Non à l’accord communautaire de la Saint Michel
Par LCR le Mercredi, 21 Octobre 1992 PDF Imprimer Envoyer

Lettre ouverte à Ecolo et Agalev du Bureau politique du POS (ex-LCR), octobre 1992.

Nous vous adressons cette lettre ouverte pour vous demander de rejeter l’accord communautaire dit de la Saint Michel. Cet accord comporte à première vue des aspects positifs : les assemblée régionales seront élues au suffrage direct, les Régions deviendront le centre de gravité de la Réforme de l’Etat, on va de fait vers la reconnaissance de l’existence de deux peuples avec leur territoire et un statut spécifique pour Bruxelles. Nous estimons cependant que cet accord doit être rejeté.

Le fédéralisme est censé rapprocher le pouvoir du citoyen, c’est à dire donner à celui-ci plus de prise sur les choix politiques qui conditionnent sa vie quotidienne. Il est censé par conséquent permettre d’améliorer les conditions d’existence de la majorité sociale.

L’accord de la Saint Michel va clairement dans la direction opposée : il enferme les choix politiques dans des carcans financiers, d’une part, et d’autre part il tend à soustraire les institutions aux pressions de l’opinion publique.

Le carcan financier est la loi de financement. Cette loi est anti-démocratique parce qu’elle ne donne pas de vrai pouvoir fiscal aux Régions. De ce fait celles-ci ne peuvent prendre l’argent là où il est et son obligées, pour équilibrer leurs budgets, de recourir à des solutions anti-sociales telles que l’augmentation de la fiscalité indirecte. Ce carcan de la loi de financement ne s’assouplira certainement pas dans le cadre du Traité de Maastricht, de ses normes budgétaires et du plan de convergence que le gouvernement belge a commencé à appliquer pour adhérer à l’Union Economique et Monétaire. Ainsi, de l’Europe aux Régions, c’est la même logique néolibérale qui prédomine. Les besoins sociaux sont abandonnés aux impératifs du profit. La CGSP-Enseignement est cohérente quand elle rejette à la fois Maastricht et St. Michel. L’enseignement n’est toutefois que le sommet de l’iceberg ; que deviendront l’aide sociale, le non-marchand en général, et la politique du personnel des administrations locales et régionales ?

La tendance à soustraire les institutions aux pressions populaires apparaît dans la mise en place de parlements de législature. Cette réforme n’est pas anodine. Il en découlera évidemment une réduction des possibilités de la population de peser sur les choix politiques, en particulier de s’opposer à des mesures de régression sociale prises par les exécutifs. Notez bien qu’en général les partis n’inscrivent pas ces mesures en grand sur les programmes avec lesquels ils draguent l’électeur…

Parlements et gouvernements de législature s’inscrivent manifestement dans la tendance à l’Etat fort observée dans tous les pays capitalistes développés. Cette tendance ne tombe pas du ciel, elle est un produit du néolibéralisme ; quand on n’a rien d’autre à proposer au plus grand nombre que des sacrifices pour payer les intérêts sur la dette de l’Etat aux banques, quoi de plus logique que de réduire la démocratie ?

Pour des démocrates, se réjouir du fait que les parlements de législature apportent plus de stabilité politique relèverait soit de la naïveté, soit de la mauvaise foi. Pas besoin de se définir « à gauche » pour constater que cette stabilisation n’est pas neutre ; c’est la stabilisation des institutions qui appliquent une politique socialement et écologiquement insupportable. Et voilà que des élus dont les partis sont en reculs précisément du fait de cette politique estiment avoir le droit de décider que dorénavant leur fauteuil parlementaire leur sera acquis pour toute la législature ! Ce serait risible si ce n’était intolérable !

Socialistes et démocrates-chrétiens montent en épingle le fait que, grâce à l’accord, la sécurité sociale restera nationale. Ils laissent dans l’ombre l’autre face de la médaille ; pour rester nationale dans un pays de plus en plus fédéralisé, cette Sécu devra être « assainie » nationalement, sur le dos des allocataires sociaux. On peut faire confiance au patronat flamand pour continuer son chantage en la matière. Il aurait tort de s’en priver puisque le PS et le CVP lui donnent sans arrêt des gages de bonne volonté. Le dernier en date ; le plan d’accompagnement des chômeurs, qui fait partie du budget et doit donc être voté par les chambres, est mis d’application avant même le débat parlementaire !

L’accord de la St. Michel permettrait-il au moins de dépasser les querelles communautaires ? Dans l’immédiat, il y aura peut être quelques années de paix relative. Mais rien n’est résolu. On ne va pas jusqu’au bout de la logique fédérale ; c’est l’Etat central qui gardera la haute main sur les cordons de la bourse. Un vrai fédéralisme impliquerait avant tout le droit pour les régions de mener une politique fiscale qui prend l’argent là où il est. Mais aussi ; primo un Sénat paritaire ; secundo l’attribution plus claire d’un territoire à chaque peuple ; tertio des garanties plus solides pour les droits des minorités.

