Comprendre la révolution syrienne
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Nous publions ci-après quelques points de vue sur la situation en Syrie, sur la nature du processus révolutionnaire en cours depuis maintenant dix-neuf, et notamment sur la question de la militarisation de la révolution et la lutte armée comme moyen d'action ainsi qu'un reportage sur la situation dans les régions kurdes.


Que l’Armée Libre entende enfin l’appel des civils!

Par Razan Zeitouneh

L’armement de la révolution s’inscrivait, après des mois de manifestations pacifiques réprimées, dans la «logique» de son développement.

Mais, de suite, cette dimension posait et pose, avec plus d’acuité, la question de la jonction entre, d’une part, l’orientation politique, donc la «direction», d’un processus qui disposait d’une base de masse croissante, et, d’autre part, sa «direction» militaire. Ce au moment où l’action d’autodéfense passe à un stade d’affrontements – certes fragmentés – avec l’armée du pouvoir; ce qui prend forme au cours de l’année 2012. La faiblesse des forces militaires liées à la révolution ne peut être réduite ni à la question du manque d’armement – qui reste évident face à l’instrument décisif du régime dictatorial: sa force aérienne – des groupes de l’Armée syrienne libre (ASL), ni à sa relative désorganisation. L’ébranlement des forces ennemies, l’ampleur des défections, les hésitations des «milices» sont déterminées par une cohérence stratégique et par une jonction renforcée avec des larges secteurs de la population. Celle qui souffre le plus – car elle est la cible prioritaire du régime – des bombardements, des arrestations, des tirs de snipers, des actions des chabihas. La jonction entre le politique et le militaire est donc décisive pour limiter l’espace militaro-politique que des groupes «djihadistes», même marginaux, peuvent occuper. Leurs actions – même «spectaculaires» – ne peuvent que faciliter la tactique de division confessionnelle que le régime a toujours utilisée. Divisions, qui dans un tel contexte, peuvent prendre la dimension de «revanches», cela d’autant plus que le conflit dure.

Cette convergence entre le militaire et le politique implique que s’établisse de manière plus claire une cohérence entre les objectifs d’une révolution populaire anti-dictatoriale – renverser le régime tyrannique – et les objectifs d’émancipation nationale et sociale. Cela d’autant plus que l’adhésion populaire a été clairement dictée par la «mixité» entre la crise sociale et la politique d’accaparement de plus en plus accentué de la richesse produite dans un pays pillé au moyen d’une concentration clanique du pouvoir, avec la corruption ainsi que la terreur qui l’accompagnent. Or, l’absence d’une telle convergence se fait terriblement sentir et le prix payé par la population est lourd.

Dans cette perspective, comme le démontrent de nombreux exemples dans l’histoire, l’obéissance à des règles strictes concernant les modalités d’actions – rapports avec la population, refus de tout pillage, exécutions qui prennent l’aspect de vendetta, en un mot l’union entre «activisme civil et militaire» – est décisive pour exemplifier et concrétiser la liaison, l’union entre les buts politiques proclamés – comme ressentis – de la «révolution populaire» et l’action militaire. Cela d’autant plus face à un régime qui est prêt à «tout détruire» pour survivre. Comme le confirmait, le 7 octobre 2012, «un quotidien proche du régime, l’armée syrienne va lancer un assaut final sur Homs et sa province. Les quartiers où sont retranchés les rebelles sont la cible depuis cinq jours d’une offensive généralisée. Des milliers de civils sont pris au piège. Un autre journal pro-régime, As-Saoura, affirme que l’armée régulière a récupéré cinq nouveaux secteurs qui étaient auparavant aux mains des membres de l’Armée syrienne libre. Le quartier visé en particulier par les forces gouvernementales est Khaldiyé. D’après Abou Rami al-Himsi, porte-parole du Conseil de la révolution à Homs, joint par téléphone, les bombardements sur ce quartier sont d’une extrême violence depuis cinq jours, l’aviation larguant même des barils de TNT.» (RFI, 10 octobre 2012) Homs possède une importance stratégique pour Bachar el-Assad. Cette province est la plus grande du pays et elle est frontalière du Liban et de l’Irak.
 La détermination criminelle du régime ressort aussi des descriptions les plus précises faites par Ian Pannel de la BBC. Les bombardements sur la ville d’Alep n’épargnent aucun hôpital civil. Cette «tactique» militaire a aussi pour fonction de créer une situation où une partie de la population a l’impression – bien réelle – qu’elle est piégée entre deux «forces militaires».
Dans ce contexte – où l’oubli aussi bien des racines du soulèvement populaire que de la nature militaro-tyranique de ce genre de régime est commun chez ceux qui se transforment en «spécialistes de géopolitique» – il est d’autant plus important de porter à la connaissance de nos lecteurs et lectrices les réflexions critiques faites par des membres de la Coordination des comités locaux sur les actions de l’Armée syrienne libre (ASL). C’est ce que nous faisons en publiant la traduction de ce texte, paru en arabe le 9 octobre 2012, rédigé par Razan Zeitouneh. (Rédaction A l’Encontre)


