« Avancer en questionnant »
Par Ataulfo Riera le Jeudi, 04 Mai 2006 PDF Imprimer Envoyer

L'initiative "pour une autre gauche" ne  prétend pas encore au stade actuel  incarner l’alternative  politique nécessaire. Ce qui permet de mener une série de discussions importantes et de questions à résoudre que les échanges électroniques et la seconde assemblée de l'initiative ont permis d'éclaircir ou d'ouvrir. Nous voulons sérier ici certains de ces débats et y apporter quelques éléments de réflexion.

1. Urgence ou précipitation ?

Il existe une tension entre le sentiment d'"urgence" de construire une alternative politique et la nécessité de ne pas précipiter les choses, de prendre le temps nécessaire à dégager les conditions qui lui permettent d'exister durablement et de s'élargir. Cette tension peut se résoudre en ayant conscience que la situation objective (offensive néolibérale, montée de l'extrême droite, etc.)  nous force à commencer "à faire quelque chose" dès maintenant mais que la situation subjective (la volonté parmi de larges couches sociales et militantes de s'engager sur le terrain politique) n'est pas encore entièrement mûre pour construire, dès maintenant, cette nouvelle force politique à gauche.

C'est là tout le rôle et l'utilité de l'initiative lancée par l'Appel pour "une autre gauche";  entamer un processus, une dynamique visant à convaincre de cette nécessité, à dégager et à faire mûrir ces conditions subjectives, ce qui passera nécessairement par sa capacité à s'élargir et à se développer en différentes étapes/phases. Ainsi, il n'est pas contradictoire, au contraire, d'élaborer une série d'exigences et de revendications "d'urgence" tout en menant un travail de réflexion et d'élaboration "programmatique" plus fondamentale.

2. Juxtaposition ou convergence?

Cette double tâche ne peut être menée de front qu'à la condition de bien définir dès le début la nature et les rythmes de l'initiative. Il sera plus facile d'élaborer ce que nous voulons (un programme) à partir de la définition de l'instrument (au sens politique et non seulement fonctionnel) qui va élaborer ce programme. Il ne peut s'agir de décréter à très court terme cette alternative politique comme étant posée, réalisée; d'où l'importance de la définir avant tout comme un "processus dynamique de convergence des gauches (sociales, syndicales et politiques)" afin que toutes ces gauches, aujourd'hui existantes, en lutte mais dispersées, convergent sur le terrain politique.

Comme le souligne Daniel Tanuro dans une contribution diffusée sur la liste électronique, il s'agit de "Créer un cadre politique d'un type nouveau, dans lequel l'unité ne se fait pas sur base d'un programme mais sur base de la volonté de converger activement pour élaborer ce programme, à travers des pratiques débattues en commun. Une fois l'objectif politique posé en termes généraux, la  première chose à faire, dès lors, est d'inventer les règles de fonctionnement et les procédures rendant la convergence possible". L'expérience malheureusement avortée de Gauches Unies dans ce domaine est un élément du débat qui nous semble très important à retenir.

3. Parti ou mouvement ?

C'est dans ce cadre que prend tout son sens la discussion entre les termes "parti" et "mouvement" visant à préciser ce qu'il faut construire. Il ne s'agit pas, dans l'absolu, d'opposer ces deux termes, ni de se tromper de débat. Beaucoup estiment qu'il est nécessaire de construire un "parti" afin de participer également aux échéances électorales. C'est effectivement une nécessité, elle n'est nullement la seule, mais elle est belle et bien très importante car il s'agit aussi de porter dans les urnes et dans les institutions élues la voix et les revendications des luttes. Mais il n'est pas obligatoire pour ce faire de prendre immédiatement la "forme" et l'étiquette d'un "parti". Il faut innover et créer, notamment en s'inspirant des expériences réussies ailleurs en Europe (Bloc de Gauche portugais, Alliance-Rouge-Verte danoise, la WASG en Allemagne, etc.)

Le cadre et la forme qui offrent les meilleures garanties afin de mener à bien un processus dynamique de convergences des gauches tout en n'excluant pas d'affronter le terrain électoral  est selon nous celui d'un "nouveau mouvement politique". Que ce dernier, dans une phase ultérieure de son développement, lorsque sa cohésion et sa maturité lui permettront de prendre une nouvelle dimension, se constituera en "parti", est une éventualité qui n'est pas du tout à exclure.

Mais à moyen terme, envisager dès le début la "construction d'un parti" revient à brûler les étapes et à exclure toute une série de secteurs et individus qui sont prêts à s'engager sur le terrain politique mais pas dans le cadre structuré d'un "parti". Construire un nouveau mouvement politique de convergences des gauches ne signifie pas de se limiter à des parlotes interminables entre militant/es convaincus; c'est au contraire intervenir dans les luttes, interpeller et s'élargir et, si les conditions sont réunies, affronter également le terrain électoral.

