Orange-bleue amère pour les sans-papiers
Par LCR le Jeudi, 11 Octobre 2007 PDF Imprimer Envoyer

Il est pour le moins significatif que le premier accord digne de ce nom engrangé par l’Orange bleue en cours de formation se soit fait sur le dos des sans-papiers. Qu’un futur gouvernement commence par se souder à travers le déni flagrant des droits sociaux et démocratiques des plus exploités et opprimés d’entre nous, cela a le mérite d’annoncer la couleur de ce qui va suivre.

Milquet a beau se contorsionner dans tous les sens, on ne voit rien « d’humaniste » dans cet accord qui prolonge et aggrave les politiques antérieures. Les critères de régularisation seraient fixés par une circulaire, soit, mais quels critères ? Et en écartant toute idée d’une commission indépendante, le pouvoir discrétionnaire du Ministre de l’Intérieur restera d’actualité et sera renforcé. On se targue par ailleurs de tenir compte à l’avenir des procédures particulièrement longues devant le Conseil d’Etat. Mais c’est déjà en partie le cas et si cela peut être bénéfique pour la catégorie concernée, on risque surtout de renforcer la division artificiellement entretenue entre les demandeurs d'asile et ceux qui n'ont pas introduit une telle demande.

Quant à l’enfermement des familles avec enfants, on atteint le sommet de l’hypocrisie avec la promesse de centres « adaptés » par le réaménagement… d’anciennes casernes. La belle affaire ! Même avec des murs colorés, des bacs à sable et des Légos, une prison reste une prison si l’on y enferme des personnes contre leur volonté. Et même « limitée » dans le temps, l’enfermement des enfants constitue toujours une violation honteuse des traités internationaux pourtant ratifiés par la Belgique.

Et que dire des conditions plus « strictes » qui seront appliquées pour obtenir la nationalité ou le regroupement familial ? On n’en n’est pas aux test d’ADN comme en France, mais la tendance est visible ; l’immigré est forcément un suspect, un « menteur » qui, à l’encontre des règles du Droit, doit prouver lui-même (et souvent avec des preuves impossibles à fournir) sa propre innocence.

Marché aux esclaves salariés

En rejetant toute régularisation collective – ni de manière permanente, ni ponctuelle – c’est une gifle que le futur gouvernement en gestation adresse aux milliers de sans-papiers et de personnes solidaires qui se mobilisent depuis deux ans par des manifestations, des occupations ou des grèves de la faim. En privilégiant la procédure individuelle, longue et souvent inique, on maintien des milliers de personnes dans la clandestinité, la peur de l’expulsion et dans l’exploitation du travail au noir.

La volonté d’organiser une « immigration économique » revient à organiser l’importation sélective d’une « marchandise-force de travail » adaptée aux seuls besoins du patronat. Ces derniers sont d’ailleurs comblés puisqu’ils disposeront d’une part d’une masse de sans-papiers clandestins exploitables sur place et d’autre part d’une main d’œuvre « légalement importée » dont ils n’auront pas assumé les frais de formation et offerte sur un plateau par les autorités. Avec l’immigration économique, on en vient ainsi à une forme moderne des marchés aux esclaves du passé, où seuls les plus robustes et en bonne santé étaient sélectionnés et achetés. Après tout, le salariat n’est que la forme capitaliste de l’exploitation du travail humain, comme l’esclavage était celle du mode de production antique.

Outre son aveuglement, son caractère profondément injuste d’un point de vue des droits sociaux et démocratiques, la politique actuelle est également criminelle. Le maintien des centres fermés – 5.000 personnes y sont enfermées par an en moyenne dans les six centres - et des expulsions de manière « forcée mais humaine » ne peut que continuer à multiplier les cas de désespoir, de révoltes légitimes et de répression brutale de la part des forces de police, avec les soi-disant « dérapages » à la clé que l’on connaît. Quatre sans papiers sont ainsi décédés au cours de ces derniers mois dans des centres fermés ou ouverts. Enfermer et expulser « humainement » des gens qui n’ont commis aucun crime est un non-sens ; les criminels ne sont pas ceux qu’on enferme, mais bien ceux qui enferment.

Quelle stratégie ?

Le mouvement des sans papiers et des collectifs solidaires est à un carrefour et se cherche une stratégie. Les courageuses grèves de la faim, les occupations isolées ou généralisées et les manifestations n’ont visiblement pas suffit et ne suffiront sans doute pas à infléchir ce (toujours probable) futur gouvernement.

Comme ce fut le cas récemment aux Etats-Unis, avec un certain succès,  il faut imaginer une action de masse qui puisse démontrer la force et l’apport économique des personnes dites « illégales » en Belgique. Dans ce sens, l’organisation d’une grève générale massive des sans-papiers, appuyée par les travailleurs/euses « avec » papiers des secteurs où ils sont les plus présents, pourrait débloquer la situation. Les travailleurs/euses « clandestins » se comptent par milliers dans les secteurs du nettoyage, de l’hôtellerie, de la restauration ou de la construction. Leur exploitation massive permet aux patrons de faire pression sur les salaires et les conditions de travail de tous et toutes.

Une telle grève permettrait de rendre visible l’ampleur de cette exploitation et les intérêts communs des travailleurs/euses « avec » ou « sans » papiers à la combattre avec les armes de la solidarité de classe. Les organisations syndicales de ces secteurs sont donc, avec l’auto-organisation des sans papiers eux-mêmes, les plus capables de prendre l’initiative d’une telle grève afin d’exiger :

  • La régularisation massive et permanente de tous les sans-papiers sur base de critères clairs
  • L’arrêt immédiat des expulsions et la suppression des centres fermés pour étrangers
  • La reconnaissance du droit au séjour, fondé sur la liberté de circulation et d'installation
  • La mise en oeuvre d'une citoyenneté qui ne soit pas limitée par la nationalité; par la reconnaissance du droit de vote et d'éligibilité à toutes les élections pour tous les habitants de ce pays
  • L'annulation inconditionnelle de la dette des pays du Sud, la fin de tout soutien aux dictatures, aux guerres impérialistes et néo-coloniales, la révision en profondeur des règles du marché international largement défavorables aux peuples du Sud

La LCR appelle également à participer nombreux/euses à la manifestation nationale de l’UDEP le 21 octobre prochain à Gand (rendez-vous à 14h00, Woodrow Wilsonplein)

Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR)

10 octobre 2007

Voir ci-dessus