L'AIP ne doit pas passer! Mobilisations et grèves d’avertissement avant les réunions des instances nationales
Par Denis Horman, Egidio Di Panfilo le Samedi, 29 Janvier 2011

Les réactions syndicales face au calamiteux projet d'Accord interprofessionnel 2011-2012 ne cessent de se multiplier. Le SETCa est monté le premier au créneau en le rejetant et en appuyant les actions déjà fixée dans certaines régionales: grève de 24 heures à Charleroi et Namur, le 31 janvier. La FGTB de la région du Centre a quant à elle décrété une grève interprofessionnelle de 24 heures, le 3 février, veille du comité national de la FGTB.  La FGTB Métal Liège-Luxembourg plaide pour une action au niveau national (y compris des actions de grève générale), et donc concertée. Toutes ces réactions vont dans le bon sens et leur convergence dans un mouvement d'ensemble, interprofessionnel, unifiant ouvriers et employés, tant FGTB que CSC, sera la clé du succès. Si, du côté de la FGTB, la balance penche donc très nettement en faveur du rejet, les choses semblent pour l'instant moins claires du côté de la CSC, malgré quelques signaux positifs. Le Bureau national de la CNE a déjà apporté une sévère critique de ce projet d’AIP, en attendant la réunion de son Conseil général, ce 31 janvier. La CNE Bruxelles-Brabant a quant à elle clairement rejeté le préaccord et les fédérations CSC de Liège, du Brabant wallon en ont déjà fait autant, l’instance nationale de la CSC devant se prononcer le 1er février.  La détermination à lutter de la base syndicale de la FGTB et l'interpellation unitaire des militants de la CSC à les rejoindre pèsera de tout son poids.  Nous faisons ici le point sur la situation avec Egidio Di Panfilo, secrétaire général du SETCa de Liège  (LCR-Web)

Propos recueillis par Denis Horman, le 27 janvier 2011

« Comme il ne faut pas de gouvernement à n’importe quel prix, il ne faut pas d’AIP à n’importe quel tarif ».

La Gauche : le comité fédéral qu SETCa, composé de délégué-e-s  de tout le pays et secteurs,  a rejeté le projet d’accord interprofessionnel. Quelles en sont les principales raisons ?

Egidio Di Panfilo : Pour faire court et pointer les raisons essentielles du rejet de ce préaccord: D’abord, il n’y a pas de relèvement du salaire minimum interprofessionnel, alors que c’est un point essentiel d’un accord interprofessionnel de solidarité. 

Ne parlons pas de progrès social en ce qui concerne par exemple la liaison des allocations sociales au bien-être. A ce propos, le gouvernement dégage une enveloppe de quelque 500 millions d’euros, ce qui est bien peu de choses, et seulement 60% de cette enveloppe pourra être utilisée sur les deux années de l’AIP pour relever les petites pensions, les allocations de chômage les plus faibles. Cette soi-disant liaison au bien-être se traduirait par des augmentations des allocations entre 0,7% et  2% ! 

Malgré ce qu’on nous dit, l’indexation automatique des salaires n’est pas sauvée. Le préaccord  stipule qu’une étude sera menée,  en 2011, sur le système d’indexation,  afin d’en réduire la volatilité. En pratique, on veut vider  le mécanisme d’indexation de sa substance, soit en sortant certains produits comme les produits énergétiques, soit en lissant les mouvements de l’index de manière à en retarder l’effet de l’indexation.

La Gauche : la résolution du comité fédéral se termine en soulignant que les articles de l’AIP concernant le statut unique ouvriers-employés « aurait pour résultat un détricotage des droits pour les employés et ne donnerait pas aux ouvriers ce à quoi ils ont droit ». C’est en quelque sorte un appel à l’unité ouvriers-employés pour éviter la division et pour le rejet de ce préaccord ? 

Egidio Di Panfilo : Au SETCA, on a toujours été très clair en disant que statut d’ouvrier est d’un niveau trop bas. Et donc, il faut harmoniser les statuts vers le haut. Le modèle, c’est le statut employé actuel. Et donc, les ouvriers doivent avoir les mêmes avantages qui ont été acquis par les luttes. 

