Le ghetto de Varsovie s'insurge: Garde l'espérance!
Par Jean-Michel Krivine le Jeudi, 10 Juillet 2003 PDF Imprimer Envoyer

En avril 1943, la plupart des Juifs de Varsovie sont exterminés. Pourtant, pendant vingt jours, quelques centaines de combattants vont affronter les nazis.

Le souvenir de la révolte du ghetto de Varsovie en avril 1943 ne doit pas s'estomper. Alors que la plupart des 300 000 Juifs de Varsovie avaient déjà été déportés et gazés dans le camp d'extermination de Treblinka, quelques centaines de combattants sont parvenus à défier l'occupant nazi et à l'affronter vingt jours durant, en lui occasionnant des pertes notables. Aucun espoir d'une issue victorieuse ne leur était permis, leur seul objectif était de "témoigner", de clamer au monde que la population juive de Varsovie ne se laisserait pas mener passivement à l'abattoir et d'inciter d'autres opprimés à suivre leur exemple.

 

Le silence du "monde libre"

 

Un autre aspect de l'événement nous semble également d'actualité à l'heure où l'impérialisme anglo-saxon recouvre ses activités guerrières de grandes proclamations sur le respect du droit, de la démocratie, de la morale, etc. Il s'agit de la discrétion du "monde libre", à l'époque, sur l'atroce agonie des derniers Juifs de Pologne. La radio et la presse anglo-saxonnes en parlèrent très peu après quelques jours de tractations entre le Foreign Office et le gouvernement polonais en exil à Londres. Les Britanniques voulaient "vérifier l'exactitude des faits" et souhaitaient ménager un allié polonais qui ne nourrissait pas de sympathie particulière à l'égard des Juifs.

 

La Pologne avait été envahie par les nazis le 1er septembre 1939, aussitôt après la signature du pacte germano-soviétique. Très rapidement, des mesures vont être prises contre la population juive qui comptait alors plus de trois millions de personnes : confiscation de biens, interdiction de travailler dans les institutions publiques et les organismes de l'Etat, interdiction de voyager, rémunérations limitées, interdiction pour les médecins juifs de soigner des non-Juifs, port de l'étoile jaune à partir de 12 ans, etc.

 

En novembre 1940 les nazis créent le ghetto de Varsovie où doit se rendre toute la population juive de la ville avec interdiction d'en sortir. Une ceinture de 18 km de mur et de barbelés l'entoure. L'isolement est total. La misère devient telle que des gens meurent de faim en pleine rue ; sans parler des épidémies de typhus. Un conseil juif de 24 membres (Judenrat), aux ordres de l'occupant, gouverne le ghetto et dispose d'une police juive en uniforme pour maintenir l'ordre.

 

Malgré la brutalité de la répression, la majorité de la population essaie de survivre et ne croit pas aux informations alarmistes qui parviennent de temps à autre. Dès février 1941 pourtant, quelques rescapés avaient raconté comment les nazis avaient gazé des Juifs à Chelmno après en avoir gazé 40 000 à Lodz. Seules les organisations ouvrières juives y accordent du crédit et commencent un travail de propagande et d'organisation. Elles comprennent essentiellement le Bund (socialiste et non sioniste), la Hashomer Hatzair (socialiste et sioniste), les syndicats et des organisations de jeunesse. Le Parti communiste polonais qui a été liquidé par Staline en 1938 est en train de se reconstituer.

 

A partir de la mi-42, suite aux nombreuses exécutions de résistants et aux fusillades nocturnes, la population commence à comprendre que son avenir est des plus incertains. C'est le 20 juillet 1942 que le Judenrat sera mis en demeure (et acceptera) de signer un appel avertissant la population juive que, sauf exceptions, elle devra quitter la ville. Les rafles commenceront aussitôt et au deuxième jour de rafle le président du Judenrat, l'ingénieur Adam Czerniakow, se suicidera. Il savait parfaitement ce que signifiait le prétendu départ à l'Est et ne pouvait amoindrir sa responsabilité qu'en disparaissant. C'est alors que les rafles se succèdent, opérées par les gendarmes, les Ukrainiens et la police juive, au rythme de 5 000 à 6 000 par jour. Les partants sont rassemblés sur l'Umschlagplatz (devant la gare de rassemblement et de triage) et pendant une période on leur distribuera 3 kg de pain et 1 kg de confiture, de telle sorte qu'il y aura des milliers de volontaires affamés, persuadés qu'on ne leur donnerait pas du pain si on voulait les massacrer.

 

Pourtant la vérité commençait à se savoir. Un envoyé avait été expédié du côté "aryen" et avait contacté un cheminot. Avec lui il se rend sur la ligne ferroviaire qu'empruntent les convois de déportés se rendant à Treblinka. Les cheminots de l'endroit leur apprennent que "tous les jours un train de marchandises, rempli de gens en provenance de Varsovie, emprunte cet embranchement et revient à vide. Aucun convoi alimentaire ne passe par là, et la gare de Treblinka est interdite à la population civile. Preuves tangibles que les gens qui y sont conduits sont exécutés".

 

Insurgés

 

Au mois de septembre 1942 il ne reste plus que 60 000 habitants dans le ghetto et en octobre les organisations résistantes se réunissent et créent l'Organisation juive de combat (OJC) avec un commandant de la Hashomer, Mordechaï Anielewicz, et un adjoint du Bund, Marek Edelman. L'OJC n'a que très peu d'armes : quelques dizaines de revolvers en mauvais état, des grenades et des cocktails Molotov fabriqués sur place, quelques fusils et un seul pistolet-mitrailleur. Des groupes de combat sont formés qui pratiquent des attentats, attaquent des SS et libèrent des prisonniers. L'OJC règne dans le ghetto qu'elle couvre d'affiches, avec le soutien de la population restante. C'est alors que les Allemands décident d'en finir.

 

Le 19 avril 1943, à 4 heures du matin, 2 000 à 3 000 Waffen SS, auxiliaires ukrainiens, lettons et policiers polonais, commencent à pénétrer dans la place. Ils seront rejoints par des troupes motorisées, des blindés et de l'artillerie. A leur grande surprise ils seront accueillis par un déluge de feu venant des quatre coins des rues. Il y aura de nombreux morts et deux chars seront incendiés. Après quelques heures de combats acharnés les assaillants s'enfuient et à 14 heures il n'en restera plus un. Ils referont une tentative le lendemain mais sans plus de succès. Ce n'est qu'au troisième essai qu'ils parviendront jusqu'au ghetto central qui sera incendié et littéralement rasé. La moitié des combattants juifs périra pendant les combats. La plupart des survivants décideront de se suicider collectivement et parmi eux, Mordechaï Anielewicz qui était à la tête de l'OJC. Quelques combattants parviendront à s'enfuir par les égouts et rejoindront la Résistance polonaise. Parmi eux Marek Edelman qui a rapporté ultérieurement, de façon émouvante et vivante, l'histoire de l'insurrection.

 

Ainsi que nous l'avons signalé précédemment, les futurs libérateurs furent d'une discrétion exemplaire à son sujet. Cela devait entraîner un autre suicide, mais à Londres celui-là : le 17 décembre 1943, pour protester contre l'indifférence des puissances occidentales au massacre des Juifs polonais, Artur Zygelboïm mettait fin à ses jours. Il représentait le Bund auprès du gouvernement polonais en exil.

 

Rouge, 01/05/2003

Voir ci-dessus