Fermeture de Ford Genk: plus que jamais, résistance internationale!
Par Bruno De Wit le Vendredi, 26 Octobre 2012

La terrible nouvelle de la fermeture de Ford-Genk, avec des pertes d'emploi pour près de 10.000 personnes, le démontre à nouveau: l'industrie automobile ne se porte pas bien.

Au XXe siècle, l'industrie automobile était un fleuron industriel. Aujourd'hui, elle est touchée en première ligne par la crise. En 1993, nous écrivions dans «L'industrie automobile: le champ de bataille des années 90»(1) que les travailleurs de l'automobile de la fin du XXe siècle sont confrontés à différents problèmes. Le début du XXe siècle a été marqué par l'émergence d'une nouvelle industrie (automobile) avec ses développements technologiques qui impose sa marque sur la vie quotidienne et sur notre environnement.

A la fin de ce même siècle, les routes étaient encombrées des produits de l'industrie automobile. La voiture reste encore une cause majeure de la destruction de la planète.

L'industrie automobile a créé des emplois pour des centaines de milliers de personnes. Mais les travailleurs de l'automobile sont désormais confrontés à des crises de surproduction et les licenciements consécutifs tombent... Où la vague actuelle de réduction des effectifs et de restructurations va-t-elle s'achever?

"Comment pouvez-vous en tant que travailleur de l'automobile répliquer aux attaques des patrons? Quel est le rôle des syndicats dans ce domaine? Peut-on se permettre de nouveaux «remue-méninges» avec les patrons, tel qu'ils aiment? ..." C'est ce que nous écrivons en 1993! Depuis, nous avons connu Renault, VW, Opel, aujourd'hui, Ford... et sans doute plus tard Volvo?

La restructuration massive dans le secteur tiennent à deux choses. D'une part, la saturation des marchés traditionnels des Etats-Unis, de l'Europe occidentale et du Japon, et le développement des marchés dans les grands pays comme la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Europe de l'Est. D'autre part, la sauvegarde de la rentabilité dans un secteur où la concurrence est très fortement développée. Pour toutes ces raisons, la restructuration a aussi une dimension internationale. Les employés sont mis en concurrence les uns contre les autres pour que les patrons puissent maintenir leurs profits. Mais si les attaques dépassent les frontières, nous constatons que la réponse du mouvement syndical reste en grande partie verrouillée au sein des frontières nationales.

Nous devons en finir avec l'isolement et les combats isolés pour obtenir des victoires contre les offensives patronales. La clé est la mise en place de réseaux par secteur, par pays et au niveau européen pour faciliter la construction de la solidarité, de la lutte commune et coordonnée. Les tâches sont immenses. Et les militants doivent donc être sur la balle.

L'appel à la grève européenne pour le 14 Novembre prochain est une étape importante. Les 4.639 salariés de Ford et plus de 5.000 autres dans la sous-traitance méritent un appui à leur colère légitime! Nationalisation de Ford Genk et ses fournisseurs sous le contrôle démocratique des ouvriers et des employés! Interdiction des licenciements, en premier lieu dans des sociétés rentables! Reconversion écologique de l'industrie automobile (pour les bus, les voitures vertes, ...)! Conservation de tous les emplois grâce à la redistribution du travail sans perte de salaire!

Note:

(1) Automobile: champ de bataille des années 90, SAP-Schriften, 9 Octobre 1993.

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Nous publions ci-dessous deux analyses de nos camarades du secteur automobile du NPA publiées sur leur blog http://www.npa-auto-critique.org. La première, de Jean-Claude Vessillier, ancien syndicaliste de Renault, brosse les traits de l'histoire récente du secteur. La seconde, de Jan Malewski, rédacteur d'Inprécor, revient sur la rencontre du Conseil international des travailleurs de l’automobile de mai dernier qui relève des difficultés et ouvre des perspectives. LCR-web


L'automobile, de crises en restructurations

L'industrie automobile a connu en 2008/2009 sa chute de production la plus importante depuis la Deuxième Guerre mondiale. Et pourtant, trois ans après, en 2011, jamais au plan mondial on n’aura autant produit d’automobiles. Plus de 71, 5 millions de véhicules devraient être vendus dans le monde en 2011 contre 70, 3 millions en 2007. Les mêmes groupes mondialisés, essentiellement nord-américains, européens et japonais, contrôlent toujours cette industrie, voient leur chiffre d’affaires augmenter, et ont restauré leurs profits. Crise, vous avez dit crise ?

