêt à ce que passe une innovation pour en interroger les inconvénients. Mais les disséminations volontaires d’OGM n’ont, globalement, pas cette fonction, elles répondent seulement aux pratiques usuelles des semenciers (…).

Nous connaissons aujourd’hui le rapport de la Royal Society, qui lui, en effet, répond à certaines des questions et objections à l’encontre des OGM, c’est-à-dire les confirme, mais il ne peut le faire que parce que les moyens de le faire ont été pris, et cela par une institution officielle, en raison de l’opposition publique manifestée contre les OGM. En d’autres termes, c’est parce qu’il y a eu opposition que nous pouvons avoir des réponses à des questions que les semenciers, eux, n’ont jamais pris la peine et les moyens de poser.

(…) Monsieur Lannoye vous a parlé des conséquences prévisibles pour le Tiers Monde. (…) Mais l’impact social et écologique des OGM concerne aussi nos pays. Et, dans ce cas, l’avenir est déjà là : il suffit d’aller voir ce qui se passe au Canada. Percy Schmeiser vous a décrit les conséquences pénales, au Canada, de la contamination des champs, les poursuites engagées par Monsanto contre des agriculteurs qui sont, en fait, ses victimes. Il y a quelques années, les biologistes experts affirmaient que les OGM resteraient confinés. Aujourd’hui, ils reconnaissent que c’est impossible, et que la coexistence entre cultures est condamnée. Mais les conséquences de cette impossibilité ne regardent pas les producteurs d’OGM : tous repoussent la possibilité d’assumer une quelconque responsabilité. (…)

Développement non durable… mais profitable

On parle beaucoup de " développement durable " aujourd’hui, mais on a affaire ici à l’exemple même de développement NON durable, d’une course en avant sans fin, de plus en plus coûteuse et sans doute de plus en plus destructrice. Mais extrêmement profitable pour les industries au pouvoir desquelles nous serons tombés pieds et poings liés. (…)

Madame la Présidente, en affirmant ma participation à l’action sur les champs de Monsanto, je ne revendiquais pas une action qui aurait eu un but ou une intention de " destruction méchante ". Il s’agissait d’une action ayant pour seule finalité de participer à ce qui, j’en ai l’intime conviction, est le seul moyen de défense un tant soit peu efficace à la disposition de ceux et celles qui perçoivent la menace grave qui pèse sur notre avenir commun. (…)

Voir ci-dessus