Il ne semble pas que des progrès ont été constatés concernant des pratiques de membres de l’Armée syrienne libre dans les régions concernées. Au contraire, tous les appels sont restés lettre morte. Le mécontentement et la détresse vont en augmentant chez les civils et les militants, au point que des manifestations ont eu lieu dans plusieurs régions pour appeler à la réforme de l’Armée Libre, à un changement de comportement envers les civils ainsi qu’envers leurs propres unités.

Il n’est aujourd’hui plus d’aucune utilité de déclarer que telle brigade ou telle autre utilise la révolution en usurpant le nom de l’Armée Libre. Les abus et mauvais comportements sont avérés au sein de brigades et bataillons connus de nous. Mais cette prise de conscience ne suffit pas; il n’est plus tolérable de les laisser pratiquer l’humiliation de civils ou de subir leurs erreurs militaires dans les zones où l’Armée Libre est déployée.

Force est de constater que certains Conseils militaires n’ont presque pas de pouvoir sur leur brigade et leurs officiers, qui eux-mêmes n’en ont pas sur leurs éléments. L’aide tardive qui commence enfin à arriver reste désordonnée, elle passe de main en main de façon anarchique et non coordonnée, à la merci de calculs de toutes sortes et au gré de l’établissement de rapports de subordination.

Pourtant beaucoup de bataillons gardent les mains propres, ont des agissements corrects et des intentions honorables, mais ils n’obtiennent aucun soutien d’aucune sorte, alors qu’une véritable volonté de bien faire les anime; ils pâtissent impuissants des défauts des autres brigades et de leur image négative […].

Ainsi les bataillons formés de volontaires sont soutenus au détriment de ceux formés de soldats ayant fait défection de l’armée; de même les bataillons qui obéissent à une motivation idéologique [1] et qui reçoivent du soutien au détriment de ceux qui ne sont fidèles qu’à la patrie.

Cette anarchie est de mauvais augure qu’on veuille bien le reconnaître ou que l’on préfère se voiler la face. Si nous ajoutons à cela la politique de destruction par le régime des habitations et des biens des civils, au hasard, de l’incendie des commerces et de leur pillage, de la punition et de la torture de ses habitants – cela pousse ces civils à demander le départ des hommes armés de leur région. C’est ce qui est arrivé dans la région de Damas, ses villes environnantes, à Daraa et ailleurs.

Je ne suis pas une experte militaire et j’ignore si le redéploiement des membres de l’Armée Libre hors des villes pour y faire cesser les agissements criminels des forces régulières est envisageable. Je ne me prononcerai pas à ce sujet. Mais l’Armée Libre doit avoir conscience des pressions terribles et des pertes humaines et matérielles inqualifiables que subissent les civils. Il faut qu’elle les aide à faire face à ces pressions. Il faut que certains de ses éléments retournent là d’où ils viennent, là où ils ont évolué des mois durant: la société civile. Car l’ignorance des plaintes concernant les agissements de certains de leurs éléments, l’absence d’un minimum d’organisation ou de coordinations entre bataillons d’une même région et d’un minimum de règles déclarées de comportement à respecter n’est plus tolérable.