La nouvelle situation n’est pas la simple reprise de l’avant-récession. Pour préserver les profits, une profonde restructuration de toute l’industrie automobile est en cours. Elle est particulièrement violente car tous les aspects de la crise de l’économie capitaliste mondialisée s’y cumulent : la volonté de faire payer la crise aux travailleurs, les nouveaux rapports de forces industriels voire politiques entre vieux pays industrialisés et émergents, la rareté croissante du pétrole et la crise écologique avec les modes de transport actuellement pratiqués qui sont parmi les principaux responsables de la dégradation de l’environnement.

Le basculement géographique du monde automobile

L’augmentation de la production et des ventes d’automobiles constatée au plan mondial est le résultat de phénomènes divergents.

L’Amérique du Nord et le Japon n’ont pas du tout rattrapé leur niveau d’avant récession alors que ces pays avaient connu un véritable effondrement de leur production. L’Europe de l’Ouest va aussi connaître en 2011 un niveau encore inférieur à celui de 2007, même si l’écart sera très limité.

La croissance, tant en termes de production que de ventes d’automobiles neuves, est le fait exclusif des pays dits émergents, à commencer par la Chine. Rapportée à la taille de sa population, l’automobile y demeure un produit de grand luxe, témoin de l’ampleur des inégalités sociales du pays. Il y a en Chine 47 voitures pour 1 000 habitants contre 600 en France et 800 aux États-Unis.

Mais avec autour de 15 millions de voitures fabriquées et vendues, la Chine est devenue le premier marché automobile mondial. La majorité des grands constructeurs mondiaux y est présente, soit directement, soit sous forme d’accord moitié-moitié avec des firmes chinoises étatiques ou privées. Et comme l’ont montré les grèves du printemps 2011, cet essor s’accompagne d’une montée des résistances ouvrières face aux conditions d’exploitation que l’alliance gouvernement chinois – grandes firmes capitalistes multinationales veut leur imposer.

Ce qui se passe en Chine se reproduit dans d’autres pays appelés émergents comme le Brésil ou l’Inde appelés à devenir l’eldorado le plus neuf pour les grands de l’industrie automobile ; même la revenante Russie fait partie de ces territoires de conquête.

Les profondes réorganisations géographiques concernent autant les lieux de production que les marchés de vente. C’est donc un processus plus vaste qu’une seule délocalisation où de nouveaux ateliers du monde produiraient pour les pays les plus développés. Dans tous les continents, de nouveaux travailleurs sont exploités et de nouveaux clients arrivent, mais il n’empêche que les profits continuent d’être accumulés dans les mêmes tiroirs-caisses des mêmes sièges sociaux. Ce basculement géographique de la production et des ventes d’automobiles s’opère sous le contrôle des mêmes groupes capitalistes mondialisés qu’avant la récession de 1998.


La mondialisation inégale de l’industrie automobile européenne

La fin de l’industrie capitaliste automobile européenne n’est pas à l’horizon des restructurations en cours : plus de 10 millions de voitures sont encore produites en Europe chaque année et l’industrie automobile emploie dans les usines et les bureaux d’études 3, 5 millions de travailleurs, soit le dixième de toute l’industrie manufacturière européenne. Cette branche de l’industrie demeure un lieu de polarisation sociale où la patronat teste ses offensives en termes de nouvelles formes d’organisation du travail, de tentatives de liquidation des anciennes conventions collectives et de recours à la précarisation systématisée.

La mondialisation capitaliste de l’industrie automobile est un processus concret dont le développement est inégal selon les pays et les entreprises capitalistes elles-mêmes. Il ne reste plus que cinq grands groupes de construction automobile d’origine européenne. Les allemands VAG et Mercedes, les français Renault et PSA, et l’italien Fiat.

Renault et Fiat ont choisi le même type de stratégie en s’associant l’un avec le japonais Nissan et l’autre avec le nord-américain Chrysler. Dans le cas de Renault, la trajectoire est très claire : permettre la création d’un nouvelle entité dont les liens avec les bases historiques de Renault se distendent de plus en plus.

Il y a quinze ans, au moment du démarrage de cette alliance, les poids respectifs de Renault et Nissan en termes de chiffres d’affaires et de volumes de production étaient sensiblement équivalents. Aujourd’hui, Nissan produit deux fois plus de voitures que Renault et surtout génère un profit bien supérieur. Les instances qui définissent la stratégie de l’alliance sont situées, quelque part « hors-sol », aux Pays-Bas, et, au-delà de l’astuce fiscale pour chercher un pays accommodant, c’est bien la volonté de s’affranchir du pays d’origine qui est en cause. En ce sens, Renault devient partie d’une alliance mondialisée avec des patrons ne voulant rendre des comptes qu’à des actionnaires de plus en plus internationalisés.

