Formation du gouvernement: Di Rupo opte pour le bain de sang social
Par Peter Veltmans le Mercredi, 06 Juillet 2011

Le 4 Juillet le formateur Elio Di Rupo a rendue publique sa « note de formation »tant attendue. Ce document contient quatre sections: les finances publiques, la réforme de l'État (y compris le dossier BHV), la loi de financement et un volet socio-économique. La justice, l'immigration et l'asile et le renouveau politique sont aussi évoqués.

Application de la pensée unique néolibérale

Après des mois de querelles sur les questions communautaires, cette note contient des pistes sur la crise socio-économique et ce que le formateur pense qu'il faut faire. Dans ce cadre, il se situe pleinement dans la pensée unique néolibérale dominante. Selon lui, il faut réduire considérablement les dépenses publiques. Il est également d’accord avec le discours selon lequel « les pensions sont impayables » En outre, les chômeurs eux-mêmes doivent faire des efforts pour se montrer « dignes » de leur allocation et le coût croissant de la santé doit être considérablement réduit.

Attaque sur les pensions publiques

Plus précisément, les pensions des fonctionnaires ne seront plus calculées sur le salaire moyen des cinq dernières années de service, mais sur les 10 dernières (ce qui signifie que la  moyenne, et la pension elle-même, est susceptible de baisser).

Par ailleurs, la liaison automatique des pensions aux salaires des fonctionnaires actifs (la «péréquation») risque d'être drastiquement réduite. En d'autres termes, le «socialiste» Di Rupo propose de construire la solidarité entre les fonctionnaires eux-mêmes.

Casse sociale

Et il ne s'arrête pas là. Di Rupo propose aussi de réduire les allocations de chômage dans le temps. Ceux qui sortent de l’école ne recevraient leurs allocations d’attente que si ils peuvent prouver leur «efforts». La retraite anticipée sera aussi plus difficile, sans aucune obligation pour les employeurs de recruter ou de conserver des plus de 55 ans.

La norme de croissance en matière de soins de santé devrait alors être réduite de 4,5 à 2 pour cent. Les comptes d'épargne et les autres produits d’épargne que beaucoup de gens ordinaires utilisent sont également affectés par l'augmentation du précompte mobilier de 15 à 20 pour cent.

L'impact négatif des propositions communautaires

Ces attaques contre les acquis sociaux sont renforcées par certaines propositions communautaires telles que le transfert de grandes parties des politiques du marché du travail et des soins de santé aux autorités régionales.

La justice fiscale ne va pas vraiment s'améliorer avec la proposition d'autonomie fiscale accrue pour les régions (pour un montant de 10 milliards d'euros), ce qui augmentera la concurrence et le dumping fiscal entre elles. Le fait que non seulement les régions mais aussi les communes doivent contribuer à l'épargne pour 4 milliards d’euro, ne va pas calmer les choses.

Action symbolique contre les détenteurs de capitaux

Pour rendre tout cela acceptable aux travailleurs, le formateur propose également certaines mesures, plutôt symboliques,  dirigées contre certains propriétaires de capital.  Le formateur pense à une taxe sur la plus-value​​ des actions, une taxe plus élevée sur les gros camions qui émettent beaucoup de CO2, une retenue d'impôt sur les certificats d'épargne de 20 au lieu de 15 pour cent, un respect plus strict de l'exonération des comptes d'épargne, un rente nucléaire de 500 millions de et des rentrées de 2 milliards grâce à la lutte contre la fraude fiscale. En outre, il propose une taxe modeste de 0,5% sur les fortunes de plus de 1,25 millions d'euros.

Contexte européen

Par ces propositions le formateur se situe pleinement dans le cadre de l’offensive néolibérale actuellement menée avec le « Pacte de l’Euro », le « Semestre européenne » et la « Nouvelle gouvernance économique » par la Commission européenne et le Conseil de l’Europe, composé des chefs d’Etats et de gouvernements de l’Union européenne.

En écho aux « recommandations » de ces institutions adressées à la Belgique, Di Rupo veut accélérer les réductions budgétaires (surtout au niveau des dépenses publiques) en répondant de façon « créative » à la demande d’augmenter l’âge légal de la pension (1) ; mettre un frein aux fins de carrière anticipées (par la prépension), adapter les mécanismes de l’indexation (par le démontage de la péréquation) et  diminuer graduellement les allocations de chômage.

Aux ordre du capital et aux abonnés absents pour les syndicats

Le formateur démontre surtout qu’il n’est pas à l’écoute des propositions formulées par les trois syndicats dans leur mémorandum conjoint sur cette politique européenne. Les syndicats ont déclaré (2) que « ces recommandations (du Conseil de l’Europe) sont un reflet du modèle néolibéral qui est à la base de la crise économique et financière et des difficultés budgétaires qui ont également touché notre pays. Si ces recommandations étaient appliquées, alors le risque sera grand que les inégalités sociales se creusent encore plus et que la reprise économique hésitante soit étouffée dans l’œuf. »

Les trois syndicats demandaient dès lors de « mener une politique aussi bien au niveau belge qu’européen qui vise la régulation financière, les investissements durables, la justice fiscale et des emplois de qualité ».

