Territoires occupés en Palestine : la violence au quotidien
Par Pascaline Fahy le Mardi, 18 Septembre 2012

Infirmière en psychiatrie, membre du Collectif Urgence Palestine et de la campagne de Boycott–Désinvestissement–Sanctions (BDS), Pascaline Fahy a passé cinq mois dans les Territoires occupés et participé à deux missions civiles. Nous publions ci-dessous des extraits d’un article relatant les effets sur la santé mentale de l’occupation, paru dans son entier dans la revue «  Soins infirmiers  » de l’Association suisse des infirmiers et infirmières.

Hébron est une des principales villes palestiniennes, et la seule des Territoires occupés qui ait une population de colons juifs dans son centre, mêlés aux Palestinien.nes. […] La liberté de mouvement des Palestinien.nes est extrêmement limitée par un nombre important de checkpoints. L’accès à certaines rues leur est interdit, à pied ou en voiture étant réservé à l’usage de l’armée et des colons. […] La violence que la population locale subit de la part de l’armée ou des colons est quotidienne et reste souvent impunie.

Impact sur la santé mentale

Le contexte de la ville a un impact énorme sur la santé mentale de la population, car tous les gestes de la vie quotidienne sont conditionnés par l’occupation. Le témoignage de la famille S. représente la réalité de la vie dans cette ville.

La famille vit depuis 4 ans dans une maison qui est située entre deux checkpoints, à proximité d’une colonie ; l’armée a installé une tour de contrôle sur son toit – auquel elle ne peut accéder même pour faire des travaux – et un mur devant sa maison. Les colons viennent sur ce toit toutes les semaines, ils y dansent et prient, et parfois ils urinent sur la maison ou jettent des pierres aux enfants. L’armée et la police israéliennes n’interviennent en général pas, et la famille est seule pour faire face aux agressions.

Le père de famille est bénévole pour B’tselem, une ONG israélienne qui distribue des caméras aux Palestinien.nes, pour qu’ils puissent documenter la violation de leurs droits et les violences dont ils sont victimes. Les parents sont décidés à ne pas quitter leur maison, mais s’inquiètent pour leurs enfants. Un colon a jeté une pierre sur leur fille de 14 ans alors qu’elle se rendait à l’école, il y a un peu plus d’une année, lui cassant la mâchoire. Leur autre fille, plus jeune, a été victime d’un colon qui a mis le feu à ses cheveux, et leur fils de 13 ans a été poussé dans des barbelés par des soldats. Chaque victime réagit différemment. La plus jeune fille est devenue introvertie et anxieuse, tandis que l’aînée participe au travail de B’tselem, caméra au poing ; elle dit vouloir résister jusqu’à ce que les colons et l’armée partent.

Les parents sont victimes également. Quelques jours avant notre visite, les soldats sont venus chercher le père de famille vers 22 h, ils l’ont battu et détenu au checkpoint pendant 2 heures, sans aucune raison.

Tristesse, peur, résignation

Un rapport de l’ONU sur la situation sanitaire dans les Territoires occupés donne des chiffres alarmants. Jusqu’à 96 % des citoyen.nes sont affectés par un état de tristesse ; chez les enfants 51 %, n’ont plus envie de participer à une activité, 61 % montrent des signes de craintes, 43 % présentent des troubles du sommeil, et 63 % de l’anxiété.

La vie à Hébron est comparable à celle d’une personne victime de violence vivant avec son agresseur. Elle est rythmée par des incidents impliquant l’armée ou les colons, causant une tension permanente chez la population. Ces incidents sont de nature variée : détention arbitraire au checkpoint, patrouille nocturne où les soldats entrent dans les maisons et endommagent du matériel, arrestations sans motif d’adultes ou d’enfants, restriction de la liberté de mouvement, violence physique, provocation à caractère religieux (soldats imitant l’appel à la prière au checkpoint ou entrant dans la mosquée). […]

Le camp de Balata

Dans le camp de réfugiés de Balata, Naplouse, la situation est peut-être pire encore. 25 000 personnes s’entassent sur un kilomètre carré, dans un méandre d’immeubles en béton à peine assez large pour laisser passer un homme adulte à certains endroits. Ici, la promiscuité est la norme ; les maisons sont humides et sombres, et n’offrent aucune intimité. 46 % de la population du camp est sans emploi, et 65 % a moins de 18 ans.

[…] La situation sociale, économique et psychologique se détériore dans le camp de Balata. L’économie locale a été détruite par l’occupation, l’absence de travail et la frustration de ne voir aucune fin à l’occupation créent des problèmes sociaux nouveaux pour la société palestinienne, attaquant sa structure même. La violence envers les femmes explose, les jeunes sortant des geôles israéliennes se retrouvent sans formation, sans perspectives d’avenir, devenant des proies faciles pour les mouvements extrémistes. La consommation d’alcool et de drogues augmente, tout comme le taux de suicide.

Aucune perspective

Un éducateur travaillant dans le centre culturel du camp donne un compte rendu inquiétant de la santé mentale des habitants. Selon lui, la vie est plus difficile maintenant que jamais. L’absence de processus politique, la progression des colonies dans la région, et l’improbabilité de voir un jour un Etat palestinien sont source d’une frustration qu’il est de plus en plus difficile de canaliser. Beaucoup de gens n’arrivent plus à se projeter dans l’avenir, la vie est comme suspendue… la résilience de beaucoup de Palestinien.nes a atteint ses limites.

Il évoque un fait divers qui illustre le quotidien, une histoire parmi tant d’autres. Dans le courant du mois de mars, trois jeunes Palestiniens âgés d’environ 14 ans ont tenté de pénétrer dans une colonie. Ils savaient que ce serait considéré comme un acte terroriste et qu’ils se feraient tirer dessus, mais dans une société où le suicide est interdit par la religion, ils se sont imaginé que mourir en martyr était une façon digne de mettre fin à leur jour, et de se libérer d’un présent trop pénible et d’un avenir inexistant. […]

Voir ci-dessus