Dans le projet d’AIP, il y a un détricotage du statut employé : ce qu’on nous enlève, on va le donner aux ouvriers  et les ouvriers ne vont pas avoir grand-chose comme avancées.  Ce qui est vraiment scandaleux dans ce projet d’accord, on donnerait les moyens aux employeurs de licencier plus facilement et surtout à un coût moindre et à charge de notre sécurité sociale, de la collectivité. 

La Gauche : le SETCa relève également que, jusqu’ici, la norme salariale n’était qu’indicative et maintenant, dans ce préaccord, elle devient impérative. Cela signifierait donc : interdiction dans les conventions sectorielles de poser des revendications salariales, au-delà des 0,3% prévus en 2012 ?   

Egidio Di Panfilo : Et bien, voilà encore une autre raison de rejeter ce préaccord. Un pouvoir d’achat qui augmenterait de 0,3%, en plus de l’indexation automatique des salaires –qui n’est en fait qu’un simple ajustement des salaires au coût de la vie- et cette aumône accordée seulement en 2012, c’est inacceptable, c’est de la provocation.  

Et, dire en plus qu’il y a une norme décidée au plus haut niveau de la concertation sociale, interdisant la libre négociation,  ni au niveau des secteurs, ni au niveau des entreprises, c’est inacceptable. On sait bien qu’il y a des secteurs, des entreprises multinationales qui font des plantureux bénéfices, avec des actionnaires qui touchent des dividendes exceptionnels et des patrons qui touchent trois cents fois plus que l’employé de l’entreprise. 

La Gauche : Le comité fédéral  du SETCa lance dès à présent une campagne de sensibilisation et de mobilisation. Comment cette campagne va-t-elle se concrétiser, sur quels  objectifs ? Uniquement le rejet de l’AIP ? Sur un programme de revendication ? Quel plan de mobilisation ?  

Egidio Di Panfilo : Nous allons mettre en route notre campagne, d’abord d’information dans les entreprises, sur le texte de ce préaccord, pourquoi nous le rejetons. Il faut en plus un objectif de mobilisation, pas seulement au niveau du SETCa, mais avec les autres centrales de la FGTB, avec les Métallos (francophones et néerlandophones), avec la CGSP, la Centrale Générale… 

En ce qui concerne les revendications, cela doit se préciser au niveau des instances syndicales. Pour ma part, le salaire minimum interprofessionnel est, comme je l’ai déjà signalé, un point fondamental dans un accord de solidarité. Je ne vais pas avancer de revendication chiffrée. En  reprenant les chiffres des AIP précédents,  on devrait, au minimum, avoir le même ordre de grandeur. Sur la revendication salariale, je ne vais pas avancer de chiffre. Ce que nous demandons, c’est la liberté de négociation dans les secteurs et les entreprises.

La Gauche : le SETCa de liège plaide pour un mouvement de grève de 24 heures à condition que toutes les Centrales rejoignent le mouvement. Mais déjà le SETCa de Charleroi et de Namur appelle à la grève de 24 heures, le lundi 31 janvier. A son tour, la FGTB du Centre organise une grève interprofessionnelle de 24 heures le 3 février, veille de la réunion du comité national de la FGTB. Ne serait-ce pas l’occasion, pour le SETCa de Liège, de s’associer à ces grèves d’avertissement ?

Egidio Di Panfilo : Nous aussi, nous avons appelé à une journée de grève. Mais, entretemps, il y a  un élément nouveau qui est intervenu.  A notre comité fédéral qui a rejeté le projet d’AIP, devant les 25O délégué-es présent-e-s, le président de la FGTB, Rudy de Leeuw, a déclaré : « Puisque le SETCA, la Centrale la plus importante de la FGTB, vient de rejeter l’AIP, alors , le 4 février, la FGTB toute entière sera appelée à le rejeter également ». 

