Sur l’histoire du PCB
Par François Vercammen le Samedi, 15 Juillet 2000 PDF Imprimer Envoyer

Se dire communiste aujourd'hui et fêter le 75ème anniversaire de son Parti apparaît certainement comme une idée saugrenue dans le chef des bourgeois, des sociaux-démocrates libéraux et d'une large frange d'ex- et post-soixante-huitards. En tant que trotskistes, c'est-à-dire marxistes-révolutionnaires, nous accueillons en revanche cette commémoration comme un acte d'insolence salutaire dans le climat idéologique actuel. Mais cette insolence implique de ne pas escamoter le bilan de l'Histoire...

Dire que le communisme n'est pas mort est une manière de défier un capitalisme de plus en plus barbare. C'est aussi refuser que passent à la trappe les combats de notre classe ouvrière et le remarquable engagement de ses militants les plus hardis et les plus avancés.

Mais si le communisme comme idée, comme utopie, ne peut que regagner en superbe, qu'en est-il du Parti communiste? Entre le communisme "mouvement réel de l'Histoire" (K.Marx) et le Parti communiste lui-même, il y a une distance considérable! Une telle commémoration ne peut dès lors se faire sans bilan.

Nous nous ne nous excluons pas de la commémoration car, en tant que communistes révolutionnaires et démocratiques, nous avons en partie une histoire commune. Nous ne nous excluons pas non plus du débat sur le bilan du PCB. Car si nos responsabilités politiques devant l'Histoire sont nettement différentes, nous étions et sommes confrontés au même défi: comment combler l'écart entre la force militante sur le terrain et l'insignifiance sur le terrain politique et électoral? Autrement dit: comment bâtir un instrument organisationnel pour l'émancipation du monde du travail et de tou(te)s les opprimé(e)s?

Une naissance laborieuse

Le congrès de fondation du PCB se tint les 3 et 4 septembre 1921. Cette fondation fut laborieuse. Le Parti communiste unifié est le résultat d'une fusion entre le Parti communiste belge et "les Amis de l'Exploité" (aussi appelé "l'aile gauche du POB"). Le premier, constitué en novembre 1920, comptait au moment de la fusion environ 200 membres et publiait un hebdomadaire, "L'Ouvrier Communiste". Dirigé par War Van Overstraeten, il provenait de différents noyaux de la Jeune garde socialiste (l'organisation de jeunesse du POB).

Violemment anti-réformiste, celle-ci s'était fortement radicalisée sous l'impact de la guerre et de la révolution russe. Elle s'en prenait aussi aux ambiguïtés semi-réformistes du groupe de Jacqmotte. Ce dernier, secrétaire bruxellois du syndicat des employés socialistes, avait contribué à fonder, en 1911, le journal "L'exploité " et menait bataille, au sein du POB, avec ses amis "syndicalistes révolutionnaires", pour compléter le parlementarisme par l'action directe.

Constitués en tendance politique au sein du Parti, ils obtinrent des scores non négligeables lors de deux congrès décisifs du POB: en octobre 1920, 75.000 contre et 493.000 pour la motion qui proposait l'adhésion du POB à la 2e Internationale reconstituée; en décembre 1920,100.000 voix contre leur exclusion du Parti (447.000 pour). Mais "L'Exploité" n'entraîna avec lui que 700 militants. Il était sur le flanc droit du camp révolutionnaire international. Il fut absent des conférences anti-guerre et anti-impérialiste (Zimmenvald et Kienthal) et très méfiant vis-à-vis de la révolution russe et du bolchévisme.

Ainsi, le nouveau Parti Communiste Unifié démarra avec un bon millier de militants et de graves faiblesses quasi-congénitales. Les deux courants étaient aux antipodes au sein du nouveau courant communiste international: Van Overstraeten appartenait à l'ultra-gauche; Jacqmotte à la "droite" centriste. Gauchisme et opportunisme se tenaient en équilibre. Ni l'un ni l'autre n'étaient le produit d'une maturation politique trempée dans une expérience collective. La préparation programmatique fut des plus pauvres.

 

Un problème « familier »

La difficulté de construire un Parti communiste révolutionnaire était considérable. Car cette classe ouvrière qui explosait périodiquement de combativité (grèves générales en 1886, 1893, 1902, 1913) continuait à suivre une social-démocratie ultra-droitière.

A coté de facteurs liés à la conjoncture immédiate (l'extrême misère de la guerre, le chauvinisme belgiciste,...), il se heurta à un problème fondamental (dont nous vivons probablement le début de la fin): le monopole quasi absolu de la social-démocratie au sein du mouvement ouvrier dans son ensemble.

