Pas de trève estivale pour Belgacom
Par Séraphin Lampion le Mercredi, 03 Août 2011

Contrairement à la météo de ces dernières semaines, la température est montée d’un cran chez Belgacom. La presse a révélé ce que le Conseil d’administration avait discrètement appris au mois de juin : l’Administrateur délégué  -Didier Bellens-  a été inculpé de « corruption passive »  lors de la vente à une société immobilière privée d’un bâtiment de l’entreprise situé à Mons, une ville dont le bourgmestre est, par ailleurs,  toujours ( ?) un potentiel futur premier ministre. Pour la petite histoire, la société en question –Xelis Siva SPRL-  était dirigée par Edmée De Groeve, une personnalité ayant occupé de hautes fonctions pour le compte du PS. Celle-ci aurait  été inculpée, par le juge d’instruction chargé de ce dossier, de « faux et usage de faux, détournement par fonctionnaire et escroquerie », et de « corruption active ».

Dans le même temps, les rumeurs concernant une privatisation intégrale de l’entreprise publique agitent à nouveau le landerneau politico-médiatique. Il est vrai que celles et ceux qui veulent négocier la constitution d’un gouvernement avec le « premier citoyen » de la Cité du Doudou, à ses heures perdues « formateur royal », vont devoir aller chercher de l’argent, beaucoup d’argent, pour « assainir » les finances publiques. Et la vente  de Belgacom pourrait rapporter jusqu’à 4 milliards €, une coquette somme en cette époque d’austérité budgétaire qui, pour l’essentiel, n’épargnera pas les travailleurs et  les allocataires sociaux.

Naturellement, des observateurs que l’on dit « avertis » estiment qu’il n’existe aucun rapport entre les turpitudes personnelles de Didier Bellens, et le sort d’une entreprise qui semble maintenant intéresser le géant Deutsche Telekom.

Certes la trajectoire d’un individu ne peut être amalgamée à la vaste problématique de la vente d’une société toujours majoritairement la propriété de l’Etat belge.

Sauf que Didier Bellens est l’un de ces patrons de chocs si caractéristiques du capitalisme financier, et que cet ami d’Albert Frère, parrainé par le PS et son président, a pris la succession de feu John Goossens en 2003, afin de poursuivre l’œuvre de son prédécesseur : restructurer de fond en comble l’ancienne RTT dans le but d’augmenter sans cesse sa « profitabilité »,  de satisfaire  les attentes immédiates des actionnaires, et d’augmenter ainsi  sa valeur en vue d’un rachat éventuel par des investisseurs toujours à la recherche d’un bon coup.

Homme autoritaire qui dispose de ses « collaborateurs » à sa guise, négociateur habile qui se joue de ses interlocuteurs syndicaux, personnage sans scrupule qui n’hésite pas à se débarrasser de ses propres actions pour alimenter son bas de laine, souvent mis sur la sellette –notamment à l’occasion de la prolongation de son contrat en 2008 et des controverses concernant sa plantureuse rémunération-,   Didier Bellens a pleinement répondu aux attentes de ses mandants.

En effet, sous sa férule, Belgacom a continué à accumuler d’impressionnants bénéfices grâce…  aux efforts et aux sacrifices imposés au personnel, avec l’accord  tacite du sommet des organisations syndicales : le niveau de l’emploi continue à diminuer, sa qualité se dégrade avec le recrutement persistant de travailleurs disposant de contrats précaires à la place d’agents  statutaires, et les coûts salariaux sont restés sous contrôle.

Le bilan anti-social de cette « entreprise publique » est d’ailleurs édifiant. Pour mémoire, les salariés ont subi en moins de deux décennies une « consolidation stratégique » (=  vente de 50 % des parts de l’entreprise à des « partenaires privés ») orchestrée par le ministre de tutelle de l’époque, un certain Elio Di Rupo ; des plans de réduction massifs des effectifs qui ont coûté plus de 10.000 postes de travail ; des restructurations internes à répétition ayant entrainé une mobilité géographique et professionnelle contrainte pour des milliers de membres du personnel ;  l’introduction de critères de gestion et de techniques « managériales » dignes du secteur privé ; la course à la rentabilité financière en lieu et place d’une logique  de « rentabilité sociale » propre au service public ;   l’entrée en bourse de l’entreprise (sous l’égide d’un gouvernement à participation « socialiste »). Et pour chacun de ces bouleversements, les actionnaires ont pu compter sur des dirigeants efficaces, que ce soient Bessel Kok, John J. Goossens et Didier Bellens.

