La Turquie résiste (4/4): «Ce n'est que le début, continuons le combat!»
Par Neal Michiels le Mercredi, 24 Juillet 2013 PDF Imprimer Envoyer

Dans cette quatrième et dernière partie, Neal Michiels, militant des Jeunes anticapitalistes (JAC), qui voyageait à Istanboul entre les 14 et 21 juin pour vivre de près la mobilisation populaire, examine les perspectives du mouvement.

Vous pouvez consultez ses précédents articles sur notre site sur les liens suivants :

-     La Turquie résiste (1/4): D'une action pour le maintien d'un parc à une grande mobilisation populaire contre un régime conservateur, autoritaire et néolibéral: « Teyyip, yistifa! »

-     La Turquie résiste (2/4): Le déroulement des évènements dans la période 14-21 juin

-     La Turquie résiste (3/4) : La composition du mouvement


L'impact du mouvement

L'impact du mouvement sur la société et la politique turque n'est pas à sous-estimer: des centaines de milliers, sinon quelques millions de personnes montrent que la résistance est possible. Pour beaucoup d'entre eux c'était la première expérience politique tandis que pour des militants expérimentés c'était une impulsion énorme qui permet de voir que le reste de la société ne reste pas passif. Pendant plusieurs semaines la politique était le principal sujet de conversation de beaucoup de gens, et autant la répression violente et mortelle contre des manifestants pacifiques a délégitimé le régime aux yeux de plus en plus de personnes, autant le mouvement a acquis beaucoup d'énergie et d'expérience de cette mobilisation pour le futur,...

Pourtant il y a également des éléments de pessimisme. Le contenu du mouvement n'est-il pas trop faible et facile à récupérer par exemple des forces kémalistes autoritaires dirigées par une fraction de la bourgeoisie? Quels sont les acquis et comment poursuivre le combat quand les manifestations spontanées s'épuisent? Et qu’en sera-t-il si Erdogan gagne les élections l'année prochaine ?

Certains manifestants font la comparaison avec les « indignés » espagnols pour affirmer que le manque d'organisation et de direction politique mènera à la stagnation et l'arrêt de la résistance et que les élections ne pourront dans cette situation politique que confirmer la position d’Erdogan. Mais ici on se trompe sur ce qui est passé dans l'État espagnol. La victoire électorale du Partido Popular était avant tout la défaite du PSOE. Et la résistance par occupation des espaces de la jeunesse espagnole a sans doute donné une impulsion à plus de résistance sociale comme les grèves politiques du mouvement ouvrier et la croissance de la gauche politique avec Izquierda Unida qui réalise actuellement 19% dans les sondages.

Erdogan semble en effet perdre une partie considérable de son soutien électoral. Les 50% de 2011 sont diminués à 35% dans des sondages. Mais en l’absence d'une politique de gauche crédible et éligible et en l’absence du clivage capital-travail à travers des revendications socio-économiques (voir troisième article), les votes iraient surtout au Parti républicain du peuple kémaliste.

« Ce n'est que le début, continuons le combat! »

Ce slogan populaire part d'une analyse modeste et surtout réaliste que quelques manifestations aussi grandes soient-elles ne suffiront pas pour dégager Erdogan, voir pour réaliser un changement plus radical du système politique et économique.

Quant au développement souhaité du mouvement, il existe plusieurs positions parmi les manifestants. Dans la partie sur les assemblées populaires, nous avons donné une idée de ces propositions. D'un point de vue socialiste, les éléments suivants sont importants: aller de manifestations spontanées vers une résistance organisée avec des comités permanents dans les quartiers et une organisation sur les lieux de travail, impliquer la classe ouvrière organisée dont entre autres les membres du syndicat majoritaire Türk-IS, la construction d'un mouvement étudiant politique, la radicalisation des revendications politico-démocratiques vers des revendications anticapitalistes, vers une grève révolutionnaire,...

Ça a duré plus que trois décennies pour se rétablir du coup d'État de 1980 mais il semble que ces manifestations sont l'avant-goût de bien plus. Après un prochain déclencheur, la jeunesse prendra de nouveau la rue contre un régime qui devra désormais calculer la potentielle réaction populaire à chaque réforme conservatrice, néolibérale et autoritaire. Et que se passera-t-il quand la bulle néolibérale éclatera?

Solidarité internationale

Je suis allé en Turquie pour principalement deux raisons: la solidarité internationale et l'acquisition d'une expérience révolutionnaire.

La solidarité internationale est importante. Bien que le régime AKP a mené dans les années précédentes une politique autoritaire avec entre autres l'emprisonnement et la torture de milliers de militants et de journalistes, il a été présenté par des gouvernements européens comme évoluant vers la démocratie. Par les mobilisations d'une partie de la diaspora et des militants de gauche et démocratiques dans des pays européens, il est devenu clair pour la population dans ces pays qu’Erdogan est un dictateur. La pression d'en bas sur les gouvernements européens a abouti à ce que le Sultan s’est soudainement retrouvé isolé sur la scène internationale et devra entreprendre des réformes conséquentes afin de rétablir sa réputation parmi ses partenaires économiques.

La solidarité internationale a connu son apogée par la présence de délégations de plusieurs pays européens. Une parlementaire allemande est venue au premier plan des évènements quand elle a été attaquée au gaz lacrymogène et à l'eau mélangé aux acides dans l'hôpital de campagne dans l'hôtel Divan après l'expulsion des manifestants de Gezi parc. Me concernant, j'ai pu rencontrer le président du syndicat étudiant français majoritaire UNEF. Aussi les camarades belges du syndicat étudiant FEF et le mouvement de jeunesse du PTB Comac avaient envoyé une délégation sur place.

D’autre part, j'ai vécu une expérience révolutionnaire inoubliable. Tout comme pour les camarades turcs, c'était très motivant de voir qu’une partie importante de la jeunesse peut se révolter après une longue période de résistance solitaire. D’autant plus que les parallèles avec la situation en Belgique sont existants. Les évènements en Turquie me motivent directement à continuer à m'engager dans la résistance contre les sanctions administratives communales (SAC) qui veulent faire payer la jeunesse pour la crise économique et au même temps augmenter le contrôle sur ces mêmes jeunes ainsi que la répression contre les militants. Le travail de construction au quotidien dans une organisation révolutionnaire comme la section belge de la Quatrième internationale est important pour se préparer à intervenir dans des évènements prérévolutionnaires et révolutionnaires.

L'acquisition d'une expérience révolutionnaire à l'étranger ne peut à cet égard qu’être encouragée. Une organisation internationaliste peut soutenir ses membres de plusieurs manières (financièrement et matériellement, contacts sur place, réaction politique et judiciaire en cas d'arrestation ou d'autres problèmes,...).

© Photo Murat Bay





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