C’est le chemin que veut aussi emprunter Fiat et son chef Marchionne avec le rachat, sans débourser un seul dollar, de Chrysler. Depuis ce rachat, se multiplient les chantages aux délocalisations aux États-Unis des productions encore installées en Italie. L’objectif immédiat est la remise en cause des accords collectifs en vigueur, résultat des longues traditions de lutte des ouvriers de Fiat. Pour les actionnaires de Fiat, l’avenir est clairement dans une entité mondialisée où Chrysler devrait jouer un rôle moteur.

Mais ce chemin n’est pas le seul, y compris d’un point de vue capitaliste. Le constructeur allemand Volkswagen VAG s’est mondialisé sans passer les alliances auxquelles se sont condamnés Fiat et Renault. Et alors que l’Allemagne n’est pas l’exemple type de pays à bas coût de salaires, Volkswagen est en passe de devenir le premier constructeur automobile mondial, dépassant Toyota et General Motors.

Alors que Volkswagen continue d’augmenter sa production en Allemagne et en Europe de l’Est, la part de son activité hors d’Europe représente déjà près de la moitié du total. Ces investissements dans les pays dits émergents apportent des profits importants : ainsi ceux obtenus en Chine vont représenter en 2011 près de 2, 4 milliards d’euros pour la firme allemande.


PSA veut se mondialiser à marche forcée

PSA a choisi une stratégie du même type que celle de Volkswagen avec la volonté de maintenir l’indépendance de l’actionnaire, la vieille famille de rentiers, Peugeot. Jusqu’à ces dernières années, PSA était moins internationalisé que Renault. Par rapport au total monde, sa part de production réalisée en France était en 2009 de 38 % contre seulement 27 % pour Renault. Avec la nomination d’un nouveau PDG, les actionnaires propriétaires veulent replacer PSA dans la course à la mondialisation. Il s’agit pour le PDG Varin de réaliser la moitié des ventes de PSA hors d’Europe dès 2015. Celui-ci a récemment indiqué que les investissements réalisés dans les pays émergents ne rapportaient pas encore de profits et que les bénéfices obtenus en Europe devaient servir à les financer. PSA a du retard sur le modèle de la classe capitaliste européenne qu’est Volkswagen.

La violence des attaques actuellement perpétrées par PSA s’explique par cette volonté d’augmenter les profits en Europe pour financer ses investissements dans les pays émergents. Télescopage de dates : au moment où PSA annonçait son plan de suppression de 7 000 emplois en Europe, il rendait public un investissement de près d’un milliard d’euros (940 millions exactement) au Brésil pour y doubler ses capacités de production.

Le premier facteur de la restructuration en cours est donc cette nouvelle répartition des zones géographiques de production et de vente. Il y a dix ans, on mesurait l’internationalisation de Renault et PSA à la part de leur activité effectuée hors de France qui était autour de la moitié. L’objectif des deux groupes est d’atteindre d’ici à 2015 le seuil de la moitié des activités hors d’Europe.

Les délocalisations pratiquées sous l’égide de PSA et Renault

Les délocalisations bien réelles qui touchent de nombreuses usines de l’automobile en France sont dues à la politique délibérée des constructeurs français Renault et PSA pour élargir leurs bases de production aux périphéries du continent, l’Europe de l’Est, l’Afrique du Nord et la Turquie. Les investissements réalisés dans ces pays ne servent pas bien sûr aux seules ventes dans ces pays mais ont aussi vocation à préparer des réexportations dans les pays de l’ouest européen.

Les fermetures programmées des usines d’Aulnay, de SevelNord et de Madrid pour PSA ne s’expliquent pas par le fait que PSA vend moins de voitures. Est en cause sa volonté de réorganiser son appareil de production aux dimensions du continent européen en augmentant les charges de travail des uns et en fermant les usines des autres. À cet égard, pour la direction de PSA, la première concurrente de l’usine Aulnay est l’usine voisine de Poissy. Il n’est pas nécessaire d’aller rechercher les concurrents du côté de l’Extrême-Orient.

Les motifs comptables d’économies sont un mensonge distillé par les directions patronales à la fois pour attiser les divisions entre travailleurs et pour organiser le chantage sur les conditions de travail et les salaires prévalant en France.

Compte-tenu du fait qu’un constructeur ne produit que 20 % d’une voiture finie, on voit bien que les gains réalisés sur les salaires – dont tout indique qu’ils vont augmenter dans les pays à plus bas coûts à la suite de probables résistances ouvrières – ne justifient pas à eux seuls les choix d’implantation. Ce qui prime est là encore une volonté de fragmenter les collectifs de travail en jouant sur les concurrences nationales. Aux patrons le privilège de profiter de la mondialisation des profits, aux salariés d’être les jouets des divisions nationales et chauvines : c’est le credo des directions patronales d’aujourd’hui.