Quand on y regarde de plus près, on constate qu’il ne manque pas d’abcès de fixation, en particulier à Bruxelles et dans sa périphérie. La poursuite de l’austérité à la Maastricht multipliera les germes d’infection ; les bacilles de l’égoïsme, du racisme et du nationalisme continueront de proliférer. Résultat; il y a gros à parier que la danse du scalp autour de la Sécurité sociale recommencera tôt ou tard, et que tôt ou tard on assistera à de nouvelles poussées de fièvre communautaire.

L’accord de la St. Michel ne résout pas plus la question des rapports pacifiques entre les peuples qui cohabitent en Belgique que le Traité de Maastricht ne permet de dépasser le nationalisme en Europe. Plus ; il n’est pas exclu que l’accord, après une période de paix trompeuse, aggrave les tensions Flamands-Wallons, exactement comme Maastricht alimente les replis nationalistes et sous-régionalistes. Cette aggravation des nationalismes apparaît en effet partout comme une conséquence du libéralisme économique qui flatte l’égoïsme et qui induit un développement inégal entre régions riches et régions pauvres.

Du coup, l’alternative apparaît en pointillés. Elle comporte à notre avis deux volets, qui sont liés. Le premier volet c’est un changement de politique radical, dans lequel on prend comme principe directeur la satisfaction des besoins et pas le paiement des intérêts de la dette. Seule une telle politique pourra en effet permettre un développement économique harmonieux des régions et éliminer ainsi le terreau du nationalisme et des autres idéologies réactionnaires. Le deuxième volet c’est la reconnaissance des droits démocratiques des peuples flamand, wallon et que de la minorité allemande qui cohabitent dans le cadre de l’Etat belge, et plus largement un approfondissement de la démocratie dans le sens d’une prise en charge des problèmes par les gens eux-mêmes au niveau le plus bas possible.

Les deux volets ensemble sont seuls à même, pensons-nous, de dessiner le projet d’un vrai fédéralisme : social, écologique et démocratique.

Ce projet n’est évidemment pas à portée de la main. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’alternative à l’accord de la St. Michel. Cela signifie seulement qu’il y a du pain sur la planche pour ceux qui souhaitent un réel changement de société.

Une manière de progresser pourrait être de lancer l’idée d’un vrai dialogue entre les communautés, organisé démocratiquement par les organisations de la société civile, les syndicats, les autres mouvements sociaux et le mouvement associatif, dans le cadre d’une politique axée sur la priorité aux besoins sociaux, écologiques et démocratiques.

En tant que seuls partis parlementaires qui entretiennent encore des liens fraternels de part et d’autre de la frontière linguistique, Ecolo et Agalev pourraient jouer un rôle important à ce niveau. Sinon, ces liens fraternels seront menacés tôt ou tard. Ce n’est pas par hasard que la question communautaire a fait éclater tous les partis gestionnaires du régime et du système…

Nos deux partis ont des programmes différents. Nous luttons pour un programme anticapitaliste, socialiste-démocratique, internationaliste. Cela ne devrait pas empêcher d’agir ensemble dans certaines occasions, en particulier contre la politique des « grands de ce monde ».

L’accord de la Saint Michel a pour fonction première de sauver le gouvernement Dehaene de sa politique. C’est une aubaine pour le PS et la direction du MOC, qui veulent à tout prix rester au pouvoir. Mais ce n’est pas une aubaine pour les travailleurs, les jeunes et les femmes.

Vous avez la possibilité de mettre des bâtons dans les roues de cette politique-là. Vous aviez commencé à le faire partiellement en disant que vous participeriez au « dialogue » uniquement si le gouvernement adoptait un assainissement « étalé » et « social ». Nous déplorons que vous ayez changé de tactique. Mais l’accord de la St. Michel lui-même comporte suffisamment de raisons de dire « non ». Faites-le !

Peut-être craignez-vous de faire le jeu de la droite ? Venant de vous, qui refusez de vous situez à gauche, cela constituerait un progrès. Quant à nous, nous estimons que c’est la politique à la Dehane, en accroissant toutes les frustrations sociales, qui fait le lit de la droite et de l’extrême droite. Nous refusons donc de nous laisser enfermer dans le choix ; Dehaene ou Verhofstadt ? Nous pensons qu’il y a une alternative, qu’un front unique social du mouvement syndical et des nouveaux mouvement sociaux autour d’un plan d’urgence pour satisfaire les besoins pourrait, en mobilisant en profondeur la population, favoriser à chaud une recomposition politique vers la gauche, là où aujourd’hui on a une recomposition à froid vers la droite. Ainsi seraient crées les conditions d’un gouvernement de salut public pour la majorité sociale.

Le Bureau politique du POS
Le 6 octobre 1992.

Voir ci-dessus