Un nouveau mouvement politique, conçu dans ce sens, permettra également de créer le cadre dans lequel il est possible d'innover et de créer en termes de pratiques militantes, de fonctionnement et de discours. Ecolo a voulu faire la même politique mais "autrement". Et à ne pas vouloir s'opposer frontalement au fond (la politique néolibérale), la forme elle-même est devenue des plus classiques. Il s'agit au contraire, pour la nouvelle force politique à construire, de "faire une toute autre politique autrement".

4. Et la gauche radicale  ?

La question de la place et du rôle des organisations politiques de la gauche radicale est une question à résoudre rapidement. D'abord parce qu'il ne s'agit pas de construire un "cartel" de ces partis. La simple addition de leurs forces ou leur union réelle est une condition utile mais non une garantie de succès afin de construire une large alternative crédible, plurielle. Ensuite parce qu'une initiative regroupant des individus organisés en partis, d'autres en associations, "courants" et d'autres pas du tout doit offrir à ces derniers un certain nombre de garanties afin qu'un climat de confiance mutuelle puisse s'installer. Dans ce sens, le POS a ainsi proposé (comme le fait avec de bons résultats le Bloc de gauche portugais) que les représentant/es des partis politiques puissent être présent/es dans les instances de décisions élues ou désignées de l'initiative, mais à condition qu'ils/elles n'en constituent pas la majorité afin d'éviter les possibles "jeux d'appareils" .

Enfin, parce que ces partis ont sans doute des visions différentes de la nature, des rythmes de construction de cette alternative. Jusqu'à présent, le MAS (Mouvement pour une alternative socialiste) se dit partisan de la construction d'un "nouveau parti des travailleurs" et a participé activement aux deux assemblées de l'initiative "pour une autre gauche". Le MAS plaide à juste titre pour un élargissement de l'initiative, mais il semble qu'il limite ce dernier au seul terrain des "travailleurs" et des secteurs syndicaux, à l'exclusion d'autres mouvements sociaux ou secteurs progressistes tel que le mouvement altermondialiste, ATTAC, etc., ce qui n'a pas de sens.

Le Parti Communiste n'a été représenté que par un seul de ses membres et il n'est pas encore très clair si le PC francophone est parti prenante de l'initiative et, si oui, de quelle manière. Le PTB avait également un membre présent à la première assemblée et, tout comme son organisation, ce dernier a observé un silence prudent. Le POS quant à lui, évalue positivement l'initiative "pour une autre gauche" et a décidé de s'y inscrire en y apportant notamment ses propositions et idées reposant sur son expérience dans le domaine de la recomposition politique et celle de la IVe Internationale dans toutes les expériences similaires en Europe ou ailleurs où elle est impliquée.

Afin de clarifier les choses, il serait utile que chaque organisation politique se prononce et se détermine publiquement par rapport à l'initiative en cours, à sa volonté de construire une alternative politique (ce qui aura inévitablement, si la chose aboutit, des répercussions sur elles en termes d'apparition autonome), qu'elles expriment leur vision des choses sur toute une série de questions politiques et très concrètes et qu'elles se mettent également d'accord entre elles sur une série de "règles" à adopter afin de ne pas monopoliser le débat interne, ne pas transformer l'initiative en un champ de bataille de leurs divergences ou en un vulgaire vivier de recrutements.

5. D'autres questions

D'autres questions sont en suspens ou à clarifier en chemin. Ainsi en est-il de la volonté de construire une dynamique commune tant en Flandre qu'en Wallonie. Cette volonté est positive car elle va à l'encontre des divisions communautaires attisées par les partis traditionnels afin de diluer, diviser, voir de s'opposer les résistances, les luttes et le mouvement ouvrier lui-même. Mais cette volonté doit aussi tenir compte des réalités sociales, politiques et idéologiques souvent très contradictoires entre le Nord et le Sud qui font que la Flandre et la Wallonie constituent de plus en plus deux sociétés distinctes au sein d'un même Etat. D'où la nécessité d'adapter dans une certaine mesure le discours, les rythmes et les pratiques. Bref, s'agit-il de construire un "mouvement national" ou des initiatives coordonnées mais parallèles ?

Si la nécessité d'une nouvelle force politique est posée, reconnue et partagée, il reste aussi à déterminer la nature de l'alternative de société dont elle sera porteuse. Car elle doit être porteuse d'une vision alternative de société en rupture radicale avec la politique néolibérale.  Entre ici le débat sur l'anticapitalisme et/ou l'anti-néolibéralisme, le caractère "rouge-vert" de son programme et de sa pratique, la place et le sens du socialisme dans sa définition, etc. Ces questions ne doivent pas êtres tranchés dans l'immédiat, mais elles seront au coeur de l'évolution de l'initiative et dans la construction même de la nouvelle force politique.

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