Syrie : Discussion avec l’armée libre à propos de questions touchant à la révolution
Par Ghayath Naïssé le Lundi, 10 Décembre 2012

Qui est réellement l'armée syrienne libre (ASL) qui n'a cessé de défrayer la chronique depuis les premiers mois du déclenchement de la révolution syrienne ? Qui sont ses éléments, sa composante ? Qu’elle est sa stratégie d’action, suit-elle une ligne politique bien déterminé ou avance-t-elle à l'aveuglette ? Quel rôle joue-t-elle exactement sur le terrain ? Pour répondre à ces questions et bien d’autres, nous publions ci-après un entretien avec un des dirigeants de l’ASL, qui a été réalisé par Ghayath Naïssé, militant socialiste du Courant de la Gauche Révolutionnaire en Syrie.

A noter que Ghayath Naïssé sera présent comme aurateur à notre école anticapitaliste de printemps dans son édition 2013, une occasion pour discuter avec lui de façon approfondie et enrichissante des questions liées à la révolution syrienne. (LCR-Web)

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Pour venir à bout des mensonges du régime corrompu et criminel, qui prétend que l’armée libre n’est faite que de groupes criminels et terroristes, salafistes et jihadistes, pour démentir les allégations propagées au niveau international par des Etats ou des médias qui ne font pas le tri lors d’explosions ici et là entre l’armée libre et des groupes marginaux de salafistes, tel le front de Nasra, nous avons mené un débat avec un des dirigeants de l’armée syrienne libre de Damas et ses environs

Ghayath Naïssé

Qu’est-ce que l’armée syrienne libre ? Comment a-t-elle émergé pendant la révolution ? Est-elle seulement constituée de militaires et de déserteurs ? Dispose-t-elle d’une coordination entre ses brigades au niveau national ou n’y a-t-il que des groupes isolés les uns des autres, chaque groupe s’en revendiquant par ailleurs. Est-ce que la discipline militaire et la morale révolutionnaire guident ses méthodes ? Et enfin, quels sont les piliers de son activité ?


Au début il n’y avait pas d’armée libre, il n’y avait que les services de sécurité et les chabbiha du régime dont la majorité était des fonctionnaires et des employés des municipalités, des casernes et des institutions militaires. Toutes étaient placées sous la direction des services sécuritaires (renseignements aériens, Sûreté militaire, sûreté de l’Etat, Sûreté politique). Chaque appareil avait diverses sections et le nombre des appareils sécuritaires était au nombre de dix-huit. Il approvisionnait les fonctionnaires (les chabbiha avec des matraques, des matraques électriques et des bâtons avec le drapeau du régime pour fêter la dispersion des manifestations. Tout cela remonte au six premiers mois). Ces mesures étaient de mise le vendredi seulement lorsque les manifestations sortaient des mosquées après la prière de l’après-midi. Le régime mobilisait hebdomadairement en affrétant des bus pour transporter les chabbiha dans les zones des manifestations et leur nombre dépendait de la zone qui manifestait ; lorsque le régime s’est avéré incapable de disperser les manifestations, il a eu recours aux gaz étouffants et en cas d’échec, aux policoups de feu. Beaucoup de manifestants ont été tués. Voilà pour ce qui concerne le régime dans la période des six premiers mois. Du côté des manifestants, ils n’avaient que leurs gosiers et leurs pancartes. Après chaque assassinat perpétré par le régime, on entendait,-mais rarement-, qu’il fallait acquérir des armes, n’importe quelle arme, mais en face il y avait la réprobation de l’écrasante majorité à la simple évocation du recours aux armes.

Evidemment, jusqu’au mois de ramadhan 2011, soit au bout de six mois après le début de la révolution, aucune arme n’avait fait son apparition en dépit des meurtres, des humiliations, de la torture, des violations de domicile. Cette période est également marquée par les tentatives du régime de laisser des caisses d’armes dans des domiciles afin d’accuser les populations de telle ou telle région d’être armée, mais en vain.

