Le débat sur la libération lesbienne/gay
Par P.D. et S.V. le Jeudi, 20 Février 2003 PDF Imprimer Envoyer

L'adoption à l'unanimité de la résolution sur la libération lesbienne/gay a conclu près de cinq ans de travail et de débats et a marqué un grand pas en avant dans le travail lesbienne/gay de l'Internationale.

La croissance des mouvements lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), le succès des marches pour la fierté homosexuelle (Gay Pride) dans de nombreux pays — capables aujourd'hui de rassembler des centaines de milliers de personnes — ont souligné l'importance pour la IVe Internationale de se saisir de cette question et d'élaborer une position programmatique. Trois séminaires de l'Internationale consacrés à la question LGBT — en 1998, 2000 et 2002 — ont permis d'approfondir la compréhension et de renforcer la coordination de ce travail. Le séminaire de 1998 avait lancé un projet de résolution, discuté par la suite dans les instances internationales en lien avec une commission de rédaction, ce qui a permis de le présenter au débat en vue du congrès mondial.

Les orateurs ont souligné les liens entre les mouvements LGBT apparus brusquement sur la scène politique d'un pays après l'autre et les nouveaux mouvements sociaux. Sérgio du Parti socialiste révolutionnaire portugais, co-rapporteur dans ce débat, a insisté sur l'importance de l'intervention des camarades de l'Internationale pour le développement de la dimension LGBT au sein du mouvement altermondialiste, dimension devenue visible lors du dernier Forum social mondial à Porto Alegre, où des milliers de personnes ont passé par l'espace LGBT, comme lors du Forum social européen à Florence en novembre 2002. Des exemples de l'engagement des organisations spécifiques LGBT dans les mobilisations contre la guerre ont été mentionnés par les délégué(e)s des États-Unis, de Grande-Bretagne et de France. Sérgio a souligné que l'ensemble du mouvement LGBT au Portugal s'était engagé contre la guerre.

Il a précisé que dans plusieurs pays les questions sociales commencent à être prises en charge par les mouvements LGBT, après des années où ceux-ci concentraient leur attention sur le lobbying en faveur de réformes législatives. Ce processus — lié à l'implication des mouvements LGBT dans la lutte contre la mondialisation néolibérale capitaliste — constitue un engagement et une identifications avec d'autres mouvements sociaux, à commencer par les syndicats, tout en nécessitant une éducation de ces mouvements pour qu'ils soient capables de prendre en charge les revendications spécifiques des LGBT. Le rapporteur a cité plusieurs exemples du lien entre les revendications des mouvements LGBT et celles des altermondialistes : « la lutte contre le “discours de haine” des fondamentalistes ou des forces de l'extrême-droite qui se servent du “tabou homosexuel” pour intimider leurs adversaires ; le combat contre les licenciements qui affectent d'une manière particulière les LGBT ; le combat contre les lois d'immigration restrictives (les immigrants LGBT subissent fréquemment une double oppression) ; les campagnes contre les superprofits des multinationales pharmaceutiques qui refusent l'accès libre aux médicaments dans les pays dépendants ».

Sérgio a enfin rappelé que le mouvement LGBT était en train de s'approprier son histoire : le destin des gays dans les camps de concentration nazis, l'engagement précoce du mouvement LGBT dans la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud, sa présence au sein du mouvement pour la paix en Israël et sa résistance face aux forces chauvines de droite en Serbie et en Croatie.

Le second co-rapporteur, Peter, du SAP néerlandais, a présenté le développement du mouvement LGBT parmi les immigrés, en particulier ceux originaires des pays islamiques en Europe. Ce phénomène a été confirmé par les interventions dans le débat. « Nous devons résister à la “démonisation” des Musulmans, parfois justifiée par le fait que l'Islam rejette les attitudes occidentales “éclairées” envers les femmes et les gays », a souligné Peter. « En fait le monde islamique a une riche histoire de mise en valeur de l'érotisme homosexuel, alors que l'Occident “éclairé” a toujours eu du mal a accepter le désir. Nous devons l'avoir à l'esprit lorsque nous luttons contre tous les préjugés homophobes qu'ils soient d'origine religieuse ou laïque », a-t-il conclu.

Théorie et tactique

Le rapport introductif présentait également les fondements de l'analyse des racines de l'oppression des homosexuel(le)s, une analyse qui s'appuie sur les acquis de la résolution sur l'oppression et la libération des femmes, adoptée par l'Internationale en 1979. Alors qu'au cours des débats qui précédaient le congrès certains camarades suggéraient que la résolution consacrait trop d'espace à l'analyse du rôle central d'oppression joué par la famille capitaliste, voire que l'analyse proposée ne tenait pas compte des modifications de l'institution familiale au cours des dernières décennies, ce débat n'a pas resurgi au congrès. Au contraire même, un délégué uruguayen devait regretter que l'analyse du système patriarcal n'ait pas été plus approfondie.