Aujourd’hui, Belgacom est une entreprise majeure du « Bel 20 », qui réalise année après année d’impressionnants bénéfices, et qui  continue à susciter les convoitises. La crise aidant, il n’est dès lors pas surprenant que la tentation de la vendre refait surface.

Evidemment, une telle opération ne se fera pas sans discussions entre « partenaires » d’une future coalition gouvernementale, car Belgacom rapporte chaque année plusieurs centaines de millions €  de dividendes à ses actionnaires. Une opération one shot serait certes financièrement intéressante à court terme,  mais pénalisante ensuite : une fois la vache vendue, il ne sera plus possible de la traire !

Pour autant, cette réalité économique ne constitue nullement une garantie pour les adversaires de la privatisation de l’un des derniers fleurons d’un secteur public, largement démantelé depuis 30 ans. Les représentants des partis politiques dominants ont démontré, durant cette période, leur capacité servile à défendre les intérêts du Capital. Et pour garantir le paiement de la charge de la dette (les intérêts) aux banques, ils n’ont jamais hésité à brader des biens publics, notamment en vendant des bâtiments appartenant à l’Etat, lors d’exercices budgétaires scabreux.

L’actuelle « crise de régime » devrait finir par connaître un dénouement heureux pour les tenants d’un establishment aux abois, et même si la constitution d’un gouvernement de plein exercice prendra encore beaucoup de temps, une fois opérationnel, celui-ci devra aller chercher au minimum 22 milliards €, et ce avant 2015 ! La discussion ne portera donc pas tant sur une issue  finale préparée de longue date que sur le moment le plus opportun et la meilleure manière de concrétiser la vente de Belgacom.

Le seul élément pouvant perturber un scénario bien huilé, quel que soit celui qui sera in fine retenu, reste ici aussi une forte mobilisation des travailleurs et des usagers. Il n’existe pas d’autres moyens pour mettre en échec la rage privatoire des « élites » et éviter une nouvelle régression sociale de grande ampleur.


Didier Bellens : un CV plein d’enseignements !

Didier Bellens est un homme de pouvoir et d’influence. Il n’est pas seulement l’administrateur délégué de l’opérateur historique des télécommunications, mais il est également membre du conseil d'administration d'AXA Belgique, de l'organisation patronale flamande VOKA,  et il  fait partie du comité de direction de la FEB (Fédération des Entreprises de Belgique). Il est en outre président (indépendant) du Comité de nomination et de rémunération du conseil d'administration de la Compagnie Immobilière de Belgique, conseiller de CV Capital Partners, et membre du Comité Consultatif International de la Bourse de New York. L’homme siège aussi au conseil d'administration de la Fondation Erasme et de la Fondation ULB,  et il est le vice-président du Conseil Consultatif de la Solvay Business School. Son mandat à la tête de Belgacom court (en principe !) jusqu'en mars 2015.

Didier Bellens a rejoint cette entreprise  en 2003, avec l’appui notoire du PS, après avoir été le directeur financier, puis  le directeur général  du Groupe Bruxelles Lambert (GBL,). Ce très proche collaborateur d’ Albert Frère  a également joué un rôle au sein du Groupe RTL, en tant qu’administrateur délégué, en s’occupant entre autre de l’expansion internationale du groupe et de son introduction en Bourse (tiens, tiens…).

On se rappelle que de vives discussions ont eu lieu en 2008 lors de la prolongation de son contrat à la tête de Belgacom. Parce que Didier Bellens était alors le CEO le mieux payé du Bel20, ce qui faisait un peu désordre  pour une entreprise (en partie) publique. Sa rémunération avait été revue légèrement à la baisse, sans pour autant le condamner au pain sec et à l’eau.  Sa rémunération totale, en 2010, a encore dépassé les 2,2 millions €, de quoi  lui permettre de continuer à mettre du caviar sur ses  tartines ! Et dire que certains proclament que la bourgeoisie n’existe plus et que la lutte des classes est un concept désuet…

S.L

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