En octobre et novembre 2011, des personnes qui avaient perdu un père, un frère ou un être cher, ont commencé à faire l’acquisition d’un revolver et dans le meilleur des cas d’un fusil russe. Certains ont vendu des objets précieux ou ceux de leur épouse, comme de l’or, pour acheter des armes. Ces individus ont formé des groupes et ils ont applaudi l’armée libre lorsqu’ils en ont entendu parler, eux qui étaient des civils. Il n’y avait aucune coordination entre tel ou tel groupe d’une région à l’autre. En décembre 2011, les désertions au sein de l’armée du régime ont augmenté et nous avons commencé à entendre parler de groupes et de brigades et dans le meilleur des cas la brigade a en son sein deux ou trois officiers. La coordination entre eux est faible du fait de la multiplication des canaux de soutien émanant de parties au sein du conseil national, d’individus ou de personnalités, qu’elles soient en Syrie ou à l’étranger. Il y avait aussi des brigades sans le moindre officier, mais de simples militaires ou des appelés qui avaient refusé de faire leur service militaire. Ces formations étaient là pour défendre les manifestants, puis elles se sont mises à défendre les populations avec l’escalade sécuritaire et la « chabbihation » du régime. La morale de la révolution est présente, même s’il faut reconnaître des aspects négatifs qui ont leurs causes. Nous voulons maintenir la discipline et le respect et l’application de la morale révolutionnaire après que des armes aient été acquises, une expérience faible, une culture superficielle de ceux qui supervisent ces groupes au caractère islamique modéré et traditionnel.

Quel est le rôle assigné à l’armée syrienne libre pour vous ? S’agit-il de la protection des civils manifestants et de la protection des masses contre les attaques des forces du régime d’Assad et ses chabbiha ? Où estimez-vous qu’elle doive jouer un rôle fondamental dans la libération de la Syrie de ce même régime ? Partant, quelle est la meilleure stratégie selon vous pour faire tomber le régime et construire une Syrie libre, celle de la démocratie, de la justice et de l’égalité entre tous ?

Tout ce à quoi nous sommes rendus, le régime en est responsable à 100%. Les armes ont fait leur apparition après que les gens aient été épuisés par les assassinats perpétrés par les services de sécurité du régime et les chabbiha, puis les meurtres de manifestants, de ceux qui allaient aux enterrements, puis des populations. Nous estimons qu’à l’heure actuelle il n’est pas possible de faire tomber le régime seulement par une action pacifique et qu’il faut une action militaire à caractère défensif effectif. En ce qui concerne les attaques ici et là c’est pour venir à bout de départs de feu. A part cela, les opérations militaires sont généralement défensives et non offensives. La meilleure stratégie pour faire tomber ce régime consisterait à harmoniser les combats pacifique et militaire pour construire la Syrie de la démocratie, la Syrie de la justice et de l’égalité.

Pour compléter la question précédente, y a-t-il une coordination quotidienne et effective entre vous et les comités de la lutte révolutionnaire quotidienne comme les coordinations ? Et avez-vous une vision ou un programme politique propre à vous pour parvenir à la victoire de la révolution ? Si vous n’en avez pas, quels les principes généraux avez-vous adopté ? Quelle est votre représentation de la Syrie après la chute du régime et comment vous représentez-vous votre rôle demain ?

