OGM : Comment coloniser le vivant ?
Par Sébastien Brulez le Lundi, 14 Février 2005 PDF Imprimer Envoyer

En novembre dernier, le groupe Carrefour lançait en Belgique son premier produit contenant des OGM. Il s'agit d'une huile de friture élaborée à base d'huile de soja génétiquement modifié. Au prix modeste de 1,55 euros les deux litres, la chaîne de magasins cible directement le citoyen modeste. Au-delà de l'impact des OGM sur la santé et l'environnement, c'est littéralement d'une nouvelle forme de colonialisme qu'il s'agit avec pour seul objectif, l'appropriation du vivant.

La menace que représentent les organismes génétiquement modifiés se décline sur deux fronts: l'un écologique, l'autre économique. Prenons tout d'abord le cas de l'environnement. Les conséquences de la dissémination "involontaire" y sont désastreuses et cela peut se vérifier dans plusieurs pays qui pratiquent la culture d'OGM en champs. "Dans certaines provinces du Canada, il est devenu impossible de cultiver du colza biologique tant la contamination des cultures par les variétés génétiquement modifiées est importante" commente Marc Fichers, secrétaire général de l'asbl Nature et Progrès. A ce propos, un scientifique de l'université canadienne de Manitoba a déclaré que cette variété de colza, sélectionnée pour résister aux herbicides, était devenue "absolument impossible à contrôler" (1). Le mythe selon lequel une cohabitation pacifique entre cultures classiques et cultures OGM serait possible s'effondre.

A partir du moment où une plante a été modifiée de façon à ce qu'elle résiste aux agressions des herbicides voire même de certains prédateurs naturels, elle devient envahissante, difficile à éliminer et prend inévitablement le dessus sur les variétés classiques. Selon M. Fichers, il y a deux types de propagation: par le pollen (c'est la première étape, telle que nous la connaissons dans certains pays d'Europe) et par les graines (c'est l'étape suivante qui survient lors des récoltes intensives). Le pollen de colza peut se disséminer jusqu'à cinq kilomètres. Les graines, elles, s'immiscent dans les camions, dans les moissonneuses et autres véhicules agricoles et se baladent ainsi d'un champ à l'autre. D'un champ OGM à un champ non-OGM, par exemple. C'est ce qu'on appelle une pollution de fond. Or, comme l'affirme M. Fichers: "En Europe, rien n'est prévu pour récolter ces plantes là. Pour prévenir la propagation il faudrait nettoyer les véhicules agricoles qui passent d'un type de champ à un autre. Or le nettoyage d'une moissonneuse prend une journée de travail". 

Privatiser les ressources

Empêcher la dissémination des OGM dans la nature prend beaucoup de temps… et coûte beaucoup d'argent (environs 41% de dépenses en plus) (2). Cela nous amène sur le deuxième front, celui de l'économie. Car, toujours selon M. Fichers: "Les OGM n'ont aucun intérêt agricole". Et ils ne permettraient certainement pas, comme l'a affirmé l'administration Bush, de sauver le Tiers-monde de la famine. Mais le marché qui découle de la commercialisation des OGM est gigantesque et les profits engendrés le sont tout autant. 

Comme l'affirme Daniel Tanuro (la gauche n°5), l'exploitation du Vivant est la condition sine qua non de la production capitaliste. L'expression "exploitation du Vivant" prend ici tout son sens. Les OGM sont protégés par des brevets. Il est interdit à un agriculteur de planter des graines d'OGM sans les avoir achetées à la firme qui les produit, sous peine d'être accusé de violation des droits de la propriété intellectuelle. 

Imaginons un instant que le cas du Canada se généralise. Les entreprises agroalimentaires seraient alors capables de décider seules ce qui va être produit, en quelles quantités il faut produire et dans quelle région il faut cultiver. De plus, il reviendrait à l'agriculteur bio de prendre en charge financièrement le coût de la protection de ses cultures, sous peine d'être envahi d'OGM et de se voir accuser de vol (le cas s'est produit au… Canada, où la Cour suprême a reconnu un agriculteur coupable). C'est le principe du pollué-payeur ! 

L'offensive est lancée

Les Etats-Unis écoulent une grande partie de leurs stocks d'OGM via leur programme d'aide alimentaire (fournie en graines pour les semailles). L'aide "humanitaire" se transforme ainsi en une arme redoutable. Après avoir levé le moratoire sur les OGM il y a quelques mois, la Commission européenne défend aujourd'hui bec et ongles leur culture. Pourtant, une clause de sauvegarde prévoit que si un État membre a des raisons valables de considérer qu'un OGM, qui a obtenu une autorisation écrite de mise sur le marché, constitue un risque pour la santé humaine ou l'environnement, il peut restreindre ou interdire provisoirement l'utilisation et/ou la vente de ce produit sur son territoire. Cette clause a été invoquée par des états membres à neuf reprises. Dans les neuf cas, le comité scientifique de l'UE a jugé qu'il n'y avait pas de nouvelle preuve pouvant justifier l'annulation de la décision d'autorisation initiale(3). Il faut savoir que la recherche publique est aujourd'hui entièrement dépendante des crédits privés. Autrement dit, ce sont des firmes comme Monsanto, Syngenta ou Bayer Crop Science qui jugent si les OGM représentent un danger ou pas pour l'environnement. 

Chez nous, aucune culture d'OGM n'occupe actuellement nos champs. Cependant, la vigilance reste de mise afin de protéger la biodiversité de nos contrées et d'empêcher les initiatives de culture ou de mise en vente de produits OGM, comme celui lancé par Carrefour. 

(1) Lire aussi Susan Georges, Personne ne veut des OGM, sauf les industriels, in Le Monde Diplomatique, avril 2003. (2) Laurent Grouet, Le pillage du vivant, www.lcr-rouge.org 30/09/2004. (3) http://europa.eu.int.

C'est clair et Net sur: www.natpro.be

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