REACH détricoté jusqu'au bout !
Par Daniel Tanuro le Samedi, 14 Janvier 2006 PDF Imprimer Envoyer

Le Parlement européen a examiné le projet de règlement sur l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des produits chimiques. Connu sous son acronyme anglais, REACH (Registration, Evaluation, Authorisation of Chemicals) a été amendé et adopté le 17 novembre (407 pour, 105 contre, 41 abstentions). REACH relevant de la codécision entre le Parlement et le Conseil, les 25 ministres de l'environnement se sont prononcés à leur tour, début décembre. Ils ont introduit un nouvel amendement, sur lequel le Parlement doit encore se prononcer. A moins d'une très grosse et très improbable surprise, REACH sera détricoté jusqu'au bout.

Rappelons brièvement les enjeux. Cent mille produits chimiques sont présents sur le marché européen. La plupart d'entre eux (99% en volume) n'ont jamais été testés pour leur toxicité et leur écotoxicité. Médecins et biologistes sont de plus en plus inquiets des impacts de nombreuses molécules sur la santé et les écosystèmes. Or, comme les législations en vigueur en Europe (plus de 40 !) devaient être harmonisées afin d'améliorer le fonctionnement du grand marché, les deux dossiers -santé et législation- ont été liés. En 2001, la Commission a sorti un Livre Blanc dans lequel elle proposait l'enregistrement des substances produites ou importées en plus d'une tonne par an et l'obligation pour l'industrie de fournir à ses frais la preuve de l'innocuité des substances qu'elle fabrique. Le projet de règlement REACH était né (1). 

Depuis quatre ans, ce projet est la cible d'une violente campagne de l'industrie chimique européenne. Etudes "scientifiques" à l'appui, les Bayer et autres Rhône Poulenc ont menacé de délocaliser la production, prédit une chute du PNB et pronostiqué la perte massive d'emplois. Les patrons européens ont été jusqu'à mobiliser contre REACH leurs concurrents américains, l'administration US, les principaux gouvernements de l'UE et même la Fédération Européenne des Travailleurs des Mines de la Chimie et de l'Energie (EMCEF) (2). En septembre 2003, Blair, Chirac et Schröder ont carrément rappelé publiquement Romano Prodi à l'ordre, par le biais d'une lettre ouverte où on lisait ceci: "Il est essentiel d'évaluer complètement tous les projets importants de la Communauté au regard de leurs effets potentiels sur la compétitivité de l'industrie". Plus clair que ça, tu meurs. 

Attaqué de toutes parts, REACH n'a cessé de se réduire comme peau de chagrin. Les patrons ont obtenu successivement: pas de tests au-dessous d'1 t/an, exemption pour les polymères et les produits intermédiaires, co-pilotage de REACH par la DG Industrie au lieu de la DG Environnement seule (3)… De fil en aiguille, le coût pour l'industrie a été ramené de 0,4% à 0,01% du chiffre d'affaire. Mais ce coût (dérisoire au regard des profits) et le chantage à l'emploi ne sont que des écrans de fumée: le véritable enjeu est de dissimuler au maximum la responsabilité des produits de synthèse dans la hausse du nombre de cancers, de malformations du fœtus, de perturbations hormonales, de troubles neurologiques, etc, ainsi que dans le déclin accéléré de la biodiversité. 

C'est peu dire que le vote du Parlement européen a satisfait les patrons: les tests sont réduits à leur plus simple expression pour les 20.000 substances entre une et dix tonnes par an, un rapport complet ne devra être fourni que pour les substances à risque et la procédure est assouplie pour les substances entre 100 et 1.000 tonnes. Concrètement, des informations complètes ne seront disponibles que pour 15% des substances. Le texte "va dans la bonne direction", a déclaré la porte-parole de l'UNICE, l'organisation patronale européenne… 

Pourquoi seulement "dans la bonne direction". Parce qu'un seul point positif avait été acquis à Strasbourg: l'obligation, ajoutée au projet, de remplacer les substances chimiques dangereuses par des alternatives plus sûres lorsque celles-ci sont disponibles (principe de substitution). Le lobby patronal a redoublé d'efforts pour que le Conseil des ministres annule cette disposition. Ainsi fut fait: le Conseil a remplacé l'obligation de substitution par une simple "recommandation". En clair: les patrons décideront seuls, sans contrainte. Soutenu par la Belgique (merci, gouvernement socialo-libéral !), cet amendement fera maintenant l'objet de tractations avec le Parlement Européen, en vue d'un compromis. Si la lettre de celui-ci n'est pas encore écrite, l'esprit est clair: le profit des entreprises passe avant la santé et l'environnement. Avant la vie. Le reste n'est que littérature. 

(1) Pour plus de détails, voir notre article dans La Gauche N°13, mai 2005. (2) A noter que la Centrale Générale FGTB s'est distanciée en pratique de la position de l'EMCEF dont elle fait partie. (3) L'ex-commissaire à l'environnement, Margot Wallström, a mis le sérail en fureur notamment en acceptant que son propre sang soit analysé dans le cadre d'une campagne du WWF en appui à REACH. L'analyse révéla la présence de plusieurs poisons, notamment des PCB.

Voir ci-dessus