La question nationale en Belgique: suite et pas fin
Par LCR le Mardi, 16 Mars 1993 PDF Imprimer Envoyer

Résolution du Comité central du POS (ex-LCR) sur la question nationale en Belgique, mars 1993.

1. Jamais l'Etat unitaire bourgeois belge, fondé en 1830 par les grandes puissances européennes, n'a été capable de réaliser la cohabitation harmonieuse des différents peuples vivants sur son territoire. Cette "incapacité" est enracinée dans le caractère inégal du développement du capitalisme et dans le caractère non-démocratique de l'Etat bourgeois.

Le renversement de l'Etat bourgeois et la fondation d'une société de démocratie socialiste sont les conditions pour donner une issue démocratique aux aspirations nationales démocratiques qui vivent parmi les peuples flamand et wallon. Cette issue est à son tour la condition pour pouvoir combattre le nationalisme, terreau du racisme et du fascisme.

2 Le POS rejette l'idéologie nationaliste. Parce qu'elle attribue une place ou une qualité spéciale à la nation en question, cette idéologie est source de discrimination, de haine et de violence entre les peuples. Elle privilégie l'unité des différentes classes au sein de la nation par rapport à l'unité de la classe des travailleurs (internationalement, mais aussi au sein des frontières nationales, entre les différentes, nationalités et ethnies qui cohabitent sur le territoire). Le nationalisme enchaîne la classe ouvrière à sa propre classe dominante, qui l'opprime et l'exploite. Il donne la direction des luttes nationales d'émancipation à des couches bourgeoises et petite-bourgeoises qui ne sont pas capables de mener cette lutte à terme.

Le POS fait une distinction entre le nationalisme et la lutte des nations pour leur émancipation sociale, démocratique et nationale (dans les pays dépendants cette lutte est souvent menée sous le drapeau du "nationalisme révolutionnaire"), que nous appuyons bien évidemment. La distinction entre nations opprimées et nations oppresseuses est ici déterminante.

Plus généralement, le POS fait une distinction entre le nationalisme et la conscience nationale. Le POS respecte la conscience nationale, qui est la conscience spontanée d'appartenir à un groupe humain plus large. Des individus s'identifient à une nation à travers la culture, la langue (et, éventuellement, la religion). Cette conscience nationale est donc plus large que la simple lutte pour les droits démocratiques nationaux, et elle existe indépendamment du fait si la nation en question est opprimée ou non. Appartiennent à une nation tous ceux et toutes celles qui choisissent librement cette option. Ce choix ne doit pas être amalgamé avec la « citoyenneté ». Le POS est partisan d'accorder la citoyenneté et l'ensemble des droits démocratiques qui y sont liés à tous ceux et toutes celles qui habitent un territoire donné, indépendamment de la nation dont ils se revendiquent.

La liaison entre les concepts de nationalité et de citoyenneté mène à une vision multiculturelle de la société, mais implique le respect des droits nationaux de la majorité (nous rejetons donc, par exemple, le bilinguisme en Flandres et en Wallonie).

Notre perspective est le dépassement de la conscience nationale par la conscience d'appartenir à un ensemble humain plus large, et, finalement, par la conscience humaine universelle. Mais ce dépassement est un processus historique compliqué qui couvrira toute une période et ne connaîtra son accomplissement que sous le communisme. L'internationalisation des forces productives, la division internationale du travail et la globalisation des problèmes (crise écologique, guerres, ...) constituent dès maintenant la base objective de cette évolution. Mais l'internationalisme ne se décrète pas. Il doit s'appuyer sur une conscience effective qui ne peut se former qu'à travers une expérience sociale concrète commune, à travers les luttes de classes.

Voilà le cadre plus large à l'intérieur duquel le POS inscrit sa lutte pour le fédéralisme, une société multiculturel-le et l'égalité des droits politiques et sociaux.

3 Dans le cadre concret de la Belgique le POS rejette également le séparatisme, c'est-à-dire la lutte pour des Etats flamand et wallon séparés. Le POS est au contraire d'avis que la solution des grands problèmes auxquels l'humanité est confrontée nécessite une collaboration au sein de cadres plus vastes (l'Europe, le monde), collaboration couplée à la reconnaissance des droits démocratiques nationaux des peuples.

En Flandres, le séparatisme est la conséquence ultime de la lutte d'une partie des nouvelles "élites" régionales, qui estiment être plus fortes, dans le cadre de l'Europe du Capital .sans le poids de l'Etat unitaire belge, et qui voient dans le séparatisme le moyen de réduire le poids du mouvement ouvrier organisé et les acquis de "l'Etat providence".

Unité pour imposer au niveau belge (et européen) une issue socialiste, et non séparatisme pour se soustraire à l'emprise de l'Etat unitaire: voilà la perspective stratégique que le POS propose aux classes ouvrières flamande, wallonne et d'origine immigrée.

Une solution démocratique, par un accord réciproque entre les peuples, est la condition pour garantir la gestion en commun de l'héritage commun qui découle de plus de 150 ans d'histoire commune dans le cadre de l'Etat belge. La place de Bruxelles dans le cadre de la Belgique est telle que personne ne peut contourner cette question de l'héritage commun.

4 Le POS rejette le « fédéralisme d'union, qui est la réponse bourgeoise à la crise des nationalités, et qui à travers la troisième phase de la réforme de l'Etat, acquiert un caractère provisoirement achevé. Ce fédéralisme d'union n'est ni démocratique, ni fédéraliste. Sa fonction est de stabiliser et de relégitimer l'Etat belge.

