Les mirages de l’hydrogène
Par Daniel Tanuro le Jeudi, 14 Avril 2005 PDF Imprimer Envoyer

L'hydrogène est en passe de devenir le nouveau mirage énergétique d'un système capitaliste incapable de voir que sa tendance frénétique à l'accumulation entraîne l'humanité droit dans le mur. 

De part et d'autre de l'Atlantique, les publications officielles sont de plus en plus envahies de propos optimistes sur les possibilités de sauver à la fois la croissance et le climat en passant à une économie basée sur l'hydrogène et les piles à combustibles pour produire de l'électricté(1). Ces technologies sont effectivement prometteuses: d'une part, le rendement des piles atteint facilement 60% et la barre des 80% pourra être franchie dans les prochaines années; d'autre part, les piles ne dégagent que de la chaleur (récupérable) et de l'eau. Pas d'émissions de CO2, pas ou très peu de polluants, pas de bruit. N'est-ce pas merveilleux? 

Le problème est que l'hydrogène n'existe pas tel quel dans la nature. Il faut l'extraire à partir de l'eau, des combustibles fossiles ou de la biomasse(2). L'hydrogène n'est pas une source d'énergie mais un vecteur, comme l'électricité. Comme il peut être stocké, transporté et qu'il est convertible en courant (et vice-versa), il offre des possibilités d'augmenter l'efficacité des systèmes énergétiques. Il pourrait contribuer notamment à la stabilité des réseaux alimentés par des sources intermittentes (éolienne, solaire photovoltaïque…). De plus, la combinaison piles à combustibles/hydrogène ouvre la perspective d'une production d'énergie décentralisée et modulable, donc d'une réduction des pertes dans la distribution du courant. Il reste qu'électricité et hydrogène nécessitent l'exploitation de sources d'énergie. Quelles sources, pour répondre à quels besoins? Telles sont les questions fondamentales. On ne peut pas les écarter en présentant l'hydrogène comme une solution miracle. 

Toute autres choses restant égales, la demande énergétique augmentera probablement de 40% à l'échelle mondiale d'ici 2020. Par ailleurs, les émissions de gaz à effet de serre doivent diminuer de 60% d'ici 2050 pour éviter une catastrophe climatique. Un défi d'une telle ampleur et à aussi court terme ne peut être relevé uniquement en améliorant l'efficience énergétique et en recourant aux énergies renouvelables, surtout si l'une et l'autre de ces stratégies sont soumises à la logique du marché. Nous avons déjà montré, à travers le cas du bâtiment, que le développement du photovoltaïque et les progrès de l'isolation thermique sont obérés par l'absence de demande solvable, donc par la politique néolibérale(3). Mais, en supposant que des programmes publics soient lancés, ceux-ci ne suffiraient pas à atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il faut donc non seulement des programmes publics d'investissement pour soutenir la demande, mais en plus agir sur la demande elle-même, donc sur les besoins.

On le voit clairement dans le secteur du transport. Ce secteur consomme 25% de l'énergie à l'échelle mondiale et est responsable d'un cinquième des émissions de CO2 dues à la combustion de combustibles fossiles (1,25Gt). Les perspectives de croissance sont hallucinantes, essentiellement pour le transport routier (80% des émissions): si rien ne change, les émissions seraient comprises dans une fourchette de 1,4 à 2,7Gt en 2020, et de 1,8 à 5,7Gt en 2050(4). Face à de tels chiffres, il est complètement stupide de se rassurer avec la perspective que voitures, avions et camions rouleront à ce moment à l'hydrogène, car l'hydrogène nécessaire ne pourrait être produit qu'en continuant à brûler massivement des combustibles fossiles… ou grâce à l'énergie nucléaire(5). C'est le mode de transport lui-même qui doit être mis en cause, et avec lui non seulement la production just in time mais aussi l'aménagement du territoire, la séparation entre ville et campagne et les besoins aliénés qui en découlent. 

Cet exemple montre bien que les choix à faire impliquent non seulement de contester la logique néolibérale du tout au marché mais en plus de casser la logique capitaliste d'accumulation, dont l'explosion des transports n'est qu'une manifestation particulièrement visible. C'est seulement lorsque cette logique sera cassée que s'ouvrira pour l'humanité la possibilité de soigner puis de gérer raisonnablement son métabolisme avec la nature.

(1) Par exemple: "Hydrogène et piles à combustible", DG Recherche et DG Energie-Transports, Com. Européenne, 2003. (2) Certaines algues et bactéries ont la capacité de produire de l'hydrogène, mais les recherches à ce sujet sont encore loin d'aboutir à des technologies énergétiques. (3) Voir le précédent N° de La Gauche (4) Le rail et les voies d'eau intérieures passeraient au maximum de 0,078 Gt à 0,087 Gt (GIEC, Mitigation 12001) (5) Mutatis mutandis, le même raisonnement vaut pour les biocarburants : pour en produire suffisamment, il faudrait sacrifier des terres arables, recourir massivement aux engrais chimiques et porter un coup terrible à la biodiversité.

Voir ci-dessus