Malcolm X
Par Olivier Besancenot le Jeudi, 07 Juillet 2005

Cela fait 40 ans que Malcolm X a été assassiné. L’occasion pour nous de rendre hommage à une personnalité qui a marqué son temps, mais que l’histoire « officielle » ignore ou redoute. Malcolm X est une de ces grandes figures du siècle passé qui ont réussi à se frayer un chemin jusqu’à nous, face à l’oubli, hors des circuits de la « mémoire institutionnelle ». Les dernières années de sa vie, peu connues, sont essentielles pour comprendre son adhésion aux idées révolutionnaires.

Instinctivement, beaucoup de jeunes continuent à s’identifier à Malcolm X. Pourtant, peu savent que ce révolutionnaire noir américain n’a vécu que quarante ans. Né le 19 mai 1925, il est assassiné le 21 février 1965. Sa vie ne se déroule pas d’un trait, elle est mouvementée et multiple. Elle se découpe en tranches de vies qui sont distinctes, mais pas contradictoires. Elle laisse surtout un sentiment d’inachevé. En effet, l’ascension de Malcolm est stoppée net par ses assassins. Par là même, ces derniers ôtent à la contestation noire un de ses leaders les plus radicaux mais aussi les plus respectés. Car, s’il y a plusieurs vies contenues dans celle de Malcolm, celle-ci résume et concentre, à elle seule, la vie de toute une génération, qui, après plus de 400 ans d’esclavage, continuait à voir ses droits les plus élémentaires bafoués et piétinés par les autorités étasuniennes.

 

23 ans de galère

 

La jeunesse de Malcolm n’est pas « rose » : elle est noire, aussi noire que le sort réservé à des millions d’autres jeunes afro-américains au cours du xxe siècle aux États-Unis. Dès ses premières années, Malcolm voit à plusieurs reprises sa maison familiale brûlée par des groupes racistes. Earl Little, son père, est un pasteur baptiste qui milite pour l’amélioration du sort des Noirs. À l’âge de 6 ans, la vie de Malcolm bascule : son père est assassiné par une bande liée au Ku Klux Klan.

 

À partir de là, la poisse s’agrippe à la famille Little. Du haut de ses 9 ans, Malcolm commence à voler, poussé par la misère du foyer. À 13 ans, il est transféré dans une autre école et placé par l’assistance publique au sein d’une nouvelle famille. Un an plus tard, il part en maison de redressement dans le Michigan, après que sa mère a été enfermée dans un hôpital psychiatrique, d’où elle ne sortira que vingt-quatre ans plus tard. Privé de sa famille, Malcolm débute son adolescence sur une voie tracée d’avance : celle de la loi de la jungle. Il joue d’abord la carte de l’ascension sociale et s’inscrit au lycée en ville tout en travaillant comme plongeur dans un restaurant. Mais les voies légales se rétrécissent vite. L’élève, élu chef de classe dans son lycée, qui veut devenir avocat, voit ses ardeurs « calmées » par un professeur qui lui explique qu’un « nègre ne pourra exercer qu’un métier manuel ». À 16 ans, Malcolm s’installe alors à Boston et survit de petits boulots en trafics en tout genre. Progressivement, la délinquance fait place à la débrouille : vol, deal, jeux, prostitution... Malcolm se fait coincer pour cambriolage : il est condamné à dix ans de prisons. Sa vie bascule de nouveau.

 

En prison, il est gagné à la Nation de l’islam (NOI), les Blacks Muslims, organisation politico-religieuse adepte d’un séparatisme noir basé sur « l’islam ». Abandonnant son nom « d’esclave », Malcolm Little devient alors Malcolm X. Il s’engage très vite à 100 %, dès la prison, où il crée un groupe de militants. Une fois libéré, il prend rapidement des responsabilités et devient officiant de la mosquée de Détroit, puis de celle de Harlem... Malcolm impressionne par son engouement, son charisme et son talent d’orateur : ses réunions sont chaque fois plus bondées, ses manifestations sont des succès, ses articles dans la presse circulent et sortent des frontières. Il profite de son premier pèlerinage à La Mecque pour voyager et tisser des liens avec tous les leaders des pays qui luttent pour leur libération nationale : il rencontre l’Égyptien Nasser, le Cubain Castro, l’Algérien Ben Bella et le Congolais Lumumba, qui sera assassiné. Plus Malcolm prend de la hauteur, plus la direction de son mouvement prend ses distances vis-à-vis de lui. Car la popularité de Malcolm, surtout dans les ghettos, devient insupportable pour les chefs de la NOI, dont certains commencent à flirter avec le FBI. En mars 1964, Malcolm rend publique sa « déclaration d’indépendance » et fonde une nouvelle organisation : la Mosquée musulmane (MMI). C’est la troisième vie de Malcolm.

 

La dernière année

 

Malcolm se cherche un peu : il se rend à plusieurs reprises à La Mecque, voyage encore et suit de près le soulèvement populaire du Congo. Il rompt alors définitivement avec l’islam tel qu’il est prôné par la NOI. Il s’éloigne progressivement du séparatisme basé sur des idées raciales qui opposeraient les Noirs aux Blancs, et il veut agir avec tous ceux qui, indépendamment de leur origine, aspirent à renverser le système capitaliste qui opprime les Noirs. Voilà ce qui fait paniquer la CIA et le FBI réunis : Malcolm change de stratégie pour mieux continuer son combat. Tout d’abord, il rejette le sectarisme passé et propose l’unité du mouvement noir. Le rapprochement s’opère avec Martin Luther King, qui, lui-même, est obligé d’admettre que le mouvement pour les droits civiques, fondé sur la non-violence et la stratégie d’intégration raciale, connaît des limites. Car, malgré des victoires significatives, les attentats racistes et les humiliations continuent. De plus, les rencontres avec les dirigeants tiers-mondistes, révolutionnaires et anticapitalistes vont convaincre Malcolm de se revendiquer d’une « révolution noire ». Avec Che Guevara, par exemple, ils élaborent le projet d’envoyer des brigades de combattants volontaires afin d’épauler les révolutionnaires africains. La CIA place dorénavant Malcolm dans sa ligne de mire. Le 21 février, un commando de cinq personnes investit le meeting où Malcolm tient sa conférence et fait feu. Malcolm X est tué. Le chef présumé du commando est directement lié à la NOI.

 

Au-delà de son propre parcours, la vie de Malcolm illustre l’épopée de millions de personnes ayant résisté au racisme, au mensonge d’une société capitaliste étasunienne qui doit son essor économique, en très grande partie, à l’esclavage. Pour gagner le respect, des militants, des boxeurs, des chanteurs, des athlètes combattront, bravant les injures, les humiliations, les menaces ou les assassinats. Tony Smith, en levant son gant noir sur la première marche du podium des jeux Olympiques en 1968, a rappelé, sur fond d’hymne américain, que la lutte continuait. Mohamed Ali hurlait la même chose avant et après chaque match de boxe. Mumia Abu Jamal, lui, simplement parce qu’il a repris le flambeau de Malcolm X avec les Blacks Panthers, croupit toujours dans les couloirs de la mort aux États-Unis. Alors, plus que jamais, comprendre Malcolm X, c’est comprendre le monde dans lequel nous vivons, mais c’est comprendre également comment nous pouvons le changer!

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