Les civils forment l’essentiel des hommes armés, ils peuvent être d’une aide précieuse dans beaucoup de domaines à condition que l’Armée Libre décide d’écouter leurs revendications: la formation de Commissions d’enquête indépendantes formées d’activistes locaux dans chaque région; l’affectation de comités neutres pour recevoir les doléances; permettre aux civils de surveiller les agissements des bataillons concernant leurs vies, leurs biens et leurs libertés individuelles.

Par ailleurs, il est certain que les activistes civils ont manqué à leurs régions respectives quand beaucoup d’entre eux ont abandonné leur rôle, soit pour rejoindre les combattants ou en laissant la gestion des affaires civiles locales aux hommes armés. Les coordinations locales se sont affaiblies, alors que les conseils locaux n’ont pas encore investi leur fonction, même dans les régions déjà libérées.
Dernièrement seulement, et dans des zones limitées, les combattants et les civils ont pris consciences de leur dépendance et ont commencé ensemble à rectifier les choses en s’aidant mutuellement. Mais cela reste une expérience limitée géographiquement de même qu’en nombre de bataillons concernés.

Les appels des civils sont eux-mêmes mal coordonnés dans leurs revendications, désunis quant à leurs orientations et ne présentent pas de solutions concrètes; c’est sur ces points que nous devons porter nos efforts. Mais ces lacunes ne dédouanent pas l’Armée Libre de ses responsabilités; et ne lui donnent pas l’excuse de fermer les yeux sur les plaintes la concernant.
Changez au nom des gens qui vous ont aimés, soutenus, scandés lors des manifestations et protégés dans leurs maisons et dans leur cœur avant que les bombes et le feu ne les atteignent! Vous êtes «les défenseurs de nos demeures»[2]… redonnez sens à cette expression! (Traduit de l’arabe par Jihane Al Ali pour le site A l’Encontre)

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[1] Sous-entendu islamiste.
[2] Citation de l’hymne national syrien qualifiant ainsi les soldats de l’armée syrienne.
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Texte publié sur le site Alencotre.org et paru précédemment le 9 octobre 2012 sur la page Tlena Al Horrieh, publication des Comités locaux de coordination, une des instances de commandement de la révolution syrienne.
Razan Zeitouneh est une avocate syrienne de 34 ans. Elle est engagée dans la défense des prisonniers politiques en Syrie. Recherchée par le régime d’Assad en raison de son engagement pour la démocratie, elle est entrée en clandestinité au début de la révolution après l’arrestation de son mari. Elle a reçu, en 2011, le Prix Anna Politkovskaya, la journaliste russe qui a multiplié les reportages sur la Tchétchénie et a été assassinée le 7 octobre 2006.


Régions kurdes aux environs d’Alep : la libération, les partis et les difficultés du quotidien

En déambulant dans les quartiers de Kobani (Ein Al Arab) dans la région d’Alep on distingue trois drapeaux dans les rues: celui du Kurdistan, celui du Parti de l’union démocratique (PYD), ainsi que celui de la révolution syrienne. Les symboles du pouvoir syrien ont en effet disparu depuis que celui-ci a retiré ses membres de la sécurité et ses hauts fonctionnaires des régions à majorité kurde autour d’Alep au mois de juillet dernier.

Mostapha Habib, paysan (57 ans), nous indique l’ancien siège du parti Baath transformé en entrepôt de livres avant le départ des forces de l’ordre. Il est assis au bord de la fontaine qui se trouve devant le bâtiment et se confie: «Depuis le début de la révolution, j’espérais et je rêvais de la libération de toute la Syrie et de Kobani en particulier, je rêvais que la ville soit gérée par ses habitants.» Ce bâtiment est maintenant entre les mains du PYD, présidé par Jamal Al Sheikh Baqi, qui s’est réparti le contrôle des bâtiments de l’Etat avec les autres partis kurdes.