À l’échelle des échanges entre continents, ce sont les transports de pièces et d’équipements automobiles qui se sont développés cette dernière décennie. Au contraire, les échanges et transports de voitures finies entre continents se sont stabilisés et la tendance est à l’installation sur place des constructeurs automobiles qui veulent trouver de nouveaux débouchés. De nouvelles usines japonaises sont construites aux États-Unis et aussi en France avec Toyota à Onnaing près de Valenciennes.

En ce qui concerne la France, il y a certes une inversion de tendance par rapport à la situation qui prévalait avant les années 2000 : plus de voitures sont maintenant importées en France qu’exportées. L’origine de cette situation tient au déséquilibre croissant du commerce d’automobiles entre la France et l’Allemagne : on est au cœur de la concurrence entre économies capitalistes développées.


Le démembrement du processus de production des automobiles

La second facteur tient au rôle croissant des équipementiers et des sous-traitants dans la production de voitures. Le constructeur ne produit plus que 20 % environ d’une voiture, essentiellement la motorisation et la caisse en blanc. Tout le reste est fabriqué à l’extérieur et rassemblé dans les usines de montage. L’automobile a mis plus d’un siècle à se concentrer en une poignée de groupes présents dans le monde entier. Les équipementiers n’ont pas encore atteint ce même niveau de concentration.

Quelques grands équipementiers sont déjà concentrés à coup de croissance et de rachats opérés dans les années précédentes tels Valeo, Bosch, Motorola, Continental ou Faurecia appartenant à PSA. Mais la sous-traitance automobile est encore dispersée entre entreprises de taille plus petite. Ce secteur est en pleine restructuration avec un « fonds de modernisation des équipementiers automobiles» financé par l’État, PSA, Renault et les grands équipementiers. Les fusions y sont organisées à marche forcée, avec emplois supprimés et usines fermées.

Dans ce secteur, les délocalisations sont plus rapidement décidées et organisées que pour les grandes usines automobiles. Le transport de pièces et d’équipements est moins onéreux que celui des voitures assemblées. Tous ces facteurs concourent à faire des usines sous-traitantes de l’automobile une cible privilégiée pour les délocalisations. Les enchères visant à trouver le fournisseur le mieux-disant en termes de prix, pilotées par ordinateur situé au siège social du constructeur, est une pratique de plus en plus courante.

Concurrence et approvisionnement sont mondialisés. Cette dépendance vis-à-vis de fournisseurs s’est révélée particulièrement contraignante à l’occasion du tremblement de terre et de la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon. La production de composants électroniques y a été bloquée au mois de mars 2011 pendant plusieurs semaines. Des usines de PSA, faute du micro-processeur fourni par Hitachi pour les moteurs diesel, ont dû être mises en chômage technique.

Pour préparer le tous ensemble, des luttes victorieuses

Les démembrements programmés par les directions patronales ne sont pas une fatalité. Des exemples montrent qu’il est possible de se battre victorieusement sur ce terrain. Les ouvriers de Ford Bordeaux ont réussi à obtenir le rachat de l’usine de Blanquefort par le constructeur américain Ford qui l’avait cédée quelques années auparavant à un opérateur conduisant l’usine à la faillite. De même, les ouvriers de la fonderie SBFM à Lorient ont réussi à gagner la reprise de leur usine par Renault, l’ancien propriétaire, qui l’avait lui aussi vendue.

Le tous ensemble dans l’automobile ne peut s’envisager sans la mobilisation coordonnée de tous les secteurs : constructeurs, équipementiers et sous-traitants. En sus de motifs financiers, le démembrement actuel du processus de production est un outil supplémentaire pour diviser et fragmenter les luttes. C’est du point de vue des travailleurs une raison de plus pour s’y opposer en ciblant chaque fois que nécessaire les adversaires les mieux à mêmes d’entraîner des résistances coordonnées, les donneurs d’ordre PSA et Renault, ainsi que l’État co-financeur de la restructuration en cours de la sous-traitance automobile.


Une violence aggravée par l’austérité

La violence des restructurations en cours va s’aggraver avec la récession qui se prépare en Europe avec les mesures d’austérité mises en pratique partout pour faire payer crise et dette aux salariés. L’Espagne est l’un des pays européens les plus concernés par une austérité s’appliquant déjà. Les ventes d’automobiles y ont chuté de 20 % sur les neuf premiers mois de l’année 2011 par rapport à 2010. Le chômage partiel qui vient d’avoir lieu dans les usines PSA et Renault, ainsi que les 7 000 suppressions d’emploi et le plan d’économies de PSA s’inscrivent dans cette préparation à l’austérité et la récession qui viennent. Le gros des attaques contre les conditions de travail et l’emploi sont devant nous.

