Interview de Céline Caudron: Une réponse unitaire pour préparer les luttes au-delà du 13 juin (Vidéo)
Par Céline Caudron le Jeudi, 10 Juin 2010 PDF Imprimer Envoyer

Céline Caudron, porte-parole de la LCR et tête de liste du Front des Gauches dans le Hainaut, nous livre ici quelques opinions sur la campagne en cours et des pistes sur les perspectives au-delà du 13 juin.

À quelques jours du scrutin du 13 juin, quelle évaluation fais-tu du Front des Gauches ?

Céline Caudron: Dans le contexte actuel d'urgence et de crises, la liste Front des Gauches constitue un événement important et une réponse adéquate de la part des anticapitalistes. C'est une réponse unitaire qui peut aider à préparer et à intervenir dans les luttes après le 13 juin. À la LCR, on est donc heureux que notre appel « pour une liste unitaire de la gauche de gauche » lancé le 28 avril a pu finalement, après pas mal de péripéties, déboucher sur un tel résultat.

Et ce n'était pas gagné d'avance, loin de là ! Les difficultés ou les tensions ont été nombreuses, à la fois externes et internes. Mais quoi de plus normal lorsqu'on réunit 6 organisations différentes qui, si elles ont de nombreux points de convergence, ont aussi leurs divergences, parfois sérieuses, leurs spécificités programmatiques, leur traditions ou identités militantes particulières. Sans oublier un passé qui n'est pas exempt de rivalités, de concurrence et de méfiances. On ne doit pas se voiler la face : tout cela ne peut pas s'effacer en un coup de baguette magique.

Ça ne rend évidement pas toujours les choses faciles, mais c'est cette réelle « unité dans la diversité » qui définit au mieux le Front et qui constitue, paradoxalement, un gage de succès pour cette liste car elle nous permet de toucher des milieux différents et de mettre en commun nos forces, nos réseaux, nos moyens, nos capacités et de démultiplier ainsi notre impact, ce qui était indispensable vu le temps très court pour cette campagne. Les militantes et les militants de la LCR s'impliquent donc vraiment à fond dans cette campagne, avec le Front des Gauches.

Le travail accompli par toutes les composantes du Front est admirable et mérite le respect. En quelques jours 7 listes paritaires complètes ont été mises sur pied avec 141 candidat-e-s, des milliers de signatures de parrainage récoltées, un logo, une plate-forme commune, des affiches, des tracts, des communiqués de presse, un site Internet, des vidéos… Tout cela a été réalisé en un temps record et pour un résultat pas mauvais du tout. Tout cela n'a pas été fait sans « couacs », sans erreurs ou sans problèmes de communication mais, vu les délais, c'était inévitable et le résultat, dans l'ensemble, est vraiment impressionnant !

Le Front des Gauches rassemble presque toute la gauche radicale, sauf le PTB…

CC: Le PTB n'a pas voulu s'inscrire dans la dynamique unitaire et nous le déplorons. Partie remise ? L'avenir nous le dira car la porte peut rester ouverte. Pour l'instant, il y a de réelles divergences stratégiques : le PTB se campe comme un « parti de gauche » et pense pouvoir jouer à lui seul un rôle politique à côté du PS et des Verts. Il est clair qu'il veut « jouer dans la cour des grands » et fait tout pour se démarquer d'une gauche radicalement contestatrice du système en place et de ses partis.

Dans sa campagne, il donne l'illusion qu'il est à deux doigts de décrocher un élu qui fera le « moustique » au Parlement pour déranger les partis traditionnels et rappeler au PS qu'il est un parti de gauche. Le porte-parole du PTB, Raoul Hedebouw, a déclaré à la télé que le PS est un parti de gauche qui ne s’assume pas. A la radio, il a dit qu’il envisageait de réaliser son programme avec le PS et ECOLO comme partenaires. Or, on n'a jamais vu un moustique pousser à gauche un mammouth tel que le PS, qui a définitivement dérivé à droite.

Comment vois-tu la suite pour le Front des Gauches ?