Manifestation de jeunes kurdes«Tous les services de la sécurité de Kobani ont été chassés, la ville s’est ainsi libérée du régime baathiste, non parce que la région a été livrée aux Kurdes par le régime comme prétendu ici ou là, mais sous la pression populaire des habitants en raison de ce que subissent nos frères syriens dans les autres villes», d’après Kaylo Issa (42 ans), un des dirigeants du parti dans cette ville. «Il n’y avait à Kobani ni armée régulière, ni armée libre; il n’y avait que les Services de sécurité qui ont été évacués.»
Le PYD a évité de détruire les infrastructures de l’Etat de la ville: «Pendant le soulèvement de Mars 2004, nous avons fait la grande erreur de brûler les bâtiments de l’Etat… et pour ne pas reproduire cette erreur nous avons tenté de maîtriser la situation face au vide sécuritaire créé par l’absence des autorités.» Les dirigeants des autres partis kurdes nous ont confirmé cette position de retenue.

«A la libération nous avons chassé tous les baathistes…, nous avons seulement gardé les baathistes fonctionnaires de certaines structures de l’Etat pour que la vie continue son cours», affirme Ismail Kanjo, membre du bureau politique du Parti de Gauche kurde de Syrie. «Même ceux originaire d’autres régions de Syrie nous les avons laissés à leur poste, excepté les membres de la sécurité et de la police qui ont dû quitter Kobani», ajoute Kanjo.

Mais combler le vide laissé par le gouvernement syrien fait ressortir les sensibilités entre les différents groupes politiques. La tension est palpable entre le Parti de l’union démocratique (PYD), lié au PKK, et le reste des partis qui l’accusent de «courtiser» le pouvoir syrien – selon l’expression de Issa qui avoue que c’est le parti le mieux organisé et le plus armé.

Le désaccord avec ce parti concerne également les groupes de jeunes pacifistes, selon l’activiste Zana Kobani qui évoque des accrochages avec jets de pierres et même à l’arme blanche avec des membres du PYD, en raison des différends sur l’organisation des manifestations. «Ces dissensions ont baissé d’intensité depuis la formation du Haut Comité kurde… nous vivons actuellement une sorte de trêve», d’après l’activiste. Ce comité réunit des représentants du Parlement de l’Ouest du Kurdistan, l’une des organisations du PYD, et d’autres du Conseil national kurde qui regroupe la plupart des autres partis kurdes. «Nous organisons nos manifestations de notre côté, et eux du leur, en nous évitant pour ne pas provoquer de confrontation et pour préserver la paix de Kobani», ajoute-t-il.

Le promeneur se rend vite compte de l’étendue de l’influence de ce parti. Les bâtiments que le PYD contrôle et sur lesquels il a érigé son drapeau sont: le nouveau bâtiment du parti Baath, la prison Centrale dont les prisonniers ont été évacués, le commissariat Central, les deux centres de la Sécurité militaire et de la Sûreté aérienne, le Bureau de la Sûreté de l’Etat, ainsi que les logements des officiers.

L’avocat Mohamad Ali Temmo (43 ans) nous révèle qu’alors que les combattants du PYD prenaient possession du tribunal et y érigeaient leur drapeau, les magistrats ont refusé d’y exercer. Le parti a dû enlever sa bannière pour que les magistrats acceptent de reprendre leurs activités; «au détail près que les vrais procès n’ont désormais plus lieu au tribunal, mais se font sous le contrôle du PYD avec l’accord du reste des partis», selon Temmo.

Par ailleurs l’absence des pouvoirs sécuritaire et judiciaire a abouti au renouveau des plantations de cannabis dans la région, traditionnellement présentes à Kobani et ses alentours comme dans le reste de la région d’Alep. «Après la libération de Kobani les partis kurdes ont tenté de maîtriser ce phénomène, mais cela reste compliqué et requiert une force militaire dont les partis ne disposent pas, d’autant que la récolte est déjà terminée à cette période de l’année», d’après Ismael Kanjo. Il fait partie des rares personnes à avoir accepté d’aborder ce sujet sensible avec nous. «L’ironie est qu’à la libération du Bureau de la Sûreté de l’Etat nous avons trouvé des cultures de cannabis dans le bâtiment lui-même!» Kanjo ajoute que les forces locales ont constitué des comités villageois pour remédier à ce phénomène à l’avenir.

Quand nous nous penchons sur la situation économique de Kobani, nous comprenons les raisons du développement de la culture du cannabis: la ville souffre d’un manque très fort des denrées essentielles, en raison de la fermeture du passage frontière avec la Turquie qui s’ajouta aux communications avec Alep, entravées par les combats autour de la métropole.