La coordination quotidienne et effective  avec les autres régions se consolide à l’achèvement de la constitution d’un conseil local de chaque région, (car chaque conseil local se compose des bureaux de secours, d’information, financier, militaire,  d’organisation du mouvement pacifique (les manifestations), médical et un bureau de coordination et de suivi des liaisons entre ces bureaux ci-dessus  cités eux-mêmes, et entre le conseil local de telle région et les conseils locaux des autres régions. La vision politique de la victoire de la révolution supposera un regain de coordination entre les groupes ou les bureaux dans toutes les régions et une généralisation de l’expérience des conseils locaux. Pour réaliser ces tâches ardues, il faut en revenir à l’essence même de la révolution syrienne qui est une révolution populaire pour la liberté et la dignité. En d’autres termes, ce n’est pas une révolution guidée par un parti, une opposition ou une idéologie ; par conséquent il nous revient de mettre au rencart ou de neutraliser ces références et de convaincre la jeunesse que tout cela sera à l’ordre du jour après la chute du régime et un pouvoir élu et de mener à bien ce travail pour unifier les rangs pour affronter le régime et n’avoir qu’une seule direction des opérations.

Quelle est votre position face à la question confessionnelle dont le régime se sert pour tenter de briser l’unité du peuple syrien et qu’avez-vous fait ou que faites-vous, en pratique, pour y faire face ?

Dès le début, le régime a joué, non seulement de la corde confessionnelle, mais aussi, sur le régionalisme, le tribalisme, la religion, en misant sur la composition démographique d’une région donnée. Pour y faire face, il faut conscientiser les gens de façon générale et les éléments armés en particulier sur les jeux sales du régime qui se résument au « diviser pour régner Â». Cela passe aussi par le soutien aux activistes, hommes et femmes, des autres confessions ou composantes qui se rendent dans les fiefs armés, à faire des fêtes et des chants révolutionnaires ou à se rendre sur les places de la liberté lors des manifestations.

Que répondez-vous aux allégations du régime : y a-t-il au sein des brigades de l’armée libre des combattants arabes ou des étrangers, des salafistes et des jihadistes ? Existe-t-il en son sein, comme le prétend le régime, des groupes relevant du gouvernement du Qatar, de l’Arabie Saoudite et de la Turquie ?

Tout ce que dit le régime est sans fondements. S’il y a des groupes jihadistes, ils sont très peu et ne représentent rien. Globalement, ils sont mal perçus par les diverses franges de notre peuple, qui se caractérise par sa modération religieuse et a sacrifié des bataillons de toutes confessions lors de la révolution de l’indépendance. Et aussi : nous n’oublions pas que le meurtre et le crime engendrent l’extrémisme et pourtant il y a un sang-froid issu d’une histoire civilisée.

En ce qui nous concerne, nous estimons, sans le moindre doute, que la victoire de la révolution du peuple syrien sur ce régime lâche et déchu, est proche. Quel message souhaitez-vous transmettre à ceux qui hésitent encore à s’enrôler dans la révolution ? Quel est votre message aux masses toujours insurgées de notre peuple en dépit de l’énormité des sacrifices consentis ? Et votre message aux amis et aux soutiens de la révolution syrienne dans la région et dans le monde ?

Je dis à ceux qui hésitent qu’ils s’en remettent à eux-mêmes, loin du régime et de son information et qu’ils fassent une autre lecture, qu’ils sortent et voient de leurs propres yeux qui détruit, qui bombarde et qui viole ; il faut vous en remettre à vos consciences et rejoindre la majorité révolutionnaire car ce régime n’épargnera personne de ses crimes. Il est en train de tomber. Et je dis aux révolutionnaires héroïques et aux acteurs de cette épopée historique : vous dessinez un nouvel avenir non seulement pour vous-mêmes et pour vos enfants, mais aussi pour toute la région arabe et son environnement. C’est la raison pour laquelle tous se sont ligués en spectateurs contre notre révolution. Je dis aux amis du peuple syrien, révolutionnaires du printemps arabe ou peuples opprimés par des régimes despotiques que notre révolution est votre révolution. Elle sera la qibla et le minaret de votre émancipation et nous espérons que vos cÅ“urs soient avec nous et ne se lasseront pas de nous prêter main forte contre ce tyran.


Interview parue dans le n°10 du mensuel « Al Khat Al Amami » (la ligne de front), octobre-novembre 2012, organe du Courant de la Gauche Révolutionnaire en Syrie.

(Traduction : Luiza Toscane)



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