1975-2005 : Gilly-Fleurus, combats croisés
Par André Henry le Dimanche, 17 Juillet 2005 PDF Imprimer Envoyer

Depuis le 1er décembre, les travailleurs de Splintex AGC Automotive à Fleurus sont en grève. Ils défendent l’emploi dans une usine créée à l’issue d’un combat remarquable: celui mené il y a juste 30 ans par les travailleurs de Glaverbel Gilly. La mémoire du mouvement ouvrier ne peut trouver meilleure occasion pour se raviver…

Le 10 Janvier 1975, la direction du holding Glaverbel-Mécaniver, qui contrôlait la branche du verre plat de la multinationnale BSN Gervais Danone, annonçait sa décision de fermer les fours de l'entreprise de Gilly pour le 1er février. Les travailleurs étaient purement et simplement licenciés. Ceux-ci ont déclenché une grève exemplaire qui allait durer sept semaines, donner lieu à des occupations de locaux et à l'élection d'un comité de grève et aboutir à des acquis sociaux importants. Une lutte des classes sans merci allait s'engager face à cette puissante multinationale. Les travailleurs de Gilly disposaient d'un atout qui ferait reculer BSN : leur tradition de syndicalisme de combat anti-capitaliste liée à une réelle pratique de la démocratie syndicale. Cette tradition était le résultat du travail conscient et organisé, mené depuis 10 ans par un groupe de militants syndicaux de combat regroupés autour du bulletin mensuel "La nouvelle défense". Ces militants et ces travailleurs avaient acquis une grande expérience des grèves menées victorieusement en 1972 et 1974 (voir La Gauche n°4).

Pour les travailleurs de Gilly, l'enjeu du conflit était triple. Ils devaient à la fois défendre leur emploi et empêcher le démantèlement de l'entreprise, défendre les acquis de la lutte de classe en verrerie et mener le combat contre la société multinationale. BSN avait prétexté la récession pour faire d'une pierre deux coups; en fermant Gilly, elle accélérait la rationalisation et démantelait le fer de lance de l'opposition ouvrière à Charleroi. Une fois la combativité ouvrière décapitée, BSN pouvait rationaliser l'industrie à l'aise si pas la supprimer totalement, ce qui s'est avéré être son plan par la suite. La multinationale n'a pas pu le faire grâce au combat victorieux des travailleurs de Gilly.

L'organisation de la grève

La tâche du comité de grève qui avait été élu par l'assemblée générale des travailleurs était d'organiser l'occupation et l'entretien du four. Le comité devait faire un rapport de la situation à l'assemblée journalière des travailleurs qui, seule, avait le pouvoir de décision et pouvait révoquer à tout moment tout membre du comité de grève. C'est sous l'impulsion de ce comité que la lutte allait se structurer et s'organiser. Sur demande du comité de grève, plusieurs commissions, élues par l'assemblée en lui étant redevables, ont été créées. Il s'agissait des commissions finance, entretien et gestion des fours, sécurité, popularisation de la grève, culture et animation, vente, etc...

C'est ainsi que la lutte s'est organisée et qu'une première action a eu lieu le 16 janvier, quand les travailleurs de Gilly ont occupé en masse le siège social de Glaverbel à Boistfort. Une action semblable a eu lieu à l'usine Gervais Danone de Sauche. A travers ces deux actions, qui démontraient la détermination et la combativité des travailleurs de Gilly, ceux-ci ont pu expliquer le sens de leur combat, tout en appelant les travailleurs de la même multinationale à la solidarité. Aux yeux des travailleurs de Gilly, la solidarité dans l'action au niveau interprofessionnel était capitale pour modifier le rapport de force face à BSN.

Impact de la grève

Toute la région de Charleroi était sensible à cette grève hors du commun. Les travailleurs et le comité de grève ont vite compris que la fermeture de leur usine pouvait être un détonateur et ranimer le combat pour la défense de l'emploi dans la région.

Les travailleurs et leur comité de grève ont manifesté des prises de positions politiques importantes. Ils ont rendu public leur manifeste qui contenait l'essentiel de leurs revendications articulées autour de quatre axes:

1. Pas de licenciements, pas de démantèlement. Garder une seule unité de production était le seul moyen de maintenir l'union des travailleurs et de préserver les acquis des luttes antérieures contre le patronat.

2. Création d'un float dans la région avec, en annexe, des entreprises de transformation du verre.

3. Nationalisation sans conditions de tout le trust Glaverbel sous contrôle des travailleurs.

4. Réduction radicale du temps de travail vers les 36 heures sans perte de salaire et diminution radicale des cadences sous contrôle ouvrier.

