Mettons-nous au vert!
Par Daniel Tanuro le Jeudi, 14 Octobre 2004 PDF Imprimer Envoyer

La littérature environnementale est truffée de condamnations irrévocables du marxisme. En voici une, tirée d'un ouvrage sur Kyoto : "Pour Marx, la Nature n'est qu'un moyen à discipliner pour construire la société idéale" (1). Pan ! Le marxisme est perçu comme tellement peu écologique qu'on peut se permettre d'écrire n'importe quoi à son sujet, même dans un livre sérieux. C'est le cas ici.

La littérature environnementale est truffée de condamnations irrévocables du marxisme. En voici une, tirée d'un ouvrage sur Kyoto : "Pour Marx, la Nature n'est qu'un moyen à discipliner pour construire la société idéale" (1). Pan ! Le marxisme est perçu comme tellement peu écologique qu'on peut se permettre d'écrire n'importe quoi à son sujet, même dans un livre sérieux. C'est le cas ici.

Or, pour Marx: "Une société entière, une nation et même toutes les sociétés contemporaines réunies, ne sont pas propriétaires de la terre (Marx emploie "terre" dans le sens de "nature", DT). Elles n'en sont que les possesseurs, elles n'en ont que la jouissance et doivent la léguer aux générations futures après l'avoir améliorée en bons pères de famille" (2). Cette phrase est aux antipodes de la nature comme "moyen" au service d'un "idéal". Elle est aussi aux antipodes de la nature comme objet d'appropriation privée au service du profit, conception que le capitalisme porte à son comble... et dont l'auteur cité est un chaud partisan, puisque son ouvrage porte essentiellement sur l'échange des droits de polluer dans la lutte contre le changement climatique.

Les préjugés anti-marxistes sur la question de la nature sont diffusés aussi par des auteurs progressistes, voire "écosocialistes". Jean-Paul Deléage, par exemple, reproche à Marx d'avoir "abandonné, dans Le Capital, l'approche de la relation société-nature comme une totalité indissociable", et d'avoir "privilégié l'analyse des deux autres éléments du processus, le capital et le travail". "De ce fait, poursuit Deléage, le rapport société/nature n'a plus été envisagé que dans le cadre d'une théorie purement économique, celle de la rente foncière" (3). Or, ce reproche est contradictoire avec le fait que c'est précisément dans ses œuvres de maturité que Marx élabore son concept de "métabolisme social" entre l'humanité et la nature (4), concept dont JP. Deléage reconnaît qu'il est "particulièrement pénétrant pour saisir la crise écologique actuelle"... mais en omettant de dire qui en est l'auteur !

En réalité, tout en piochant l'économie politique, Marx n'a jamais abandonné l'approche de la relation société-nature comme une "totalité indissociable". Ce que Deléage et d'autres ne comprennent pas, c'est que la mise en évidence par Marx des lois du capitalisme était et reste indispensable pour comprendre la manière spécifique, historiquement déterminée, dont ce mode de production affecte l'homme dans son environnement. A cet égard, la théorie marxiste de la rente foncière constitue une contribution extrêmement importante. Bien loin d'être "purement économique", elle débouche notamment sur trois conclusions aux implications écologiques fort pertinentes :

1. la tendance de plus en plus intensive et spécialisée de l'agriculture capitaliste

2. la contradiction insurmontable entre les rythmes naturels à l'œuvre dans l'agriculture et le rythme de l'accumulation du capital (5)

3. la combinaison des ravages que la grande industrie et l'agriculture (y compris la sylviculture) industrielle infligent à la "totalité" des forces naturelles, à savoir la "force naturelle de l'homme", d'une part, et à la "force naturelle de la terre", d'autre part.

En Europe, particulièrement dans le monde latin, beaucoup de marxistes ont tendance à minimiser l'importance et surtout la cohérence de ces apports de Marx. Souvent, l'auteur du Capital est présenté comme n'ayant eu que des "intuitions écologiques géniales", contradictoires avec ses "élans productivistes". Selon nous, cette conception pointilliste sous-estime le Vieux Barbu. Comme l'écrit Paul Burkett, "Marx avait une méthode cohérente pour traiter les conditions naturelles, aussi bien trans-historiquement que sous le capitalisme". John B. Foster, un autre auteur anglo-saxon, renchérit: "les intuitions écologiques souvent géniales de Marx n'étaient pas que de simples flashes de génie. (...) Sa pensée sociale est inextricablement liée à une vision écologique du monde" (6). La grande question est de savoir pourquoi cette vision n'a pas produit autant de fruits rouges-verts qu'on aurait pu l'espérer. Le stalinisme et la social-démocratie portent certainement une responsabilité. Mais, en tant que marxistes-révolutionnaires, nous sommes seuls responsables de notre programme et de nos pratiques. Camarades, profitons de l'été pour nous mettre au vert, cela nous rendra plus rouges!

Voir ci-dessus