D'abord, cette radicalité de l'action et du comportement, cette spontanéité anti-patronale et anti-Etat de la masse des travailleurs ne se prolonge pas sur le plan de la conscience politique-révolutionnaire. Les causes résident dans l'histoire du pays, de la classe ouvrière, de la vie culturelle. La nôtre est différente de celle de la France et de l'Italie, par exemple.

Ensuite, le mouvement ouvrier en Belgique a une structure très spéciale: la prépondérance d'un syndicalisme massif et très enraciné (épaulé à l'époque par les coopératives) qui est accaparé par une social-démocratie dont le niveau politique est extrêmement bas.

Le POB de l'époque (jusqu'en 1940) ne fut pas à proprement parler un parti politique, mais un mouvement social englobant syndicats, coopératives, mutuelles, organisations de femmes, groupes de jeunes, sociétés de gymnastique et... une Ligue politique qui comprenait 12.000 membres sur un total de 600.000 cotisants au POB! Le POB ressemblait au Labour Party actuel.

Quitter ce POB entraînait d'emblée un affrontement avec une direction social-démocrate omnipotente (surtout en Wallonie). Ainsi, la direction POB (par le biais de la Commission syndicale du Parti) fit adopter, en octobre 1923, la "motion-Mertens" qui interdisait aux militants du PC d'occuper des postes de responsabilité dans le syndicat. Elle relayait ainsi la répression de l'Etat bourgeois qui frappa le PC à la tête lors du "grand complot": futurs staliniens et trotskistes se trouvèrent dans le box des accusés.

Le PC: une création artificielle?

La création du PC fut certainement plus difficile en Belgique que dans d'autres pays d'Europe.

N'empêche qu'elle ne fut pas artificielle. La social-démocratie était déjà ouvertement réformiste avant 1914. La rupture avec elle devenait inéluctable dès lors qu'elle était passée avec armes et bagages du côté de la guerre, du chauvinisme nationaliste, du militarisme et de la contre-révolution (en Russie et en Allemagne). Ce fut un phénomène européen, avec de puissantes raisons objectives.

Contrairement à une idée reçue, ce n'est pas le Parti qui crée le programme, mais le programme qui crée le Parti. Dès le début du XXe siècle, un nouveau programme marxiste-révolutionnaire était en gestation. Il est lié au passage d'un capitalisme concurrentiel à un capitalisme financier, à l'émergence de l'impérialisme (lutte pour les colonies), à la multiplication des conflits armés dans le monde, à la militarisation de la société et à la préparation de la guerre en Europe, aux changements dans la structure de l'Etat et dans ses interventions, aux mutations sociologiques dans la classe ouvrière et son activité (la grève générale comme forme d'action; de nouveaux éléments d'auto-organisation, l'autodéfense année), aux premières luttes de libération nationale, au premier mouvement féministe, etc. La 2ème Internationale fut directement affectée par ces évolutions. Elle était grosse d'un nouveau programme politique, d'un nouveau projet de Parti. La guerre de 1914-18 et la révolution d'Octobre jouèrent le rôle de sage-femme.

La rupture avec la social-démocratie (réformiste-parlementariste et classe-collaborationniste) et la formation d'un Parti communiste (révolutionnaire et démocratique) gardent toute leur actualité aujourd'hui (malgré le climat idéologique) pour ces raisons-là.

Le PC, "une affaire de Russes"?

La création du PC en Belgique fut certainement difficile. Mais contrairement à une légende, elle ne fut pas "l'oeuvre des Russes". Et Lénine plus que quiconque mit en garde contre tout suivisme. Dans la courte période qu'il avait encore à vivre (il mourrait en janvier 1924, mais fut paralysé par la maladie dès 1922), il dénonçait ceux qui, à la direction quotidienne de la Troisième Internationale, abusaient de l'autorité de la révolution d'Octobre pour imposer un modèle. Pour cette raison, en 1920, Lénine s'opposait à la réédition de "Que faire?", considéré comme "trop daté" pour servir à l'éducation politique des jeunes PC.

En 1922, au quatrième congrès de l'Internationale communiste, il critiquait sans complaisance une des principales résolutions du congrès précédent (1921) sur le rôle et la structure du Parti: "un texte excellent, mais trop russe et donc tout à fait incompréhensible pour les étrangers", "une faute grave, nous coupant nous-mêmes de nouveaux progrès" dans la construction des PC dans le monde (Oeuvres, t.33, pp.442-443).

Malheureusement, la venue au pouvoir de Zinoviev (et, dans son sillage, de Staline) allait renverser ces conseils tout imprégnés de prudence et d'attention pour les conditions concrètes pays par pays.

