Jef Sleeckx : « Place à l’alternative ! »
Par David Dessers le Mardi, 18 Avril 2006 PDF Imprimer Envoyer
La Gauche a interviewé Jef Sleeckx, ancien parlementaire du parti socialiste flamand (SP.a). Ces derniers mois, il a mené campagne aux côtés de George Debunne contre la Constitution européenne. Quand le combat contre le pacte de solidarité entre les générations a été lancé en septembre dernier, J.S. a immédiatement pris fait et cause pour les syndicats en soutenant leurs actions. Il a lui-même milité lors du congrès de son parti (SP.a) à Hasselt. "De nombreux mandataires étaient évidemment furieux contre moi", explique-t-il. Sa colère provient de son aversion pour l'extrême droite. Mais il craint que le SP.a ne soit désormais plus en mesure de battre l'extrême droite et de reprendre des voix au Vlaams Belang.

Jef Sleeckx: Le combat contre le pacte de solidarité entre les générations a été un moment décisif, tout comme l'ont été auparavant le combat contre le Plan global et la marche blanche. Ces moments où le peuple veut prendre la politique en main, où le sentiment général est que les choses ne peuvent plus continuer de la même manière.

Au cours des nombreuses discussions que j'ai eues aux piquets de grève et dans les manifestations, les gens me confiaient qu'il fallait que les choses changent. Beaucoup de personnes me connaissent depuis 1971 lorsque j'ai fondé le GAK (Groot Arbeiders Komité - "Grand Comité des Travailleurs") avec les travailleurs. C'est pourquoi on me cherche et on vient me dire pendant les actions qu'il faut que les choses changent, étant donné que les partis traditionnels sont incapables de reprendre quoi que ce soit au Vlaams Belang. En Wallonie, le FN se rapproche également des 10%. Ni le SP.a, ni le PS ne parvient donc à trouver une solution au problème de l'extrême droite. Les gens me demandaient aux piquets de grève: "Jef, pour qui devons-nous voter aujourd'hui ?" La déception engendrée par le comportement du SP.a et du PS est particulièrement importante. Durant les nombreuses conférences que je donne - entre autres aux délégués syndicaux - des personnes viennent me dire qu'après avoir été membres du SP.a pendant 35 ans, elles ont renvoyé leur carte. Il existait un formidable élan de combativité et, à mon grand regret, je constate que la direction syndicale a, en partie, mis progressivement un terme à cette combativité. Toutefois, j'encourage tout le monde à se syndiquer, parce qu'avec tous leurs défauts, les syndicats restent la meilleure garantie pour la sécurité sociale.

La direction syndicale affirmera certainement que poursuivre la grève était inutile car aucune autre solution ne pouvait être trouvée. Selon moi, il y avait néanmoins bien une solution: si les syndicats avaient poursuivi leurs actions, alors, le gouvernement n'aurait eu d'autre solution que de démissionner. Naturellement, une grande partie des membres du SP.a se fâche contre moi quand je dis de telles choses. Quand, aux portes du congrès du SP.a à Hasselt en compagnie des délégués, j'ai distribué des appels à s'opposer au pacte de solidarité entre les générations, de nombreux mandataires étaient également furieux. Cependant, je vois à quel point les gens déçus quittent le parti. Récemment, j'ai eu une discussion avec une trentaine de délégués à Anvers, essentiellement des chefs-délégués des entreprises. Je leur ai parlé de la Constitution européenne et du rapport de cette dernière avec le pacte de solidarité entre les générations. Alors, ces délégués pensaient aussi qu'il fallait que les choses changent. Une nouvelle réunion sera bientôt organisée avec ces délégués. Ces personnes désirent donc que la situation change: une alternative claire, à gauche du SP.a, orientée vers les travailleurs.

Pensez-vous que le temps est venu pour une telle alternative politique ?

J. S.: Le changement se fait petit à petit et non brusquement. C'est toujours ce que j'ai reproché à la petite gauche, bien que j'y aie pas mal d'amis. Les partis de la petite gauche se tiennent trop à l'écart de la population et expriment toutes sortes de choses auxquelles les gens ne sont pas sensibles. Mon objectif est précisément de tisser un lien étroit avec la population. Au cours de débats, il est arrivé que l'on me demande: "Jef, présente-nous un programme". Mais ce n'est pas à moi de présenter un programme. Si un programme est établi, il doit émaner du groupe, des discussions. Ce n'est ni Jef Sleeckx ni la petite gauche qui doivent montrer la marche à suivre. Non, c'est le rôle des délégués et des autres qui doivent se nourrir de leurs expériences et des débats. J'ai l'intuition que les choses évoluent dans ce sens. Au cours des derniers mois, j'ai donné des conférences quasi quotidiennement partout dans le pays. Des membres de la CSC sont également entrés en contact avec moi. Dans ma région, j'ai toujours essayé d'être le parlementaire de tous les travailleurs. Si un nouveau mouvement venait à naître, il importe que les membres de la CSC  puissent participer à sa création.

Vous arpentez donc le pays avec des objectifs concrets afin de mettre un nouveau mouvement politique sur pied ?