Mais cela n’exclut pas d’organiser, à Liège, début de la semaine prochaine, une action sur le plan interprofessionnel, 24 heures de grève. C’est ce que le SETCa Liège a proposé aux autres centrales de la FGTB liégeoise.  

La Gauche : La LCR constate que ce projet d’AIP, c’est la porte ouverte à une grande offensive d’austérité et qu’il en est un premier jalon. C’est aussi un test, à la fois pour le patronat, le gouvernement et pour le mouvement syndical. Un feu vert au gouvernement et au patronat pour lancer une offensive d’austérité sans précédent, si la riposte syndicale n’est pas à la hauteur. Ou alors, de par l’ampleur des mobilisations,  une confiance du mouvement syndical et des travailleurs dans leurs propres forces pour rejeter cet AIP et pour imposer leurs propres solutions...

Egidio Di Panfilo : Je partage ce point de vue et je l’appuie. On sait très bien que des mesures d’austérité seront bientôt prises, soit avec l’élargissement des pouvoirs de ce gouvernement, soit dans un nouveau gouvernement socio-économique.  Nous allons tout faire pour rejeter l’AIP et il va être rejeté par la FGTB.  

La FGTB est une force de contre-pouvoir.  Il faut rejeter l’AIP bien sûr, mais se mettre déjà dans  une perspective où on va essayer de nous faire avaler les 25 milliards d’euros de déficit budgétaire.  En 1961-61, c’étaient 10 milliards de francs belges ! Il faut organiser la contre-offensive pour ne pas permettre au gouvernement, avec qui que ce soit, y compris avec le Parti socialiste, de faire passer ses mesures d’austérité. 

C’est toujours sur les mêmes qu’on tape, les travailleurs, les allocataires sociaux. Qu’on arrête tous ces cadeaux à des entreprises qui n’en ont pas besoin. Qu’on arrête avec les intérêts notionnels permettant à des multinationales en très bonne santé  de ne payer quasiment pas d’impôts et privant le budget fédéral d’une rentrée annuelle de 4 à 5 milliards d’euros.  

La Gauche : Vous avez dit  « Comme il ne faut pas de gouvernement à n’importe quel prix, il ne faut pas  d’AIP à n’importe quel tarif ». Lors du dernier Accord interprofessionnel, la FGTB n’avait pas signé et, finalement la CSC s’était rangée aux côtés de la FGTB.  C’est le gouvernement qui avait pris, comme on dit, ses responsabilités pour appliquer l’accord. Si un tel scénario se représentait, comment verriez-vous  les choses ? 

Egidio Di Panfilo : Je le redis : la FGTB va rejeter ce préaccord. En tout cas, nous allons au SETCa, chez les Métallos FGTB, y compris néerlandophones, et dans d’autres Centrales, tout fait pour qu’il en soit ainsi. A la CSC, actuellement, les choses ne s’annoncent pas bien. A la CNE, le syndicat des employés chrétiens, on peut s’attendre à un rejet et probablement dans certaines fédérations de la CSC.  

Nous venons d’apprendre  que le Président de la CSC, Luc Cortebeek, a écrit aux cadres syndicaux une lettre, leur demandant de bien lire l’accord dans sa totalité, ajoutant que nous sommes dans un pays  avec des grandes difficultés institutionnelles, politiques, économiques et que si la CSC rejetait ce projet d’AIP, ce serait un drame pour le pays. Alors, vous comprenez bien que,  dans le contexte actuel et face aux enjeux qui sont devant nous, il est important de favoriser l’unité syndicale. C’est ce que nous ne manquons pas de faire entre SETCa et CNE. C’est aussi une manière d’épauler la CNE dans la lourde responsabilité qu’elle a  aujourd’hui  de faire pencher la balance dans la CSC pour le rejet de ce préaccord imbuvable.

Et si, malgré l’opposition syndicale, ce gouvernement ou un autre nous refaisait le coup du précédent accord interprofessionnel, alors il nous trouvera sur sa route.

Voir ci-dessus