En Europe, l’industrie automobile ne connaîtra plus de phase de croissance comparable à celle qui a eu lieu dans les décennies qui ont succédé à la Deuxième Guerre mondiale. L’équipement de la population en voitures ne progresse plus en Europe de l’Ouest depuis le milieu des années 2000. Mais la stabilisation des ventes de voitures neuves à une quinzaine de millions par an en Europe ne suffit pas aux capitalistes.

Les sur-capacités de production toujours là

Dans le monde de concurrence qui est celui des capitalistes, pour atteindre le niveau de rentabilité exigé par les actionnaires, il faut constamment produire moins cher par la mise en place de nouvelles machines, la réorganisation permanente des modes d’organisation du travail pour gratter chaque fois un peu plus, et la diminution des effectifs. On ne réalise plus de profits qu’en produisant plus, soit en nombre de voitures produites, soit en voitures de plus en plus chères parce que plus riches en équipements.

Si ces solutions sont bloquées, il ne reste comme perspectives que produire plus que les concurrents. Comme chacun des patrons capitalistes espère être le meilleur, chacun investit et participe à l’augmentation des sur-capacités de production. Cela passe où cela casse. La menace de fermetures d’usines contenue dans les annonces de PSA le confirme.

En fait, de nouveaux débouchés sont bloqués en Europe pour l’industrie automobile. Il n’y aura pas plus de voitures vendues et les acheteurs ne sont pas prêts à payer des voitures plus cher.

L’utilisation des voitures deviendra, de plus, difficile avec le pétrole rare et les normes officielles antipollution qui grèveront le prix des voitures. À l’horizon des dix prochaines années, l’industrie automobile n’a pas de réponse sérieuse en termes de nouveaux débouchés techniques. Pour le véhicule électrique, les prévisions les plus larges – celles de Renault qui sont le double de celles des autres constructeurs  – indiquent qu’elles ne représenteront à cet horizon qu’une part minuscule du milliard d’automobiles en circulation dans le monde. Utilisant des ressources rares et polluantes pour la production d’électricité et de batteries, elles seront soumises aux contraintes que devrait imposer la préservation de l’environnement.

Il ne faut pas compter sur l’industrie capitaliste de l’automobile pour répondre aux défis de l’environnement. Et il faut refuser d’être les supplétifs d’une Sainte Alliance en défense de l’automobile au nom de l’emploi menacé.

Jean-Claude Vessillier

Publié dans la revue du NPA "Tout est à Nous", novembre 2011.

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Faire face aux offensives patronales mondialisées

Par Jan Malewski, Inprecor, juillet 2012*

Après une chute en 2008 (-3,7 %) et surtout en 2009 (-12,4 %), la production mondiale de voitures est repartie à la hausse en 2010 (+ 25,8 %) et 2011 (+3,2 %), atteignant le niveau record de 80,1 millions de véhicules. La nouvelle situation n’est pas la simple reprise de l’avant récession. La concurrence entre les groupes automobiles mondialisés, essentiellement nord-américains, européens et japonais, qui contrôlent toujours cette industrie, s’est encore aiguisée. Ces groupes ont vu leur chiffre d’affaires augmenter et ont restauré leurs profits. Pour préserver ces bénéfices, une profonde restructuration de toute l’industrie automobile est en cours. Elle est particulièrement violente : il s’agit de faire payer la crise aux travailleurs en transformant les rapports sociaux et en soumettant les syndicats ou en expulsant les trop insoumis des entreprises.

C’est un basculement géographique de la production que la crise a provoqué

Depuis 2010, plus de la moitié de la production est réalisée en Asie, et cela alors qu’en 2011 la production japonaise a chuté de 12,8 % à la suite de l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima.

Aux États-Unis, après un effondrement de la production depuis 2003 (et une chute de 34,1 % en 2009), la production a recommencé à croître dès 2010 (+35,4 %) et en 2011 (+11,5 %).

Europe, le maillon faible

En Europe, le secteur automobile « fait face à des surcapacités de production d’environ 20 % (…). C’est exactement le problème auquel étaient confrontés les États-Unis en 2007-2008. Mais, là-bas, les constructeurs américains ont fermé 20 % de leurs capacités et, maintenant, ils gagnent tous de l’argent », expliquait en mars Sergio Marchionne, patron de Chrysler-Fiat et président de l’Association de constructeurs automobiles européens (1). Et il revendiquait une politique de l’Union européenne inspirée par le plan sidérurgie des années 1980, qui avait conduit à la liquidation de nombreux sites et finalement à l’effondrement de la sidérurgie européenne.