J. S.: Ce qui m'énerve le plus, c'est l'extrême droite. Avec les moyens limités dont je dispose, je désire mettre tout en œuvre pour contrer l'extrême droite. C'est ma motivation. C'est une des raisons pour lesquelles je donne si souvent des conférences partout et rentre chez moi tard le soir en prenant le dernier train. Et s'il s'avère qu'en créant un nouveau mouvement politique, nous pouvions reprendre quelques pourcents à l'extrême droite, alors je n'hésiterais pas. Le point de départ doit rester le groupe, les travailleurs eux-mêmes. Ce sont eux qui doivent fixer les objectifs à atteindre.

J'étais présent à Anvers quand Johan Vande Lanotte est venu défendre le pacte de solidarité entre les générations. A la fin de ses explications, j'ai immédiatement levé la main. Je voulais prendre la parole mais pas depuis mon siège. Je me suis alors dirigé vers le micro et j'ai affirmé clairement que le SP.a faisait peur aux gens. Je me suis entièrement basé sur l'étude réalisée par la commission vieillissement. L'étude montre la chose suivante: il y a actuellement 2,5 milliards d'euros en réserve. Aujourd'hui, le problème du vieillissement ne se pose pas encore, mais d'ici 2030, 9 milliards d'euros supplémentaires seront nécessaire à la sécurité sociale. Notre PIB s'élève à environ 250 milliards d'euros. Si l'on suppose une croissance de 1,5%, 112 milliards d'euros viendront s'ajouter aux 250 autres d'ici 2030, ce qui représente une augmentation de 45%. Ma question est: n'est-il pas possible de retirer 9 milliards des 112 milliards pour la sécurité sociale? Car, en 1980, la masse salariale s'élevait à 60% du PIB et est désormais passée à 52%. La contribution du gouvernement au budget de la sécurité sociale était alors de 6% contre seulement 2% à l'heure actuelle. On dispose donc de tous les moyens pour faire face au vieillissement.

De plus, au cours de cette soirée à Anvers, j'ai également parlé de la perception des impôts. Chaque inspecteur engagé rapporte environ 500.000 euros à l'Etat. Pourtant, en pratique, personne n'est embauché. En outre, un impôt sur la fortune d'à peine 1% renflouerait les caisses à coup de milliards. 80% des fortunes se trouvent dans l'immobilier. N'utilisez pas l'argument de la fuite des capitaux. On ne peut prendre sa maison sur le dos et s'en aller ! Ne faisons pas peur aux gens. Seul un peu de courage politique est nécessaire pour faire face au vieillissement. Johan Vande Lanotte n'était évidemment pas heureux après mon intervention. Mais je lui ai dit qu'il ne comprenait pas que la prépension était devenue un symbole pour les gens qui ont le sentiment d'être de plus en plus exploités par l'économie. Les gens doivent travailler toujours plus dur. Désormais, ils doivent aussi travailler plus longtemps. La prochaine étape est la baisse des salaires, car les barèmes d'ancienneté sont eux aussi remis en cause.

La direction du SP.a ferait donc mieux d'écouter un peu plus la base du mouvement. Mais le problème est que les socialistes ne sont plus présents dans les quartiers difficiles. Nous n'y sommes plus, et plus grave encore, nous avons même pris peur de notre public de base. C'est ainsi que nous favorisons le VB. Un docker a pris la parole après moi. Dans la langue imagée qu'est l'anversois, il m'a donné raison. Et il dit à Vande Lanotte: "Si tu ne sais pas ce qu'est un travail lourd, Johan, viens une fois une semaine travailler avec nous, comme ça tu le sauras tout de suite". En d'autres termes, ce fut une soirée assez agitée et Johan a dû s'en aller la queue entre les jambes.

Comment expliquez-vous que le SP.a ait tant viré à droite ?

J.S.: Un beau jour, Steve Stevaert a affirmé au bureau du parti qu'à l'avenir nous n'aurions plus beaucoup à faire au "misérabilisme" (misère sociale provoquée par le libéralisme). Ouille, me dis-je, un million et demi de personnes qui reçoivent le minimum vital, toutes les autres qui gagnent moins de 1.250 euros par mois alors qu'elles doivent dépenser 500 euros pour le logement… Ca fait pas mal de monde quand même ! Mais la direction du SP.a avait donc constaté que le parti avait déjà perdu une grande partie de la population active au profit de l'extrême droite. C'est pourquoi elle a choisi de se rapprocher du centre, là où les partis se bousculent. C'est la raison de ce glissement à droite: les partis ont perdu des électeurs au profit du VB et ils sentent qu'ils ne les regagneront plus, parce qu'ils ne prennent plus aucune position claire. C'est également la raison pour laquelle, à l'époque, on m'a supplié de me présenter. Ce n'était pas pour ma personne, mais pour mes voix...

Il y a quelque temps, j'ai même pensé écrire un article à propos des "châtelains" du SP.a. Ils habitent de grandes maisons, de grosses villas et n'ont donc plus aucun échange avec monsieur Tout-le-Monde. Comment pourriez-vous parler à un chômeur lorsque vous percevez trois salaires ? Allez discuter avec un sans-abri quand vous-même, vous habitez un château. Cela ne va pas. Il y a une aliénation entre la base et la direction.

Je pense donc que les choses doivent changer, une alternative clairement orientée vers les travailleurs et les pauvres doit voir le jour. J'y participerais s'il le faut, je pense que le temps est venu. Si nous ne nous y attelons pas maintenant, le VB poursuivra son ascension.

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