Di Rupo torpille donc l’espoir des trois syndicats « qu’on apprenne des conséquences de la crise financière ». Ce grand « ami » des organisations sociales ne veut pas du tout « mettre un terme au "business as usual” par lequel la protection sociale est démantelée sans que les vrais problèmes sont abordés », comme le constatent à juste titre les syndicats.

Grand étonnement et répulsion

Tout n’est pas encore ficelé pour autant avec cette note.  D’abord parce qu’il faut encore voir dans quelle mesure les propositions (et la capitulation en matière sociale) du président du PS mèneront à une sortie de l’impasse politique qui dure depuis des mois.

Ensuite, et plus important encore, parce qu’il semble évident que les organisations syndicales des services publics ne vont tout simplement pas se soumettre passivement à ces propositions. Le front commun syndical du secteur public a d’ailleurs réagi immédiatement (3) en se démarquant avec « un grand étonnement et répulsion » (notre traduction, NdT) des propositions de Di Rupo en matière de pensions du secteur public.

Régression sociale à l’état pur

Les syndicats condamnent clairement ces propositions en tant que « démolition sociale pure et simple ». Ils mettent aussi l’accent sur le fait que « le système des pensions publiques est un bon système.  Ce ne sont pas les pensions du secteur qui sont trop élevées, mais les pensions légales du système général des pensions (du privé) qui sont trop basses. Ce fait est même reconnu au niveau européen et peut être déduit des statistiques. Ce n’est pas pour rien que les pensionnés courent un grand risque de pauvreté. ».

Le front commun syndical indique ainsi que tout ceci mènera « à des conflits sociaux graves.»

Une large campagne de sensibilisation

Pour la première fois depuis longtemps le front syndical n’attend pas passivement les décisions, mais a décidé « de démarrer dès maintenant une campagne de sensibilisation large auprès du personnel du secteur public, pour dénoncer et combattre énergiquement cette approche ».

Il importe de faire maintenant la même chose dans le secteur privé, d’y démarrer également une campagne large de sensibilisation vers la population travailleuse, pour que l’ensemble des mesures de régression sociale puissent être dénoncées et combattues.

En outre, cette résistance contre cette offensive antisociale doit aussi prendre forme sur le terrain politique. Les syndicats ne pourront pas se défaire de la question inéluctable de la création d’un prolongement politique pour leur combat. Le temps du lobbying auprès des « amis » politiques a fait faillite..

Note :

1) Le calcul de la pension des fonctionnaires sur base du salaire moyen des 10 au lieu des 5 dernières années contraindra de nombreux fonctionnaires à prendre leur pension (beaucoup) plus tardivement. L’âge réel de la pension sera augmenté. Le démontage des mécanismes de prépension aura le même effet.

2) Voir la lettre du front commun FGTB-CSC-CGSLB du 30 juin 2011-07-06

3) Voir le communiqué de presse du front commun syndical CGSP-CCSP-SLFP du 4 juillet 2011.


Communiqué FGTB-CSC-CGSLB

Note du formateur : déséquilibrée et ne constitue pas une base acceptable de programme gouvernemental

Un vent d’austérité et de politiques anti-sociales souffle sur l’Europe, et la Belgique n’est pas épargnée.

Résorber le déficit et la dette publique est indispensable et fait partie des préoccupations syndicales; c’est d’autant plus vrai quand l’Etat, c’est-à-dire la collectivité, doit disposer de fonds pour faire face à la crise et protéger les travailleurs (tout en assistant, contraint et forcé, les banquiers, pourtant responsables du chaos). Et c’est une obligation si l’on veut maintenir des services publics accessibles à tous et mettre sur pied un plan de relance digne de ce nom pour créer des emplois durables et de qualité dans des filières d’avenir. A cet égard, maintenir l’indexation automatique et viser l’augmentation du taux d’emploi est à saluer mais à concrétiser, en particulier pour les jeunes. Il en va de même pour les propositions fiscales plus justes, notamment la taxe sur les opérations boursières.

Mais le front commun syndical ne peut accepter la note déposée par le formateur comme base de programme gouvernemental et refuse de soutenir un document aussi déséquilibré où les mesures sont claires pour les travailleurs, pourtant victimes de la crise, mais beaucoup moins pour les responsables de celle-ci, dont certains employeurs, aux abonnés absents….

Ainsi une responsabilisation accrue des banquiers, la prise en compte de l’amortissement des centrales nucléaires, un taux minimum d’impôt des sociétés, la lutte contre la fraude fiscale, mieux cibler et conditionner les subsides salariaux à l’emploi de qualité constituent certainement des pistes intéressantes mais l’absence de montants prévus ou de précisions à cet égard consterne et cache mal le « deux poids deux mesures » dans la contribution à la résorption du déficit public entre les travailleurs et les allocataires sociaux, qui casquent, et, les banquiers, les actionnaires ou encore les grosses entreprises -comme Electrabel- qui ne seraient que peu voire pas sollicités... C’est inacceptable !