Carlos Ghosn, le PDG de Renault-Nissan, annonçait en avril : « Nous pouvons arriver à gérer nos surcapacités européennes à moyen et long termes si, et seulement si, aucun constructeur ne se lance dans une restructuration. Si un le fait, il forcera les autres à le suivre. » (2) Mais les deux constructeurs les plus affaiblis en Europe, PSA Peugeot-Citroën et General Motors (GM, Opel) ont déjà commencé les restructurations. En mars 2012, ils annonçaient une alliance stratégique. En juin, GM — qui a déjà fermé le site d’Opel à Anvers en octobre 2010, supprimant 2.400 emplois — programmait la fermeture de son site historique à Bochum (Allemagne) et envisagerait de vendre son usine de Strasbourg (France), tout en investissant pour doubler sa production à Sankt Petersburg, en Russie. PSA prépare la liquidation de l’usine d’Aulnay-sous-Bois et en même temps augmente la charge de la production à Poissy, deux sites en région parisienne (France). Il envisage d’arrêter les usines de Sevelnord, en France, et de Madrid, en Espagne.

C’est la volonté de réorganiser l’appareil de production dans le continent européen en mettant en concurrence les travailleurs de leurs divers sites et en brisant les syndicats qui ne sont pas prêts à se soumettre. Les surcapacités de production et l’uniformisation croissante des modèles produits permettent au patronat de jouer les sites les uns contre les autres, d’augmenter ou de réduire la production dans l’une ou l’autre des usines qu’il contrôle, d’utiliser le chômage partiel et les menaces de liquidation.

Ainsi Fiat, après avoir profité des bas salaires et des horaires du travail plus flexibles en Pologne pour y fabriquer les petites voitures pour l’essentiel exportées, a menacé de fermer son usine à Pomigliano dans le sud de l’Italie si les syndicats n’y acceptent pas les conditions similaires, faisant en même temps miroiter la délocalisation de la production de son petit modèle Panda de Tychy (Pologne) à Pomigliano. Il ne s’agissait pas là d’une réduction des coûts de production immédiats, mais bien de la destruction des acquis sociaux de travailleurs. Après avoir réussi à imposer à Pomigliano la flexibilisation du travail et la réduction des salaires, Sergio Marchionne a remis en cause la convention collective dans l’ensemble des sites italiens de la Fiat, et surtout il a imposé un nouvel « accord », qui met en cause l’existence du principal syndicat, la FIOM-CGIL, dans les usines Fiat en Italie. En même temps il joue la diminution de la production à Tychy pour y casser les syndicats, forçant les salariés à se désyndicaliser. Après avoir transféré la production de la nouvelle Panda de Tychy à Pomigliano, il a commencé la production à Toluca (Mexique) de l’autre modèle produit jusque là seulement en Pologne, la Fiat 500.


Coordonner les luttes

Si les confrontations entre capital et travail traversent les frontières, si l’avenir des milliers d’emplois de constructeurs automobiles et des sous-traitants se joue à l’échelle mondiale, au cœur de groupes internationaux qui ne se souviennent de leurs racines nationales que pour demander les généreux subsides aux États conciliants, les réponses du mouvement ouvrier, qui reste enserré dans les frontières des États nationaux, s’avèrent inefficaces. La sortie de l’isolement des luttes est un enjeu décisif pour faire face aux offensives patronales. La multiplication des échanges entre les équipes militantes des différentes usines automobiles et sous-traitantes, entre les syndicalistes et les militants politiques, entre les réseaux est indispensable.

Ainsi, en décembre 2010, les militants du syndicat polonais « Août 80 » et ceux de l’organisation anticapitaliste italienne Sinistra critica, ont pris l’initiative d’une rencontre à Turin et ont participé ensemble au meeting de protestation organisé par les syndicalistes de la FIOM devant l’usine Mirafiori (3). Alors, à Tychy comme à Turin et à Pomigliano les travailleurs de Fiat s’opposaient aux attaques de Sergio Marchionne, en Serbie une lutte était en préparation et les conditions d’une grève commune pouvaient être réunies. Mais la routine syndicale, les habitudes, l’enfermement national des expériences syndicales ont prévalu, la FIOM a organisé une mobilisation limitée aux journées de grève en Italie, les grévistes de Zastava — que Fiat venait d’acquérir en Serbie en refusant la continuité de l’emploi des travailleurs serbes — ont été battus, les travailleurs de Tychy n’ont pas réussi à démarrer la grève…