Samer (25 ans) s’assoit devant le poste de télévision du magasin de matériel électrique dans lequel il est employé pour suivre les informations. Son visage est marqué par l’inquiétude: «Le stock de produits du magasin est en train de tarir. Il n’y a plus rien à Kobani. Nous obtenons un peu de matériel électrique qui nous vient de Turquie a travers le poste frontière de Jarabloss contrôlé par l’Armée libre. Mais nous ne savons pas ce que nous réserve l’avenir.»

La situation des denrées alimentaires n’est pas meilleure que celle des produits électriques. Hamza (40 ans) nous explique, assis dans son épicerie aux étagères seulement pourvues de quelques boîtes de thon, sardines et de mouchoirs: «Plus rien ne nous arrive d’Alep, une provenance essentielle pour notre approvisionnement, sachant que Kobani n’a aucune industrie en raison de la politique discriminatoire du régime syrien envers les Kurdes.» Il poursuit: «Nous comptons exclusivement sur les produits stockés dans les entrepôts, mais nous ignorons jusqu’à quand nous tiendrons avec la quantité qu’il nous reste ou quand la situation d’Alep évoluera; les prix s’envolent… si la situation reste telle qu’elle est plusieurs mois… nous aurons tout consommé et nous n’aurons plus rien.»

La fermeture de la route d’Alep et la pénurie des matériaux de base vont provoquer une grave crise, selon Najm Al Din Kayyat (48 ans), membre de la Commission de travail mise en place par le Haut Comité kurde à Kobani: «Certaines aides nous proviennent de la région de Raqqa, mais nous connaissons une augmentation des habitants de 25% avec l’arrivée des réfugiés, les besoins se sont accrus. La farine nous parvient de Jarabloss, après un accord avec l’Armée libre, mais nous ignorons jusqu’à quand nous pourrons en bénéficier puisque la farine manque maintenant aussi à Alep. C’est pour cela que le Haut Comité kurde, en collaboration avec les organismes de la société civile de Kobani se sont mis en relation avec le Croissant-Rouge pour assurer les denrées alimentaires et médicales.»

Les problèmes de survie sont identiques à Afrine, à l’extrême nord-est d’Alep à la frontière avec la Turquie et qui est sous le contrôle total du PYD. «La pénurie de médicaments et de farine a commencé comme à Alep. Pour cette raison les habitants tentent de construire des moulins pour pouvoir profiter de la farine produite localement afin de continuer à faire du pain», selon Dal Chir (23 ans), membre de la Coordination des Frères Kurdes.

Les habitants de la région de la Jazireh (Mésopotamie), d’origines plus diverses que celles autour d’Alep, se plaignent des mêmes problèmes de pénurie des denrées essentielles.

A Qamishliy, les forces de sécurité sont restées et les affrontements et les tensions ont disparu à l’exception de l’attentat du 30 septembre dernier. Pourtant cette région souffre de la même pénurie à cause de la fermeture des postes frontières avec la Turquie ajoutée à la situation critique d’Alep. «Il y a une cherté de la vie importante et une pénurie de nourriture», d’après l’activiste Mirane Achti (27 ans) originaire de Qamichly. Il ajoute: «Le Haut Comité kurde cherche maintenant des solutions alternatives pour assurer l’approvisionnement de la région notamment à travers le Kurdistan irakien ou à travers la frontière turque.» 

(Traduit de l’arabe par Jihane Al Ali pour le site A l’Encontre; source: http://damascusbureau.org/arabic/?p=3052)
Cet article a été publié sur le site Alencontre.org et la version en arabe est parue sur le site Damascus Bureau