En Belgique, le "zinovievisme" fit, entre 1923 et 1926, de véritable ravages au sein d'un PC groupusculaire. Sectarisme et gauchisme dans le traitement de la gauche syndicale, brutalité administrative dans la réorganisation interne, et finalement le "débat russe" avec, en 1928, l'expulsion des "trotskistes" (soit la majorité du CC et une partie importante des forces vives du petit Parti). Le PCB faillit en mourir. Mais la voie était dégagée pour imposer le groupe de Jacqmotte à la tête du PCB. Il allait désormais suivre au poil près, comme toutes les autres sections nationales, les directives du PC de l'URSS. Le rôle des Russes commençait.

Ce point d'histoire est très important pour une raison précise. Réfléchir librement à ce que pourrait être à l'avenir un véritable Parti socialiste et révolutionnaire implique entre autre un retour critique sur l'expérience du PCB dans cette période initiale de 1919-1925. En particulier: quel fut le lien politique précis entre le PCB et l'Internationale Communiste. Cela éclaire ce qu'était vraiment la pensée de Lénine à propos du Parti- en Russie et dans l'Internationale Communiste.

La question du Stalinisme

Nous ne voulons pas revenir ici sur les crimes de Staline. Ni sur le poison anti-trotskyste que le PCB contribua à diffuser dans le mouvement ouvrier. La question du stalinisme n'est ni une priorité dans les débats politiques d'aujourd'hui, ni un préalable aux rapports de collaboration entre PC et POS. Mais tout de même: on ne peut que s'étonner du silence du PCB sur son propre passé récent ainsi que du black out quant à l'existence d'un courant trotskyste en Belgique. Le contraste est frappant avec la situation en France, où le dégel sur ces questions a ouvert de nouvelles perspectives pour la gauche anticapitaliste.

Le PCB est lui-même confronté à un point d'analyse: pourquoi l'apogée du Stalinisme en URSS, dans la période 1928-48 (qui a conduit à la stalinisation intégrale du PCB), coïncide-t-elle avec l'essor maximal du PCB en nombre de membres, de votes, et d'influence? Grâce à la force et à l'exemple de l'URSS? Grâce à la politique stalinienne de l'URSS? Ou grâce à un dépassement du sectarisme initial du PCB et, donc, en dépit des deux facteurs sus-mentionnés? Quel fut le contenu politique de cette désectarisation du PCB? Ces questions ne concernent pas que le PCB.

Une autre question émerge: pourquoi les PC ont-ils tous, massivement, évolué vers la social-démocratie, dès lors que le stalinisme en URSS entra à partir de 1956 dans sa lente agonie? Pourquoi cette évolution tragique du PCI vers le PDS libéral-social-démocrate? Quel lien entre la politique du PCF au sein de l'Union de la Gauche, en France, et l'histoire antérieure du PCF?

La question de la stratégie socialiste en Europe capitaliste reviendra à l'ordre du jour. Ces questions resurgiront. Toute classe sociale a besoin de ce laboratoire politique que constitue sa propre histoire.

Nous avons, de notre côté, considéré le stalinisme non pas comme un phénomène psychologique ou criminel, mais comme un phénomène social: la cristallisation d'une caste bureaucratique défendant ses intérêts matériels contre la population laborieuse en URSS... et contre la restauration du capitalisme. Cela nécessitait le statu-quo en URSS et dans le monde. Pour y arriver, la politique de Staline devait créer un rapport de force vis-à-vis du capitalisme mondial, y compris par la lutte de classe et les mobilisations. Mais le but était en définitive de déboucher sur un compromis avec les principales bourgeoisies, garant de la stabilité. Et tant pis pour la lutte de classes, les intérêts des travailleurs concernés et le socialisme!

C'est dans ce cadre qu'on comprend la cohérence des faits qui émaillent l'histoire du PC: le rapprochement avec Hitler dès 1933, la parenthèse du Front populaire avec la bourgeoisie contre le fascisme (et contre la révolution en Espagne par exemple), puis le pacte de Staline avec Hitler, puis - rebelotte -l'unité antifaciste et la résistance tricolore, l'entrée dans le gouvernement Van Acker avec le désarmement de la résistance et l'interdiction des grèves ("Produire d'abord"), la mollesse du PCB pendant la grève de 60-61 et l'affaire du Congo (débouchant sur la scission "prochinoise "de Grippa), et, finalement l'eurocommunisme.

Pour nous, le stalinisme a présenté sur le terrain une double face: en continuité avec le véritable communisme, il conserva, parmi les militants et les cadres, un esprit, un engagement et des attentes anticapitalistes. Mais il changea aussi radicalement le programme marxiste originel dans un sens réformiste.

L'histoire récente en Europe montre bien que la relance de la gauche anticapitaliste nécessitera de nouvelles forces émanant des luttes, d'une nouvelle génération militante. Mais ce n'est pas du luxe d'espérer qu'une partie du "vieux" mouvement de gauche fera à temps sa propre mutation politique. C'est dans cet esprit que les questions d'histoire ont leur importance.

La Gauche n°20, 8 novembre 1996

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