En mai 2011, les équipes militantes de Fiat et GM de Pologne, de Renault de France et d’Espagne, de Volvo-Trucks de Suède, de Ford France, de Seat d’Espagne, de Fiat Italie ont organisé une conférence européenne à Amsterdam, avec l’aide de l’Institut international de recherche et de formation (IIRE-IIRF). Aux côtés de militants du Nouveau parti anticapitaliste (France), du Parti polonais du travail (PPP), de Sinistra critica, du Socilistiska Partiet de Suède, il y avait la présence des dirigeants des syndicats « Août 80 » de Pologne, de la CGT d’Espagne et de Solidaires-Industrie de France. La direction de la FIOM italienne, après des hésitations, ne s’est pas déplacée (4). Les militants allemands du Conseil international des travailleurs de l’automobile, ne pouvant y aller, ont envoyé à la conférence un message de solidarité et une invitation à participer à leur septième rencontre internationale en 2012. Une déclaration appelant à la convergence des initiatives allant dans le même sens a été adoptée.


Une rencontre internationale des travailleurs combatifs

Cette année, à l’occasion du week-end de l’Ascension (17-20 mai 2012), s’est tenue à Munich la réunion du 7e Conseil international des travailleurs de l’automobile (CITA). Ce sont les militants du MLPD (5) qui sont à l’initiative des réunions du CITA depuis 1998. C’est à la fois une réunion de formation de militants, sympathisants du MLPD du l’industrie automobile et de leurs familles et une rencontre internationale ou d’autres organisations sont invitées.

Plus de 300 militantes et militants, venant de 20 pays, ont participé à la rencontre de 2012. Outre les militants de l’industrie automobile du MLPD, souvent engagés dans le syndicat IG Metall, et leurs contacts internationaux, on notait la participation de militants du NPA de France (Renault et PSA), de Sinistra Critica d’Italie (Fiat), de la Fédération de la métallurgie CGT de l’État espagnol (Seat, PSA, Renault, Opel), du Syndicat libre « Août 80 » de Pologne (Fiat et GM), de la Fédération de la métallurgie de la KCTU de Corée du Sud (Ssangyong), de CSP Conlutas du Brésil (GM, Volkswagen, Daimler, Chrysler, PSA), du Syndicat indépendant NTUI d’Inde, de l’Union nationale des travailleurs du Venezuela (Ford), du Syndicat interrégional des travailleurs de l’automobile de Russie (Ford), ainsi que les militants de Autoworkers Caravan qui regroupe les syndicalistes radicaux aux États-Unis (GM, Chrysler). Les délégations de la FIOM d’Italie et de la CGT de France, annoncées, n’ont finalement pas participé à la rencontre… Pour l’Allemagne, il n’y avait pas d’autres courants lutte de classe représentés en dehors de celui, initiateur de la réunion, du MLPD.

Des forums de discussion et d’échanges d’expériences ont abordé des questions aussi diverses que les nouvelles technologies, la coordination internationale des travailleurs de l’industrie automobile, la formation et l’embauche des jeunes, la démocratie dans les syndicats, la charge du travail et la santé des salariés, la lutte contre le travail intérimaire, la lutte des femmes et le mouvement ouvrier, la question de l’environnement… Un échange sur les expériences de lutte et attaques patronales a été organisé dans les réunions par groupes automobiles (Bosch, BMW, Daimler-Renault, Fiat-Chrysler, Ford, GM-PSA, Volkswagen-Audi-MAN) : il montre que la volonté de tisser des liens par-delà les frontières est partagée par de nombreux militant(e)s et structures syndicales combatives. Ces réunions par groupes ont ainsi permis d’avancer vers le regroupement international en échangeant les contacts en vue des luttes futures et pour construire l’indispensable solidarité.

Les militants du MLPD ont présenté une déclaration en vue de structurer un mouvement international des travailleurs de l’automobile, voulant passer du Conseil international vers une « Première conférence internationale des travailleurs de l’automobile » envisagée en 2014 ou 2015, qu’ils proposent d’organiser autour de « quatre piliers : 1. une assemblée de délégués qui comprendra jusqu’à 5 délégués par pays et qui prendra des décisions ; 2. des forums de coopération internationale au niveau des groupes industriels ; 3. des groupes de réflexion et des ateliers ; 4. une large participation avec des animations variées (débats, ateliers, culture). » La déclaration poursuit : « Nous appelons les représentant(e)s de syndicats, des équipes des entreprises, les familles des travailleurs et travailleuses de l’automobile, des regroupements, des associations, des groupes culturels ou politiques du mouvement des travailleurs de l’automobile et de leurs familles dans les différents pays à participer à la préparation et à la réalisation de la Première conférence internationale des travailleurs de l’automobile. Sont exclues les tendances fascistes, racistes, sexistes et fanatiques religieuses. »