Ce fédéralisme d'union n'offre pas de cadre démocratique permettant de combiner le développement inégal des deux parties du pays dans un projet commun et solidaire, favorable aux deux peuples. Voilà pourquoi il ne permettra pas d'éviter que, tôt ou tard, les tensions communautaires se manifestent avec une force renouvelée: soit parce que les aspirations sociales et démocratiques de la société se heurteront au caractère non-démocratique de la réforme de l'Etat, soit parce que les ambitions des nouvelles "élites" régionales se heurteront à l'incapacité de l'Etat unitaire de les imposer, soit par une combinaison des deux. Cette situation continuera à alimenter le développement du nationalisme chauvin.

5 Si la classe ouvrière s'avère incapable d'avancer ses propres solutions contre la politique d'austérité, le poison nationaliste prendra inévitablement le dessus en son sein. Le POS propose que le mouvement ouvrier, à partir des revendications immédiates et des aspirations qui vivent parmi la population laborieuse, mobilise dans l'unité contre la crise et contre l'austérité, pour un programme qui comporte également une réponse démocratique à la question nationale.

L'unité de la classe ouvrière est une condition afin de mener ce combat avec succès. Le POS s'oppose par conséquent à toute scission communautaire des structures du mouvement ouvrier organisé. Il s'oppose également à toute différenciation communautaire des conditions de travail, du niveau des salaires, etc. Et il s'oppose pour les mêmes rai-sons à la scission de la sécurité sociale.

La défense de l'unité de la classe ouvrière ne peut d'aucune façon être confondue avec la défense du cadre de l'Etat bourgeois unitaire.

6 Le POS estime qu'une solution démocratique de la question nationale doit se baser sur une réorganisation (con)fédérale de la Belgique, basée sur l'existence de deux peuples (et d'une minorité allemande) ainsi que sur une vision multiculturelle de la société. Le niveau belge doit continuer à disposer des pouvoirs qui lui seront attribués de commun accord par les constituantes flamandes et wallonnes. Ceci implique l'abolition de la monarchie et la fondation de la république. Des mesures démocratiques radicales (contrôle et révocabilité des élus, représentation des femmes, droits égaux pour tous,...) doivent renforcer le caractère démocratique de ce confédéralisme.

Une solution concrète dans le contexte belge pourrait consister en une structure double du pouvoir politique, par exemple une chambre composée proportionnellement, et un Sénat paritaire, qui se tiennent mutuellement en équilibre.

Le pays doit être réorganisé rigoureusement sur base du principe de la territorialité. La base des structures démocratiques est constituée par la communauté des gens qui vivent sur un territoire déterminé. Les habitants de chaque entité fédérée sont pleinement souverains pour l'ensemble des questions posées à l'intérieur de leur territoire, sauf limitations imposées par un niveau supérieur auquel l'adhésion a été décidée librement (le niveau belge, européen, ...). Le pays est subdivisé en trois régions: la Wallonie, la Flandre et Bruxelles. Les habitants de Bruxelles, sur le territoire des dix-neuf communes, optent, lorsqu'il s'agit d'élections pour le niveau belge ou européen, pour le collège électoral soit flamand, soit francophone. Des mécanismes spécifiques garantissent la présence de Bruxelles aux niveaux du Sénat et de l'Europe. Pour la chambre, Bruxelles constitue un district électoral bilingue.

Le principe de la territorialité que nous défendons est complémentaire à une vision multiculturelle de la société. Tout qui s'établit sur le territoire de la Flandre, de la Wallonie ou de Bruxelles, y jouit pleinement des droits politiques, sociaux et autres, liés au fait de faire partie de la communauté établie sur ce territoire (citoyenneté). A l'intérieur de chaque entité fédérée, il faut garantir le respect des minorités linguistiques, culturelles ou autres.

La minorité allemande a le libre choix, soit d'adhérer à une autre région, avec des garanties pour ses droits culturels (par exemple en maintenant la Communauté Allemande), soit de former une région propre et d'être intégrée au collège électoral francophone pour ce qui concerne les élections nationales ou européennes. La population allemande ne semble pas opter pour un retour sur l'annexion des cantons allemands par la Belgique après la première guerre mondiale. Mais, si une majorité se prononçait dans ce sens, ce choix devrait être respecté.

La frontière entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles ne peut être changée sauf accord réciproque entre les deux peuples constituants (une majorité des deux groupes au Sénat par exemple). Dans ce cadre, le POS défendra pour les Fourons le fait de respecter le choix que pourrait faire la majorité des habitants des Fourons.

7 Bien que la lutte pour le pouvoir politique continue à se dérouler fondamentalement au niveau belge, la classe ouvrière doit aujourd'hui inscrire sa lutte d'emblée dans une perspective européenne. Il est difficilement imaginable qu'une solution démocratique de la question nationale en Belgique soit possible sans victoire, à l'échelle européenne, de la lutte pour une Europe des travailleurs et des peuples. Une Belgique socialiste et fédérale se battra pour la constitution d'une fédération socialiste à l'échelle européenne (qui rendra peut-être un niveau belge superflu), dans la perspective de la fédération mondiale des états socialistes.

Résolution du Comité central du POS, mars 1993

Voir ci-dessus