Répression policière et judiciaire: fer de lance d'une guerre de classe
Par Ataulfo Riera le Mardi, 26 Octobre 2010

(Photo: Indymedia) Parallèlement à l'offensive d'austérité qui déferle sur l'Europe, on assiste à une multiplication inquiétante des atteintes aux libertés syndicales et démocratiques. La répression policière et judiciaire augmente au fur et à mesure que la résistance sociale à cette offensive s'affirme. En France, des piquets de grève devant les raffineries sont brutalement dispersés par la police et des travailleurs sont « réquisitionnés » (sous peine de lourdes peines judiciaires) au nom... de la «Défense nationale »! Un syndicaliste de la CGT s'indigne: « Jusqu'à preuve du contraire, la France n'est pas en guerre! »…

Police partout, justice nulle part!

La mobilisation en défense des retraites à acquis un caractère inédit en s'élargissant et en se radicalisant. Mais, comme le dénonce le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), elle subit une répression féroce: « La clique de Sarkozy a commencé par fustiger "ceux qui bloquent" et "ceux qui cassent" pour tenter de discréditer le mouvement et légitimer une intervention plus musclée des forces de police. Après une phase de préparation, elle est passée à l'acte. Les CRS chargent sans raison des manifestants pacifiques pour disperser des rassemblements comme à Toulouse, à la queue d'une manifestation à Lorient. On dégage avec brutalité la raffinerie de Grandpuits. On arrête à Roanne des militants qui collent des affiches. On tire au flash ball blessant gravement un jeune lycéen à l'œil. Des policiers en civil arborant des badges syndicaux infiltrent les manifestations. Des journalistes sont matraqués, aspergés de gaz lacrymogènes. On leur intime l'ordre de cesser de photographier ou de filmer. On arrête arbitrairement des jeunes, des militants. Et la justice n'est pas en reste en faisant pleuvoir les comparutions immédiates assorties de peine de prison ferme. On ordonne la réquisition de travailleurs au mépris du droit de grève. ». (1)

Le pouvoir sarkozyste n'hésite pas non plus à employer l'armée pour accentuer le climat sécuritaire, des soldats armés de mitrailleuses patrouillent en rue et dans les gares sous prétexte de « menace terroriste ». A Marseille, l'armée à été appelée à la rescousse afin de briser la grève des éboueurs. Tout comme en Grèce, en juillet dernier, lorsque le gouvernement a mobilisé des camions militaires pour approvisionner les stations d'essence en pleine grève des chauffeurs routiers (également menacés de réquisition). Dans l'Etat espagnol, c'est le gouvernement du « socialiste » Zapatero qui a brisé, l'été dernier, la tentative de grève des contrôleurs aérien en menaçant de mobiliser les militaires des forces aériennes.

Dans ce pays, justement, la grève générale du 29 septembre dernier a vu, pour la première depuis la fin de la dictature franquiste, une intervention musclée des « forces de l'ordre » contre les piquets de grève et contre les manifestations des secteurs « radicaux ». Plus d'une centaine de militants syndicaux ont été arrêté ce jour là et la police a y compris fait usage d'armes à feu pour tenter de disperser un piquet!

Deux semaines après la grève, des militants du mouvement étudiant et des syndicalistes sont arrêtés et poursuivis en justice. A Barcelone, Josep Garganté, dirigeant syndical CGT (Confédération générale du travail, d'origine libertaire) des transports publics, a été arrêté le 15 octobre à la sortie de son travail pour les heurts qui se sont déroulé dans cette ville le 29 septembre. Le Syndicat Autonome des Travailleurs d'Andalousie (SAT), un syndicat de classe combatif qui rassemble notamment les ouvriers agricoles des vastes exploitations des plus riches familles du pays, a vu quatre de ses militants et l'un de ses avocats également arrêtés la semaine dernière et poursuivis en justice, accusés « d'agression » contre des policiers pendant la grève générale. Pour ses activités syndicales, le SAT compte par ailleurs pas moins de 350 de ses membres poursuivis par les tribunaux, risquant une peine cumulée de 53 années de prison et 400.000 euros d'amendes! Des médias alternatifs sont également dans le collimateur et menacés par les tribunaux de fermeture, comme le site internet « Kaos en la Red », accusé de faire « l'apologie de la violence » (voir l'appel de soutien, également en francais)

En outre, malgré le cessez-le-feu unilatéral décrété par l'ETA, la répression continue de s'abattre sur la gauche indépendantiste basque, dont des partis politiques et des associations sont toujours interdits. Ce 22 octobre, 14 jeunes activistes ont été arrêtés au Pays-Basque et en Catalogne, accusés d'avoir reconstitué l'association « Segi », une organisation de jeunesse déclarée illégale par les autorités.

En Belgique, l'offensive d'austérité est provisoirement bloquée par la crise politique. Mais nous connaissons depuis plusieurs années, via les tribunaux, des attaques patronales répétées contre le droit de grève à coup d'astreintes et de descentes brutales de policiers et d'huissiers pour casser les piquets, comme cela s'est encore produit le 22 septembre dernier chez Pastiflex à Beringen.