CC: On pense qu'il est important de faire un bilan commun, mais chaque organisation devra aussi tirer un bilan global et surtout avec un peu de recul parce que depuis quatre semaines, on a le nez sur le guidon. Un bilan sérieux devra être fait, à la fois de la campagne dans son ensemble, de la collaboration au sein du Front et des résultats électoraux détaillés. Mais quel que soit le résultat, une chose est sûre ; nous pensons à la LCR que, d'une manière ou d'une autre, l'expérience du Front des Gauches doit être prolongée au-delà du 13 juin. Elle constitue un point d'appui important pour l'unité dans les luttes ou pour une unité électorale encore plus large pour les prochaines élections, tout comme l'an dernier les listes LCR-PSL aux européennes ou PC-PSL-LCR-PH aux régionales à Bruxelles ont pu « préparer » le terrain pour la liste Front des Gauches aujourd'hui.

Ce bilan implique aussi la clarté : le Front des Gauches n'est pas un nouveau parti ni un mouvement politique. C'est avant tout une alliance électorale entre des organisations de la gauche radicale et écologique, qui n'ont par ailleurs pas vocation à se dissoudre, et qui ont décidé d'ouvrir leurs listes à la participation et au soutien de militant-e-s syndicaux ou associatifs. Je pense qu'un tel front correspond bien à la tactique classique du « front unique » résumé par Trotsky par la formule « Marcher séparément, frapper ensemble ». Nous avons réussi à « frapper ensemble » sur le terrain politique et électoral, c'est déjà en soi un progrès et un succès importants par rapport au passé.

Nous pensons qu'il faudra maintenant et en priorité transformer l'essai sur le terrain des mobilisations sociales. Par exemple en menant, ensemble et comme Front des Gauches, des actions de soutien aux luttes des travailleurs/euses, des sans-papiers etc. On pourrait également se mettre d'accord sur une campagne commune à mener sur le long terme, par exemple sur la réduction du temps de travail, qui permet de combiner les sensibilités sociales et écologiques des composantes du Front, ou sur la question de la dette publique.

Par ailleurs, si l’on veut « marcher ensemble », un travail programmatique et de réflexion stratégique doit être mené sur le long terme également entre les organisations partenaires afin de renforcer nos convergences et voir jusqu'où nous pourrions aller ensemble. Les banquiers et les spéculateurs ont leurs partis politiques. Les travailleurs ne disposent pas d'un tel outil : le PS ne les représente plus, c'est un parti social-libéral qui accepte l'économie de marché capitaliste et le néolibéralisme comme horizons indépassables. Les Verts l’ont rejoint en un temps record.

Il faut donc remettre à l'ordre du jour la nécessité d'un parti qui défende à la fois les intérêts immédiats des travailleurs, mais qui défende aussi une rupture avec le système capitaliste en faveur d'une société alternative qui, pour nous, doit être écosocialiste, féministe et internationaliste. L'expérience du Front des Gauches pourrait aider à faire émerger cette perspective. Tout en sachant qu'elle ne pourra être le fruit, elle aussi, que d'une montée des luttes et des résistances sociales, qui amèneront à une échelle importante parmi les salariés et les opprimés, la prise de conscience qu'il est vital et nécessaire de construire un instrument politique qui soit aussi fidèle à leurs luttes que les partis traditionnels le sont aux intérêts des capitalistes.

Comment se passe la campagne ?

CC: Les gens sont dégoûtés par ce qui se passe, par la politique politicienne menée par les quatre grands partis traditionnels qui sont tous au pouvoir et qui gèrent la crise sur leur dos. Alors que le capitalisme traverse une crise globale multiforme — sociale, écologique, économique — c'est sur la question communautaire que le gouvernement est tombé et cela au moment où le chômage, la précarité et les inégalités montent en flèche. Bref, il est clair que pas mal de gens vont s'abstenir ou voter blanc ou nul en signe de protestation et qu'il n'est pas toujours facile de les aborder avec un discours politique, même quand on se démarque nettement de la politique des partis traditionnels.

Ceci dit, quand on arrive à « accrocher » les gens, des discussions extrêmement intéressantes et enrichissantes s'engagent et c'est d'ailleurs là un des principaux intérêts de mener une campagne électorale pour une organisation comme la nôtre, c'est de prendre le pouls de ce qui vit dans la population, de l'état du niveau de conscience de classe des gens.

Il est clair que le Front des Gauches jouit d'une sympathie et d'un soutien parmi une couche relativement importante autour de nous, même si cela ne se traduit pas toujours par un soutien actif et concret. Mais on ne compte plus le nombre de personnes qui nous disent « On va voter pour vous ». Le caractère unitaire et large de notre liste est vu de manière très positive, même si ici ou là certains émettent des critiques sur telle ou telle composante du Front. Mais cette sympathie se concentre avant tout dans des secteurs plus ou moins un peu politisés ou conscientisés, parmi des militants syndicaux ou associatifs, etc. Au-delà, il ne faut pas rêver, ce n'est pas en 2 semaines de campagne top chrono qu'on aurait pu toucher et convaincre « les larges masses », même si les échos médiatiques, surtout dans les médias locaux, ont été significatifs.