Par ailleurs, le front commun syndical ne peut pas être d’accord quand le formateur se fait le relais des individualismes et des replis sur soi qui donnent lieu au délitement des solidarités qui ont fait et continuent de faire la richesse de la Belgique. Sans notre système de sécurité sociale à la belge, le monde du travail aurait moins bien résisté à la crise et les travailleurs sans emploi auraient été davantage précarisés et marginalisés. C’est d’autant plus inacceptable que les salaires et le pouvoir d’achat sont le moteur de notre économie !

Rappelons une nouvelle fois qu’il n’y a pas assez d’emplois à offrir pour rencontrer les 600.000 demandeurs actuels. Limiter l’allocation des travailleurs sans emploi, l’accès aux prépensions et aux crédit-temps, raboter les pensions constitueraient de mauvaises recettes: il est impérieux de trouver des solutions aux causes du problème, c’est-à-dire un sous-investissement chronique des entreprises dans l’innovation, la R&D, ainsi que dans la formation des travailleurs, pourtant indispensables à l’heure où la technologie évolue à une vitesse considérable. Au lieu de préparer la relance sur les nouvelles bases d’une économie saine et offensive, les mesures proposées préparent la récession pour l’ensemble des travailleurs et des allocataires sociaux.

En outre, alors qu’il serait primordial de réinvestir massivement dans des services publics de qualité et accessibles à tous, il semblerait que la Belgique se laisse charmer par les sirènes de l’austérité (attaque de l’emploi et des pensions) au risque de briser le bateau de la solidarité.

Plus concrètement, le front commun syndical considère comme inacceptables:

  • les restrictions budgétaires en matière de soins de santé qui risquent de compromettre la qualité des soins pour les patients ;
  • la réduction des budgets “bien-être" de 40%, d’autant qu’ils n’intègrent pas l’ensemble des allocataires sociaux;
  • la réduction des allocations de chômage de tous les chômeurs de longue durée, y compris les chefs de ménage et les isolés, après une (courte) deuxième période, à un minimum (selon les normes actuelles) largement inférieur au seuil de pauvreté européen, comme si ces travailleurs étaient responsables de la forte hausse du chômage;
  • le renforcement de la politique des sanctions à l’égard des chômeurs (pour les jeunes avec indemnités d’attente et par le biais des conditions d’un emploi valable);
  • la limitation des droits au crédit temps et à l’interruption de carrière ;
  • la limitation de l’assimilation des périodes de chômage, de prépension et de crédit temps dans le calcul des droits de pension ;
  • la limitation de l’accès à la prépension sans même attendre l’évaluation promise du pacte des générations par les partenaires sociaux;
  • l’extension de l’activation aux chômeurs âgés sans qu’ils aient la moindre perspective d’une amélioration de leurs chances de trouver un emploi ;
  • l’importante limitation du droit à la pension anticipée à partir de 60 ans ;
  • l’agression contre les pensions des fonctionnaires ;
  • la limitation des moyens octroyés à la coopération au développement.

En outre, les représentants des travailleurs ne peuvent pas accepter que les responsables du marasme économique dans certains pays européens, et en Belgique, se permettent aujourd’hui de dicter leurs lois, qui plus est en appliquant les mêmes recettes. D’ailleurs, force est de constater que les dégâts occasionnés par les coupes sombres apportent davantage de problèmes que de solutions: consommation en baisse, récession économique, chômage en augmentation.

Sur le plan institutionnel, le front commun syndical réitère son inquiétude sur une réforme qui risque :

  • de ne pas offrir les garanties suffisantes pour permettre au pouvoir fédéral de disposer des moyens suffisants pour accomplir ses missions, notamment en ce qui concerne les défis du vieillissement ;
  • de mettre en cause la solidarité fédérale dans un certain nombre de domaines;
  • de donner lieu dans le domaine social et économique à une complexité supplémentaire pour les employeurs comme pour les travailleurs;
  • de provoquer une concurrence fiscale accrue entre les Régions et, donc, leur appauvrissement.

Le front commun syndical tient à rappeler son indéfectible attachement à un financement conséquent du niveau fédéral en vue d’assurer des services de qualité et de pouvoir faire face au défi du vieillissement. L’impôt du citoyen doit être dédicacé à ses soins de santé, au payement de sa pension, de sa prépension, de ses éventuelles allocations de chômage, pas à la réparation des politiques foireuses du monde de la finance. A cet égard, les trois syndicats refusent l’appauvrissement des entités fédérées au travers de la loi de financement.

Il est important que les différents partis démocratiques de ce pays entendent les syndicats, qui continueront à faire leur travail: veiller sur les intérêts et les droits des travailleurs. Ils ne manqueront pas de se mobiliser et, le cas échéant, de remettre en cause la paix sociale si ceux-ci étaient, une nouvelle fois, bafoués.

Mardi 5 juillet 2011



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