Comme l'a dit une déléguée française, cette discussion fait partie d'une réflexion plus large dans l'Internationale en ce qui concerne la transformation sociale. « Nous avions une conception trop étroite de la classe ouvrière en tant que sujet de la révolution socialiste — a-t-elle dit — alors que nous en sommes venus à concevoir le sujet de la transformation sociale comme étant plus divers et pluriel ». Notre engagement dans les mouvements LGBT reflète non seulement notre analyse de la société capitaliste patriarcale, mais également notre approche stratégique et tactique. Si on reconnaît le rôle social et universel de la répression sexuelle comme apprentissage de la soumission et du conformisme, sa traduction matérielle sur la vie des gens, et la vulnérabilité des révolutionnaires même face à ses impositions sur la vie quotidienne, on se rendra compte qu'il n'y aura pas de changement structurel sans toucher aux bases de l'oppression sexuelle. Ceci montre le potentiel subversif de ces luttes et rend logique notre participation à ces mouvements, selon Sérgio. Le travail des révolutionnaires doit être basé sur « le respect de l'autonomie, de l'auto-organisation et des priorités spécifiques du mouvement, mais en intervenant pour sa radicalisation, pour le développement de liens avec les autres mouvements sociaux et l'ouverture à leurs analyses, en appuyant des campagnes pour des réformes mais en résistant aux pressions normalisatrices et aux thèses intégrationistes qui ne visent pas un vrai changement social » et qui n'identifient pas les sources matérielles de l'homophobie.

Au sein des mouvements européens, mais pas uniquement, les revendications de la reconnaissance légale des rapports homosexuels, jusqu'à celle de la légalisation des mariages entre personnes du même sexe, fut centrale dans les mobilisations. La discussion au congrès a mis à jour le caractère complexe de cette revendication pour les socialistes féministes qui considèrent le mariage comme une institution oppressive. Des courants LGBT radicaux en Allemagne et en Autriche, par exemple, avec lesquels nos camarades travaillent, n'acceptent pas cette revendication et ont refusé de rejoindre notre organisation pour cette raison. Peter a défendu l'approche « dialectique et transitoire » de cette question proposée par la résolution. « Nous partons des besoins immédiats et des demandes des homosexuel(le)s, explorons les contradictions que la lutte pour le mariage homosexuel met en lumière et nous indiquons les voies par lesquelles les radicaux peuvent approfondir ces contradictions : par exemple en exigeant l'égalité absolue du traitement de toutes les formes de partenariat homosexuel, en contestant la centralité biologique des lois régulant la parenté et en demandant des droits individuels et sociaux indépendamment de tout statut marital. Voilà les chemins que nous pouvons employer en luttant pour le traitement égal des couples homosexuels tout en minant et défiant l'institution du mariage. »

Le débat au congrès a une fois de plus mis en lumière que la question des enfants est un des points les plus sensibles dans les discussions concernant la sexualité et la famille. Un délégué, lui-même père, a souligné que les médias ciblent particulièrement les homosexuel(le)s en tentant de les présenter comme coupables d'abus sexuels envers les enfants, alors que l'immense majorité de tels abus est le fait d'hétérosexuels et a lieu au sein même des familles. Un délégué catalan a indiqué que l'oppression particulière des jeunes LGBT doit être analysée dans le cadre de l'exploitation croissante de la jeunesse et de la sexualité des jeunes, qui est une caractéristique du capitalisme contemporain.

Sérgio a lui aussi mis l'accent sur l'oppression particulière des jeunes LGBT : « L'imposition des rôles restrictifs des genres et l'apprentissage des préjugés, de la honte et de la crainte de la transgression sont des aspects de la répression dont les jeunes sont la principale cible. De plus, la majorité des jeunes manquent de moyens matériels pour leur émancipation sexuelle et la tendance actuelle de régression des prestations sociales dans nombre de pays renforce leur dépendance familiale et menace d'autant plus les conditions permettant aux jeunes LGBT de vivre leur sexualité en dehors du cadre familial hétérosexuel. »

Changer nos organisations

Bien que dès les origines notre courant international ait pris position contre l'oppression des homosexuel(le)s — l'Opposition de gauche s'était élevée en 1934 contre la re-criminalisation de l'homosexualité par Staline — bien que, comme l'a rappelé la camarade Pénélope, la résolution de 1979 sur la lutte pour libération des femmes défendait les droits des homosexuel(le)s et mentionnait la spécificité des luttes des lesbiennes, et que le congrès mondial de 1995 ait inscrit la lutte pour la libération des gays et lesbiennes comme un des 16 points essentiels de notre identité, nombre de délégué(e)s ont souligné (et personne ne l'a contesté) le retard pris par l'Internationale en ce qui concerne cette question. La lutte contre le SIDA, question d'importance vitale au début des années 1980, n'est devenue essentielle pour l'Internationale que plusieurs années plus tard, comme l'a remarqué une déléguée française, militante au sein d'ACT UP. D'autres intervenant(e)s ont souligné que les normes hétérosexuelles constituent toujours un fait au sein des sections de l'Internationale. « Nous aspirons à une transformation profonde des rapports de genre et à une société où, du fait de l'élimination progressive des privilèges hétérosexuels, le changement d'identité sexuelle et les catégories sexuelles cesseront d'être centrales pour l'organisation sociale. Et nous voulons que ce changement commence dès maintenant dans la vie quotidienne de nos organisations » disait Sérgio. « Cela signifie mettre en question la prétendue sphère privée des relations personnelles entre militants, où précisément l'homophobie et le sexisme sont plus complexes. Il ne suffit pas de lutter contre les préjugés au sein de nos organisations, mais il faut comprendre la spécificité et l'importance de ces questions et agir en conséquence. Comme en ce qui concerne les camarades femmes, le respect et la confiance en soi — qu'exige le militantisme politique — sont en jeu. » La reconnaissance du droit à l'auto-organisation des homosexuel(le)s ne doit pas pour autant laisser cette question aux seul(e)s camarades LGBT, ont souligné les intervenants. Au contraire, « nous devons faire en sorte que tous et toutes les militant(e)s de la IVe Internationale prennent en charge les campagnes pour les droits des LGBT et intègrent ces questions dans leurs préoccupations quotidiennes. »

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