Par ce manifeste, qui est devenu le texte de base des comités de solidarité qui se sont créés un peu partout dans le pays et dans lesquels le POS a joué un rôle déterminant, la grève des travailleurs de Gilly s'est inscrite sans ambiguïtés dans la lutte des classes. Avec le retentissement considérable que ce manifeste a eu dans la région, le comité FGTB de coordination (qui rassemblait toutes les entreprises verrières de la région de Charleroi) a été amené à voter à la majorité la nationalisation de Glaverbel. Lors du congrès extraordinaire de la FGTB du 21 janvier, il a été décidé de tenir des assemblées dans toutes les usines sur la situation de Gilly. C'est aussi à ce congrès que fut décidée une manifestation pour le 24 janvier. A l'appel du front commun syndical, près de 10 000 travailleurs y ont manifesté leur soutien aux grévistes de Glaverbel Gilly.

Le 10 février, une nouvelle étape allait être franchie. Le comité de grève cherchant toujours à augmenter le rapport de force en sa faveur, les stocks de verre de l'entreprise ont été mis en vente. Les travailleurs démontraient ainsi leur volonté de ne pas capituler en s'octroyant eux-même le fruit de leur travail. Bien que la direction de Glaverbel BSN avait annoncé qu'elle porterait plainte contre toute personne ou firme procédant à des enlèvements irréguliers de verre, la mise en vente a dépassé toutes les espérances.

Les travailleurs allaient encore franchir une étape en organisant, le 17 février, une manifestation à Paris, au siège de BSN. Près d'un millier de verriers ont répondu à l'appel, dont des délégations françaises et une large délégation allemande. Les travailleurs ont envahi le siège de BSN et ont obligé le pdg Antoine Riboud à venir s'expliquer devant eux, démontrant ainsi leur détermination à continuer la lutte jusqu'à la satisfaction de leurs revendications. C'est en chantant l'Internationale qu'ils ont quitté les lieux.

Les accords dits historiques

Le protocole d'accord a été signé le 24 février 1975 entre glaverbel-BSN, les ministres des affaires économiques, de l'emploi et du travail et les organisations syndicales. Ce protocole prévoyait qu'il n'y aurait aucun licenciement, mais bien une création d'emplois de compensation; que les 2/3 des travailleurs retrouveraient un emploi sur le site de Gilly dans l'attente de la création des emplois; que le revenu intégral serait garanti par un fonds social; et que les travailleurs âgés de 58 ans pourraient, s'ils le désiraient, obtenir la pré-pension à 95 % de leur salaire avec embauche compensatoire dans les différents sièges de la région.

Cet accord fait date dans l'histoire du mouvement ouvrier. C'est la première fois qu'une multinationale a dû céder et a accepté de faire de telles concessions. On peut toujours se demander pourquoi un tel programme, garantissant l'emploi et le maintien du revenu intégral, n'a jamais été repris par les organisations syndicales pour les multiples fermetures et licenciements qui ont suivi le conflit de Gilly comme, par exemple, en sidérurgie. Seule la pré-pension a été retenue, mais sans le plan de reconversion et le maintien des salaires. C'est ce qui a permis au patronat de contourner les combats contre les licenciements en n'accordant aux travailleurs que des pré-pensions...

Et maintenant AGC Splintex Fleurus

C'est avec les accords de 1975 que toute l'industrie verrière de Charleroi a été réorganisée. C'est ainsi que trois nouveaux sites ont vu le jour en 1978 à Seneffe, Lodelinsart et à Fleurus, où se trouve AGC Automotive (Splintex). Trente ans après la grève de Glaverbel Gilly qui donna naissance à AGC Splintex, les travailleurs de cette entreprise sont de nouveau en grève pour leur emploi depuis le 1er décembre.

Ainsi, une fois de plus, les travailleurs sont confrontés à la même logique capitaliste, celle de la recherche du profit immédiat. En 2000, la direction avait déjà supprimé 300 emplois au nom de la rentabilité afin, disait-elle, de sauvegarder la pérennité de l'entreprise à plus long terme. Aujourd'hui, les mêmes arguments patronaux viennent justifier ce plan de 284 licenciements, toujours au nom de la rentabilité au détriment des intérêts des travailleurs.

Les travailleurs, à juste titre, refusent les licenciements. Aucune proposition n'a été faite à l'heure où ces lignes sont écrites, à part les 5 000 euros d'astreinte par homme et par jour de grève. Depuis l'annonce de cette sanction, des centaines de travailleurs affluent chaque matin devant les grilles de l'usine en signe de solidarité.

Voir ci-dessus