Quelques mots sur le peuple syrien et sa révolution

Par Vince ER, septembre 2012


Je n’ai aucune prétention d’expertise sur la Syrie et sur le dénommé « printemps arabe », je ne lis et ne parle pas leur langue et ne me suis jamais rendu dans ces régions. Pourtant, je pense avoir une certaine expérience militante des mouvements sociaux et je pense savoir reconnaître une révolution là ou certains tentent de la camoufler sous le terme fourre-tout de « guerre civile ». Ces peuples  arabes que l’on se plaisait avec une délectation toute coloniale à dépeindre comme un troupeau inculte tout juste bon à se mobiliser par fanatisme imbécile contre des caricatures danoises ont démontré qu’ils  pouvaient être capables de se battre pour leur dignité, leur liberté, et leur droit. Ces peuples qu’on disait immature pour la démocratie et que l’on se contentait de voir tenu en laisse sous la coupe d’élites nationales corrompues et leurs appareils policiers et militaires ont démontré qu’eux aussi étaient capable d’un élan digne des plus belles pages de l’histoire avec un grand H. Les satrapes tunisiens, égyptiens, libyens et yéménites ont ainsi déjà été balayés par cet élan. D’autres se maintiennent encore par la force et par la ruse mais aucun n’est épargné par le souffle. L’avenir de cet élan se joue actuellement en Syrie où depuis plus d’un an le peuple réclame un le départ de son tyran et le l’abolition de son régime sanglant. Pourtant, là où l’on s’attendrait à un soutien sans faille de la part de la gauche et à fortiori de la gauche révolutionnaire à cette révolution, on constate au mieux une timidité de sa part quand il ne s’agit pas d’une franche hostilité envers les révolutionnaires syriens. Trois maladies séniles de la gauche sont entre autres à l’origine de ce coupable manque de solidarité : le racisme,  le campisme et l’autoritarisme.

Un racisme de type colonial d’abord, braqué sur un vieux fond ethnocentrique européen, une partie du peuple de gauche se révèle incapable de reconnaître aux peuples du tiers monde une capacité propre à inventer des voies de libération hors des stricts concepts issus de la « révolution française » ou du « marxisme orthodoxe ». Ainsi, les révolutionnaires syriens sont tour à tour disqualifiés en raison de leurs références religieuses musulmanes, de la dimension soi-disant ethnique du conflit ou de la manipulation dont il ferait l’objet de la part des pétromonarchies du golfe. La morgue et la suffisance des «experts autoproclamés» ignorant superbement le caractère multiconfessionnel et inter-ethnique revendiqué par le mouvement révolutionnaire syrien, n’a d’équivalent que leur « orientalisme romantique » voyant dans les peuples arabes une version à peine actualisée des « contes des mille et une nuits Â» matinée de « Laurence d’Arabie Â». A cela se rajoute une vision proprement antisémite de la politique internationale au moyen orient réduisant tous mouvements sociaux touchant le monde arabe, à la main occulte d’Israël et de ses alliés états-uniens dénoncés à travers le terme cache-sexe du « complot sionistes ». Cette vision partagée avec l’extrême droite française instrumentalise la cause palestinienne en feignant d’ignorer le soutien officiel des palestiniens notamment à Gaza et des réfugiés palestiniens de Syrie au mouvement révolutionnaire.  Cette thèse prétendument « antisioniste » fait également l’impasse sur le fait que le régime syrien est un de ceux qui a massacré le plus de palestiniens depuis 1948 tout en entretenant un statu quo conciliant avec l’état d’Israël. La facilité avec laquelle les argumentaires de l’extrême droite française, qui a pris fait et cause pour le régime syrien en se faisant le relais de la propagande pro-Assad, se retrouvent dans la bouche et la prose de militants « de gauche » ne cesse d’inquiéter quand à dérive de certains.

Après le racisme anti-arabe teinté d’islamophobie vient le « campisme » binaire et simplificateur pour lequel tout ennemi de mon ennemi est forcément un ami. Ainsi, l’étiquette anti-impérialiste héritée de la guerre froide du régime baathiste syrien « nationaliste et socialiste Â»   est-elle mise à profit pour présenter ce dernier comme le fer de lance de la résistance au projet de grand moyen orient voulu par l’administration Bush. Le fait que le régime syrien ait été un des principaux soutiens de cette administration dans son projet d’invasion de l’Irak et dans sa lutte contre le terrorisme salafiste est ainsi oublié au profit de l’alliance hétéroclite de ce dernier avec la fédération de Russie et la République islamique d’Iran. Ces deux régimes caractérisés par un déficit démocratique et social notable sont mis en exergue comme représentants d’une « troisième voie» pour le moyen orient entre le wahhabisme de l’Arabie saoudite et du Qatar et la domination des Etats-Unis. Cet « anti-impérialisme des imbéciles » nie toute volonté propre au peuple syrien et ignore l’absence complète de cohérence de cette alliance de pure circonstance qui ne vise que la préservation des intérêts géostratégiques locaux de puissances régionales méprisant complètement les aspirations légitimes d’un peuple en luttes. Ce campisme qui fait de la lutte contre l’ingérence des états unis l’alfa et l’oméga de toute politique internationale s’aveugle également sur les retournements de veste qui ont émaillé et émailleront encore la politique de ces diverses puissances dans les développements successifs du mouvement révolutionnaire en Syrie et dans le reste du monde arabe.

