Il y a 50 ans... l’indépendance de l’Algérie
Par Rafik Khalfaoui et Guy Van Sinoy le Jeudi, 18 Octobre 2012 PDF Imprimer Envoyer

En juillet 1962, l’Algérie devenait indépendante après une guerre coloniale cruelle de huit ans qui a fait près d’un million de victimes dans la population algérienne et qui a profondément marqué la France.

L’occupation en 1830

Les troupes françaises ont débarqué en 1830 pour conquérir l’Algérie, pays le plus étendu du bassin méditerranéen et du continent africain. La résistance des populations locales fut acharnée et l’armée française commit de nombreux massacres. Le territoire algérien ne devint pas une colonie, mais constitua, à partir de 1881, trois départements français (Alger, Oran, Constantine). Les autorités françaises considéraient que « la Méditerranée traverse la France comme la Seine traverse Paris ». L’Algérie devint aussi un territoire de peuplement : tous les Européens originaires de pays méditerranéens pauvres (appelés « pieds noirs »), qui émigraient en Algérie obtenaient automatiquement la nationalité française. A partir de l’occupation française, les Algériens seront donc pendant 130 ans des citoyens de second rang dans leur propre pays.

L’insurrection armée du 1er novembre 1954

Encouragé par la déroute de l’armée française en Indochine et lassé par la paralysie du MTLD (le mouvement dirigé par Messali Hadj), un noyau de militants algériens déclenche la lutte armée le 1er novembre 1954 et prend le nom de FLN (Front de Libération nationale). Les autorités françaises répondent par une répression massive et aveugle. A l’époque, Guy Mollet (socialiste) était président du Conseil et François Mitterrand ministre de l’Intérieur.).

L’état d’urgence est d’abord instauré dans les zones montagneuses (Aurès, Kabylie) puis sur l’ensemble du territoire algérien. Les paras quadrillent les villages, perquisitionnent et humilient les civils, interrogent et torturent. Ce qui a pour conséquence de grossir les rangs de l’Armée de Libération Nationale (ALN, branche armée du FLN) qui  passe rapidement de 500 à 15.000 combattants.

Accueilli à coup de tomates à Alger par les pieds noirs qui jugent trop « molle » la conduite des opérations contre le FLN, Guy Mollet rentre à Paris et fait voter par le Parlement les pouvoirs spéciaux, avec le soutien du PCF. L’armée française dispose alors de tous les pouvoirs en Algérie. La répression des civils algériens devient massive et les exécutions sommaires sont monnaie courante. La durée du service militaire en France passe à 18 mois mais certains appelés (dont le nombre passe de 50.000 à 200.000 en Algérie) restent sous les drapeaux pendant 30 mois. Des manifestations d’appelés ont lieu en France.

Tortures, exécutions, hélicoptères, napalm, détournement d’avion

Les effectifs de l’ALN passent progressivement à 50.000 combattants mais les opérations militaires françaises isolent les maquis. Le FLN décide alors, en janvier 1957, de porter la guerre dans la capitale où il déclenche des attentats meurtriers. Le général Massu, qui commande les paras, prend tous les pouvoirs à Alger et organise la chasse aux militants du FLN. La torture des prisonniers se généralise et de nombreux combattants algériens sont assassinés. Parmi eux, Larbi Ben M’Hidi, un des chefs historiques du 1er novembre 1954. A l’automne 1957 les réseaux du FLN à Alger sont anéantis.

Rodée par ses guerres coloniales, l’armée française inaugure de nouvelles techniques militaires : troupes héliportées pour traquer les maquis, bombardement au napalm du village de Sakiet Sidi Youcef à la frontière tunisienne car il abritait des combattants de l’ALN. Les services secrets français organisent le premier détournement aérien de l’Histoire en détournant sur Alger l’avion qui ramenait du Caire vers Tunis Ahmed Ben Bella, dirigeant important du FLN.