Le débat sur cette déclaration a fait apparaître des divergences d’approche. Les syndicalistes polonais d’« Août 80 » ont souligné qu’au vu de la très grande différence de représentativité des délégations présentes — des dirigeants des syndicats nationaux ou d’entreprises, des militants d’organisations politiques anticapitalistes, des militants associatifs, des travailleurs combatifs et leurs familles — il n’était pas démocratique de procéder à des votes et que pour avancer la construction d’une coordination internationale il fallait construire un consensus et remettre à l’avenir les décisions sur des questions où les divergences ne pouvaient être immédiatement dépassées. Les militants du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France) et de la CGT de l’État espagnol ainsi que la représentante de la KCTU sud-coréenne ont, eux aussi, exprimé chacun leur réserve ou leur désaccord. Ils ont dû faire face à une multitude d’interventions de militants et sympathisants du MLPD les accusant de vouloir empêcher la prochaine rencontre internationale ! Et la présidence n’a pas jugé utile de permettre à ceux qui formulaient des critiques de reprendre la parole…

Bref, une caricature de débat. Pire, alors que la délégation polonaise a décidé de ne pas prendre part au vote dans ces conditions, tout en soulignant qu’elle voulait poursuivre les relations de coopération et de débat, elle n’a pas eu la parole.

Un groupe international de coordination pour préparer la conférence de 2014 ou 2015 a ensuite été élu. Là encore, la présidence a voulu empêcher que le camarade du NPA, qui n’a pas voté la déclaration, ne puisse être candidat. Les délégués de la CGT espagnole et de CSP Conlutas brésilien ont appelé à un vote bloqué et non à une élection individuelle. Finalement, après deux votes successifs pour savoir si le groupe de coordination devait être élu individuellement ou en bloc — donc y compris le représentant du NPA — l’assemblée a mis la présidence en minorité… ce qui ne semblait pas habituel.

Mais dans le compte-rendu publié par le CITA ont peut lire : « A l’unanimité, les participants du 7e Conseil international des travailleurs de l’automobile le 20 Mai à Munich, ont décidé la préparation de la Première Conférence internationale des travailleurs de l’automobile (…). D’abord, quelques collègues de France et de Pologne tenaient la décision d’une conférence de travailleur automobile comme prématurée. Ils ont retiré leurs demandes après une discussion détaillée à ce sujet. » (6)

Ces tensions, comme d’ailleurs l’absence à la rencontre de Munich d’autres courants lutte de classe allemands, témoignent des difficultés de la coordination internationale des travailleurs de l’automobile. Cependant la réunion de Munich constitue un pas en avant : elle aura permis à des syndicats nationaux qui font le choix de la lutte de nouer des liens avec des équipes et de militants de base. Les militants de GM-Opel et de PSA d’Allemagne, de Pologne et de l’État espagnol, confrontés maintenant aux restructurations et à la liquidation de plusieurs de leurs sites ont pu se connaître et établir des relations. C’est potentiellement la possibilité de construire des solidarités, d’aller vers l’organisation des luttes communes, coordonnées pour s’opposer aux projets patronaux. En témoigne le message de solidarité avec les travailleurs de GM-Opel et de PSA d’Europe, adopté par l’assemblée générale des grévistes de l’usine General Motors de Sao José dos Campos (Brésil), le 27 juin 2012 à l’initiative du syndicat CSP Conlutas (7).

Jan Malewski, rédacteur d’Inprecor, membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale, a participé à la rencontre du Conseil international des travailleurs de l’automobile à Munich, les 17-20 mai 2012.

* http://orta.dynalias.org/inprecor/article-inprecor?id=1327

Notes

1. Cité par Le Figaro du 20 mars 2012

2. Interview Carlos Ghosn, le 20 avril 2012 : http://www.investir.fr/

3. cf. Inprecor n° 569/570 de janvier-février 2011

4. voir le dossier sur la Conférence européenne des travailleurs de l’automobile, Inprecor n° 575/576 de juillet-septembre 2011.

5. Marxistisch-Leninsistische Partei Deutschland (MLPD, Parti marxiste-leniniste d’Allemagne) est une organisation se réclamant de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong, dirigée par Stefan Engel, qui regroupe plus d’un millier de militants en Allemagne. Fondé sous sa forme actuelle en 1982, le MLPD a réussi à faire élire une dizaine de conseillers municipaux. Aux élections législatives de 2009 il a présenté des listes dans 16 Lander, obtenant 0,1 % des suffrages. Il fait partie de la Coalition internationale des partis et organisations révolutionnaires (ICOR).

6. Sur le site web du CITA (ce texte existe seulement en allemand) : http://www.iaar.de

7. La vidéo (en brésilien, sous-titré en anglais) :


Voir ci-dessus