Un petit avant-goût, pour le moins amer, nous a de plus été donné sur ce qui risque de survenir sous peu. La semaine du 29 septembre, dans le cadre de l'euro-manifestation syndicale et des activités du No Border Camp, plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées « préventivement ». En plein cortège syndical, des robocops et des policiers en civils agressifs ont procédé à l'arrestation brutale de plusieurs dizaines de personnes, ont intimidé des journalistes et des syndicalistes, et cela en toute impunité, malgré les réactions indignées d'une partie des manifestants. Pendant leur détention, les personnes arrêtées ont du subir des actes barbares de la part de policiers; insultes, humiliations, menaces de viol...

Ces actes ne sont, heureusement, pas resté sans réponse, malgré le silence (ou le relativisme) honteux des médias. La Ligue des Droits de l'Homme a énergiquement réagi et recueilli une série de témoignages accablants. Un appel signé par plusieurs dizaines d'organisations progressistes a débouché sur une manifestation de protestation qui a rassemblé 500 personnes le 16 octobre dernier à Bruxelles. Malheureusement, si la FGTB – et l'interrégionale wallonne surtout - a dénoncé la répression, aucune organisation syndicale n'a souscri à l'appel, ni mobilisé pour ce rassemblement, tandis que le rôle exact joué par les responsables du service d'ordre de la Confédération européenne des syndicats (CES) le 29 septembre est encore à déterminer, mais semble pour le moins trouble. (2)

Répression et régression sociale: deux faces d'une même médaille

Formellement, la déclaration indignée du syndicaliste CGT selon laquelle son pays n'est pas en guerre est exacte et souligne le côté ridicule du justificatif invoqué par les autorités françaises pour lever les blocages des raffineries. Mais, d'un certain point de vue, elles n'ont pas tort. La France, comme toute l'Europe, connaît bel et bien une forme de guerre, distincte de celle que se livre les Etats. Une guerre permanente et sournoise car non déclarée officiellement, sans ligne de front géographique, sans armées reconnues: la lutte des classes.

Crise capitaliste oblige, la bourgeoisie a pris l'initiative de porter cette lutte à un niveau plus élevé, en déclenchant une puissante offensive d'austérité contre la classe ouvrière dans son ensemble, afin de lui imposer une défaite et un régression sociale sans précédent. Comme à toutes les époques où la lutte des classes et les contradictions s'exacèrbent dans le contexte d'une profonde crise du capitalisme (3), la tendance à l' « Etat fort » s'aiguise automatiquement. Littéralement, on « lâche les chiens  » contre ceux qui refusent de se résigner et de courber l'échine face aux « sacrifices inévitables », la répression policière la plus brutale et les attaques contre les libertés démocratiques et syndicales se multiplient. Le rôle premier des forces répressives, judiciaires et policières, apparaît alors en pleine lumière; défendre coûte que coûte les intérêts du capital, révélant ainsi la nature de classe de l'Etat bourgeois lui-même, soumis aux mêmes intérêts d'une minorité capitaliste.

La répression joue ainsi un rôle clé dans l'offensive actuelle menée par la classe dominante afin d'écraser le mouvement ouvrier et détruire ses conquêtes sociales: il s'agit de briser les résistances, de les criminaliser pour empêcher leur extension, de les diviser pour casser les convergences et de semer la peur afin de faire passer le rouleau compresseur de l'austérité. Face à ce péril, une fois de plus, la seule issue est la solidarité active et unitaire la plus large de tous les secteurs en lutte avec ceux qui subissent la répression. Il s'agit de défendre parallèlement bec et ongles conquêtes sociales, syndicales et démocratiques et de riposter de manière déterminée contre le moindre empiètement à leur égard. La plus petite brèche dans ces droits et libertés, chèrement conquises dans le passé, constitue une menace de premier ordre pour le mouvement ouvrier, les mouvements sociaux et progressistes dans leur ensemble.

Notes:

(1) La répression ne se limite pas aux mobilisations contre la réforme des retraites, comme en témoigne le cas des militants-es de la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanction (BDS) contre Israël, traînés devant les tribunaux pour « incitation à la haine raciale ».

(2) Le journal télévisé de la chaîne publique flamande a diffusé, le soir de la manifestation, des images montrant des responsables du service d'ordre syndical présents au QG de la police, afin de superviser avec cette dernière la « sécurité ». Des consignes auraient été données afin d'empêcher que les manifestants du No Border Camp se joignent au cortège syndical. Selon certaines sources, les responsables du service d'ordre de la CES, composée par des membres des 3 syndicats belges, auraient tout bonnement été « bernés » par la police, qui les a convaincus de la « nécessité » de procéder à l'arrestation des activistes du « bloc anticapitaliste », et notamment de la « brigade de clowns », décrite par les policiers comme particulièrement « dangereuse » (sic).

(3) A ce titre, il n'est pas inutile de se replonger dans les « classiques », tel que l'ouvrage de Victor Serge: « Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression »

Voir ci-dessus