1958 : de Gaulle prend le pouvoir

A la faveur d’une crise ministérielle en France, les partisans de l’Algérie française prennent d’assaut le siège du gouvernement général à Alger, « deuxième ville de France ». Massu prend la tête d’un Comité de Salut public et signifie au Président de la République qu’il veut la formation d’un gouvernement de Salut public. La IVe République française agonise et le général de Gaulle prend le pouvoir avec le soutien de l’armée et des partisans de l’Algérie française. Le 28 septembre 1958, de Gaulle fait approuver par référendum la constitution bonapartiste de la Ve République et est élu président en janvier 1959. Il se prononce en octobre 1959 pour une « Paix des braves » et pour l’autodétermination en Algérie car il a compris que le système de domination française en Algérie est intenable à long terme. La rupture avec les partisans de l’Algérie française se fera en janvier 1960 lorsque de Gaulle limoge Massu. En avril 1961, quatre généraux de l’armée française à Alger tentent un putsch militaire qui échoue. Les activistes de l’Algérie française créent une organisation terroriste d’extrême-droite, l’OAS (Organisation armée secrète), qui assassinera en Algérie et en France les militants du FLN et les gaullistes. De Gaulle sera lui-même la cible d’un attentat.

L’ALN, l’armée des frontières, le GPRA

Sur le terrain, l’armée française isole de plus en plus les maquis de l’ALN en posant des barrières électrifiées le long des frontières marocaine et tunisienne. Les maquis sont isolés de l’armée des frontières dirigée par Houari Boumedienne, isolés des dirigeants du FLN arrêtés avec Ben Bella, isolés du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) qui siège au Caire. A partir de juin 1960, des négociations secrètes commencent entre les autorités françaises et le GPRA. En janvier 1961, de Gaulle organise un référendum sur l’autodétermination de l’Algérie qui obtient 75% de oui (70% en Algérie).

La répression ne s’arrête pas pour autant. En octobre 1961, la police parisienne assassine une centaine de manifestants algériens (abattus en rue, noyés dans la Seine, tabassés à mort dans les commissariats) sans que rien ne filtre dans la presse française. En mars 1962, les négociations avec le GPRA aboutissent aux Accords d’Evian (cessez-le-feu, référendum sur l’indépendance de l’Algérie).


L’indépendance

L’indépendance de l’Algérie est ratifiée par référendum (en France le 8 avril 1962, en Algérie le 1er juillet) et est proclamée le 5 juillet. A Alger, où l‘OAS multiplie les attentats meurtriers contre les civils algériens, la situation se tend. A partir d’avril commence l’exode massif des pieds noirs vers la métropole. Le GPRA, qui doit normalement assurer la transition, est mis de côté par Ben Bella, avec le soutien de Boumedienne. Ben Bella sera à son tour renversé le 19 juin 1965 par un coup d’Etat de Boumedienne.


Les indépendantistes algériens et le mouvement communiste français

Le mouvement nationaliste algérien a pris naissance au cours des années vingt. En 1925, le PCF  défendait la ligne politique révolutionnaire et anticolonialiste de l’Internationale communiste et menait activement campagne contre la guerre du Rif, au Maroc. Messali Hadj, jeune militant algérien adhéra au PCF et participa, sous le patronage de l’Internationale communiste, à la fondation de la première organisation indépendantiste algérienne, l’Etoile Nord-Africaine, dont il devint secrétaire. En 1929, l’Etoile Nord-Africaine comptait déjà 4.000 membres, mais le PCF stalinisé abandonna la lutte anticolonialiste et les tribunaux procédèrent à la dissolution de l’Etoile Nord-Africaine. En 1934, Messali Hadj fut condamné et emprisonné pour « tentative de reconstitution de ligue dissoute ». A l’époque du Front populaire, la rupture avec le PCF devint totale car ce dernier se rallia ouvertement au colonialisme (1).