Le troisième démon qui possède une partie de la gauche est sans doute le plus pernicieux des trois : l’autoritarisme, c’est-à-dire la faiblesse coupable d’une partie de la gauche pour les solutions non démocratique et les régimes forts. L’obstacle réel pour la gauche constitué par des règles du jeu imposées par la classe dominante lui ont imposé et lui imposeront toujours  de passer outre ses dernières et souvent de passer en force. C’est précisément ce que le peuple syrien est en train de faire. Cependant, cette histoire révolutionnaire avec ses aléas, lui ont parfois fait confondre le moyen pour la fin et ne retenir par exemple de la formule « dictature du prolétariat » que la forme « dictature » qu’a pris rapidement ce gouvernement. Cette confusion des genres a servi de justification aux goulags de tous les régimes du « socialisme réel » et sert encore aux régimes anti-impérialistes latino-américains à justifier leurs entorses nombreuses aux respects des droits fondamentaux. Cette tentation autoritaire permet ainsi à des militants se définissant comme des partisans ardents des droits de liberté d’expression et d’association au sein des démocraties bourgeoises de devenir les meilleurs soutien des pire régimes au regard de ces droits pour peu que ces derniers affichent une façade non alignée sur le capitalisme mondialisé. Cet attachement pathétique à n’importe quel ersatz de bloc soviétique est tout simplement un aveu d’impuissance de la part d’une certaine gauche à peser sur la politique de son milieu d’origine et la recherche d’un échappatoire dans le soutien aveugle à des phantasmes « révolutionnaires exotiques Â», hier le régime libyen du colonel Kadhafi, aujourd’hui le régime syrien de la famille Al Assad, demain peut-être la république populaire de Corée.

Face à ces maladies séniles, il est essentiel pour les mouvements de gauche de se ressaisir et de réactiver la capacité de solidarité qui les animait du temps de la guerre d’indépendance coloniale ou plus près de nous du coup d’état chilien contre le président Allende. Dans ce cadre, il importe de respecter la forme actuelle de la lutte de libération du peuple syrien ainsi que son instrument principal qui en est l’Armée Syrienne Libre. Cette forme si elle est critiquable sur bien des points, il importe de ne pas oublier qu’elle lui a été imposée par la fuite en avant toujours plus violente d’un régime aux abois après plus d’un an de lutte pacifique. Cette lutte, qui n’est pas du tout assurée de sa victoire, nécessite toute notre  solidarité sur le plan humanitaire mais également politiques, y compris dans ses aspects militaires. Il ne s’agit pas de se substituer au peuple syrien dans sa lutte mais de combattre à ses côtés le régime Al Assad et ses soutiens. Cela passe par l’organisation d’actions de solidarité concrète mais aussi par la dénonciation des collusions avec le régime Al-Assad et des calomnies dont est victime le mouvement révolutionnaire dont se rendent responsables une partie des militants prétendument « de gauche ».

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Ghayath Naisse, médecin, vivant en exil, est un militant socialiste syrien du Courant de la Gauche révolutionnaire en Syrie. Il a été l’un des fondateurs du Comité de défense des libertés démocratiques en Syrie (CDF), créé en décembre 1989. Dans cette vidéo, il nous parle de cet immense soulèvement du peuple syrien, de sa nature et surtout son caractère révolutionnaire, des diverses parties de l’opposition syrienne ainsi que des manœuvres des pays impérialistes et leurs alliés dans la région.

Voir ci-dessus