Quel pronostic pour le score du Front des Gauches ?

CC: Ici ou là, une bonne surprise n'est pas à écarter, mais dans l'ensemble une « percée » est peu raisonnable évidement vu le délai court pour notre campagne. Et d'ailleurs on ne se présente pas avant tout pour faire du chiffre. Bien sûr on espère, et on fera tout pour, avoir le meilleur score possible, mais sans se faire d'illusions ni en créer outre mesure. Ce qu'on veut avant tout, c'est faire passer un message : une alternative unitaire de la gauche radicale et écologique existe et d'autres choix sont possibles face au patronat et au gouvernement.

À la LCR, on insiste tout particulièrement sur un point essentiel : ce ne sont pas les élections — surtout avec un seuil électoral fixé par les quatre gros partis de manière antidémocratique à 5% pour avoir un élu — en tant que telles qui vont inverser la vapeur en faveur de la majorité sociale, c'est l'auto-organisation et les luttes des travailleurs, des femmes, des jeunes, des immigrés, des sans-papiers, des précaires qui va fondamentalement changer la donne. Les élections ne sont qu'un baromètre qui indique, très imparfaitement dans ce pays, le rapport de forces dans la société entre le capital et le travail. Pour que les élections amènent un changement, il faut d'abord que ce rapport de forces commence à changer dans la rue avant de se traduire dans les urnes.

Justement, les perspectives sont plutôt sombres…

CC: Oui, on connaît les chiffres : 350 suppressions d'emploi par jour, 1 habitant sur 7 est pauvre (et 1 femme sur 5 !)… Et ça ne va pas s'améliorer si on ne fait rien. Les capitalistes préparent activement leur offensive d'austérité : le Bureau du Plan annonce 22 milliards d'économies par an jusqu'en 2015 sur les salaires, les retraites, les services publics… comme en Grèce, en Espagne ou au Portugal. Alors qu'il y a 700.000 chômeurs, la FEB veut liquider 70.000 emplois publics ! Et pendant ce temps, les journalistes s'échinent à te demander « C'est quoi votre solution pour BHV ? »… Ce serait risible si la situation n'était pas aussi dramatiques pour la population !

Bref, la bourgeoisie, les capitalistes et les partis de droite et d'extrême-droite à leur solde ont leur programme et préparent le terrain depuis des mois. On nous annonce qu'il faudra encore faire des « sacrifices » pour sauver « notre compétitivité ». On nous dresse des écrans de fumée pour masquer les vrais enjeux et les véritables coupables. On stigmatise la population musulmane et particulièrement les femmes pour désigner un bouc émissaire à tout ce qui ne va pas. On nous ressort le thème de l'insécurité, évidement liée à l'immigration, pour faire peur aux gens et alimenter le racisme… Tout cela ne sert qu'un seul et même objectif ; nous diviser pour nous affaiblir, casser les solidarités et les résistances unitaires. Les capitalistes sont parfaitement conscients qu'ils ne sont qu'une toute petite minorité. Ils savent que si nous nous unissons ils seront balayés et c'est pourquoi ils font tout pour nous diviser.

Notre réponse doit donc être l'unité, l'unité et encore l'unité. Pas seulement dans les urnes, mais surtout dans et par les luttes, en faisant converger nos mobilisations, nos revendications. En montrant les liens, les intérêts, les besoins qui unissent les différents secteurs exploités et opprimés de la population. En soulignant sans cesse que l'ennemi est commun : le patronat, le gouvernement, les partis traditionnels et in fine ce système capitaliste barbare et inhumain, qui casse nos conquêtes sociales et détruit l'environnement.

Dans ce sens, le slogan du Front des Gauches tape dans le mille : « Tous ensemble contre leurs crises ! » C'est plus qu'un slogan de campagne électorale, c'est un appel à la résistance et à la mobilisation qui sera nécessaire au delà du 13 juin pour faire payer la crise aux capitalistes et à eux seuls !

Dans les médias: Interview de Céline Caudron dans Le Soir (10.06.2010) en format PDF

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