Le 8 mai 1945 à Sétif (Algérie), la ville était pavoisée et la population manifestait pour fêter la fin de la Deuxième Guerre mondiale. 10.000 personnes défilaient avec les drapeaux alliés, mais aussi avec des pancartes « Libérez Messali Hadj ! », « Indépendance ». Un policier abat soudain un manifestant qui brandissait un drapeau algérien. La manifestation tourne à l’émeute et une centaine d’européens sont tués. En représailles, l’armée française extermine toute la population (hommes, femmes, enfants) des villages considérés comme « rebelles », faisant 45.000 morts. Le PCF qualifie dans sa presse les nationalistes algériens « d’hitlériens ». Entre les indépendantistes algériens et le mouvement ouvrier français, la rupture est définitivement consommée.

Note:

(1) « Rappelant une formule de Lénine, nous avons dit aux camarades tunisiens, qui nous ont approuvé, que le droit au divorce ne signifiait pas l’obligation de divorcer. Si la question décisive du moment, c’est la lutte victorieuse contre le fascisme, l’intérêt des peuples coloniaux est dans leur union avec le peuple de France, et non dans une attitude qui pourrait favoriser les entreprises du fascisme et placer, par exemple, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc sous le joug de Mussolini ou de Hitler, ou faire de l’Indochine une base d’opérations pour le Japon militariste. » (Maurice Thorez, Rapport au 9e Congrès du PCF, décembre 1937)


« Porteurs de valise » en France... et en Belgique

En France, des intellectuels, des militants chrétiens, anarchistes et trotskystes apportèrent leur aide au FLN en hébergeant des militants clandestins, en transportant les cotisations collectées par le FLN auprès de l’émigration algérienne (les « porteurs de valises »). Malgré ses forces restreintes, la 4e Internationale participa à ces réseaux de solidarité. Michel Pablo, secrétaire de l’Internationale, et Sal Santen furent emprisonnés pour avoir fourni des faux papiers et de la fausse monnaie au FLN. En 1959, un groupe de militants ouvriers de la 4e Internationale installa une usine d’armement au Maroc. Des milliers d’armes y furent fabriquées pour le FLN.

En Belgique aussi, certains aidèrent le FLN. Des avocats progressistes (Serge Moureaux) assuraient la défense de militants algériens qui risquaient la peine de mort. D’autres s’engagèrent dans l’action clandestine: hébergement de responsables FLN, passages de frontières, etc. Une organisation terroriste d’extrême-droite adressa un colis piégé à notre camarade Pierre Legrève en raison de son engagement aux côtés du FLN. Heureusement la bombe n’explosa pas. Un autre colis piégé, par contre, explosa à Liège et tua le professeur Laperche. Des activités publiques de soutien furent mises sur pied, notamment un meeting de soutien à la cause algérienne, avec Jean-Paul Sartre, qui rassembla plus de 6.000 personnes à Bruxelles.


Livres et DVD sur la guerre d’Algérie

Anthologie de textes sur la guerre d’Algérie

La guerre d’Algérie, Mohammed Harbi et Benjamin Stora, Ed. Hachette Pluriel, Paris 2005.


Sur l’aide apportée en France au FLN

Les porteurs de valise, Hervé Hamon et Patrick Rotman, Ed. Albin Michel, 1979, Paris


Sur l’aide apportée en Belgique au FLN

Le Front du Nord, des Belges dans la Guerre d’Algérie, Jean-L. Donex et Hugues Lepaige, Ed. Pol-His, Bruxelles 1992.


Romans qui ont pour contexte la Guerre d’Algérie

Elise ou la raie vie, Claire Etcherelli ; Meurtres pour mémoire, Didier Daeninckx.


DVD

La bataille d’Alger, film (121 min) de Gilles Pontecorvo, sélection officielle au Festival de Cannes 1964, DVD diffusé par www.studiocanal.com


Cet article a été publié dans La Gauche n° 59 de septembre-octobre 2012 

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