« Le travail : une question politique et démocratique » !
Par Denis Horman le Vendredi, 21 Juin 2013 PDF Imprimer Envoyer

Nicolas Latteur, formateur au CEPAG (Centre d’éducation populaire André Genot, www.cepag.be) est l’auteur d’un livre : « Le travail, une question politique » (1).

Cet ouvrage, fruit de rencontres avec des travailleuses et des travailleurs de différents secteurs d’activités, se compose de deux parties, en interaction l’une par rapport à l’autre.

D’une part, il analyse les (nouvelles) formes d’organisation du travail que le patronat, les détenteurs des moyens de production, imposent ou tentent plus subtilement de faire assumer par les travailleurs,  en fonction des rapports de force dans l’entreprise.

D’autre part, il ouvre des pistes pour la (re)construction d’un  contre-pouvoir collectif des travailleurs aux formes contemporaines d’organisation du travail. Il questionne les pratiques syndicales et avance des alternatives  permettant d’engager  des stratégies de transformation  sociale.  C’est, comme le souligne Nicolas Latteur, « l’enjeu majeur –et colossal- du syndicalisme de combat et plus généralement de la gauche de gauche du XXIème siècle ».

La « Gauche » a interviewé Nicolas Latteur

 

La Gauche : « Le travail, une question politique », tel est le titre de ton livre. Qu’est-ce à dire ?

Nicolas Latteur : le travail, au sens général, renvoie à des questions essentielles : que produit-on dans notre société, dans quel but, dans quelles conditions, avec quelle organisation de la production, quelle utilité ? Qui décide du travail ? Qui le conçoit ? Qui l’exécute ? Avec quelle répartition du surproduit ?  Les réponses à ces questions mobilisent une lecture des rapports sociaux entre différents groupes. Aujourd’hui, c’est la classe capitaliste - les propriétaires de capitaux - qui décide de l’activité, au nom d’un seul critère : la profitabilité économique, avec toutes ses conséquences dramatiques du point de vue social et écologique.  Alors que les salariés, producteurs des richesses, ne sont pas considérés comme légitimes pour discuter des fins et des moyens de leur travail. Ils sont contraints de vendre leur force de travail sur un marché et de trouver acquéreur.

Or, dans une logique démocratique, ce qui a des conséquences communes doit faire l’objet de délibérations communes. L’enjeu du travail comme question politique et démocratique, c’est donc la réappropriation par les classes populaires des questions essentielles qui règlent leurs conditions de vie.

Peut-on parler, aujourd’hui,  de nouvelles formes d’organisation du travail ?

L’organisation  du travail par les directions patronales  a toujours été mise en place en fonction de l’objectif central : mobiliser des personnes à des fins extérieures à elles-mêmes. Dans la logique propre au capitalisme, l’organisation du travail est un dispositif politique qui comprend le déploiement de techniques de production et de techniques de domination. Afin d’atteindre des objectifs d’exploitation maximale de la force de travail, il s’agira de créer un contexte propice par exemple aux appétits du capitalisme financier.

C’est qui est nouveau, c’est que l’entreprise n’a plus une frontière clairement délimitée. Des projets de production sont définis. Ils rassemblent pour une durée déterminée des collectifs de travail parfois éloignés les uns des autres. La radicalité du changement pour les salariés, c’est l’extrême difficulté à entretenir des relations stables avec les autres. Or, c’est un élément qui permet la construction de liens de solidarité. L’action collective est touchée au cœur. La nouveauté réside donc bien dans la logique du capitalisme néolibéral qui peut extorquer la coopération des salariés sans avoir à tolérer de collectifs de travail stable. A nouveau projet, nouvel appel à compétiteurs (unités d’exploitation d’un groupe, sous-traitants, filiales, …) qui devront s’investir pour obtenir le contrat de production … Cette logique requière l’accentuation de la flexibilité du travail, de sa pénibilité non seulement physique mais psychologique, … Dans le cadre de ce « management offensif », les objectifs de production sont souvent délégués à des équipes de salariés : « débrouillez-vous pour atteindre les résultats fixés » ! Les équipes et les individus sont mis en compétition les uns par rapport aux autres. En organisant la précarité mais aussi en s’appuyant sur l’aspiration des salariés à l’autonomie et la responsabilité dans le travail, le patronat tend à éloigner les salariés de leurs représentants syndicaux ou à faire de ceux-ci un allié gestionnaire. Dans nombre d’entreprises, on entend lier une partie croissante de la rémunération sur une évaluation du mérite et des compétences. Celle-ci crée un espace où l’arbitraire du pouvoir de l’employeur peut se déployer. Des entreprises entendent évaluer le « savoir-être » de leurs travailleurs. Dans l’une d’entre elle, pour l’item « sociabilité », les ouvriers sont évalués sur base d’une définition bien précise : « le bon ouvrier ne fait pas d’observation négative au supérieur ; il fait preuve d’une correction parfaite envers tous, avec une grande gentillesse. L’ouvrier médiocre a une attitude irascible envers ses supérieurs ». C’est une disqualification de toute forme d’action collective et de contre-culture syndicale. C’est la « pensée unique » au sein du monde du travail.

Le mouvement syndical doit donc se repositionner face à ces (nouvelles) formes d’organisation du travail. Quels devraient être les points forts d’une pratique syndicale de combat ?

Je tiens tout particulièrement à en évoquer trois.

Il y a d’abord l’impérieuse nécessité de l’autonomie du mouvement syndical, dans sa capacité à établir, à définir son propre programme, ses propres pratiques. L’entreprise est un lieu conflictuel, de rapports de force, d’intérêts antagoniques entre salariés et détenteurs des moyens de production.

Et cela est également vrai par rapport au droit. Il s’agit de confronter les droits collectifs des salariés à d’autres droits établis : celui de la propriété  des moyens de production, le droit de licencier, de restructurer. Et comme le proposait Marx, « entre deux droits égaux, c’est la force qui tranche ». C’est pourquoi, des droits et des jurisprudences  peuvent s’avérer ennemies du travail syndical  ou constituer des points d’appui.

Il y a le contrôle démocratique, inspiré du programme du contrôle ouvrier : contrôle sur la production,  l’organisation du travail, l’emploi, les investissements… C’est une méthode de lutte essentielle pour limiter l’arbitraire patronal, pour légitimer et imposer un programme de revendications.  Ainsi, le contrôle sur les résultats économiques de l’entreprise sert de base pour légitimer des revendications en faveur d’augmentations salariales et d’une autre répartition des richesses. Ce contrôle  implique nécessairement la participation démocratique d’un maximum de salariés. Il permet également de combiner logique défensive (préservation des conquêtes sociales) et logique offensive (contrôle de ce que l’on produit, contrôle des décisions politiques, contrôle du temps de travail en vue de sa réduction collective sans perte de salaire avec embauche compensatoire).

J’évoque également l’impérieuse nécessité pour le mouvement syndical de défendre TOUS les travailleurs. Cela peut paraître étonnant. Pourtant, les tensions sont très fortes au sein du monde du travail. Elles pèsent de tout leur poids pour le diviser : division sur base des statuts ouvriers/employés ; division sur base de la précarité et flexibilité du travail (CDI, CDD, intérim, temps partiel…) ; travail en sous-traitance ; salariés/chômeurs forcés à accepter n’importe quel boulot ; sans papier au travail ; inégalités hommes/femmes au travail…Tout cela plaide pour de nouvelles formes d’organisation collective du monde du travail. Il faut reconstituer syndicalement les différents maillons de la chaîne productive.

Dans cette logique, l’internationalisation des combats syndicaux – un syndicalisme sans frontières- est également impérative  face à des capitaux transnationaux. Cela mettrait à mal ce qui produit la précarisation : la stratégie de mise en compétition des individus, des régions et des pays.

Propos recueillis par Denis Horman, journaliste à la Gauche et militant LCR.

(1) Nicolas Latteur, Le travail, Une question politique, Editions Aden, Février 2013.

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir ci-dessus