Été pourri, changement climatique et austérité
Par Daniel Tanuro le Dimanche, 15 Juillet 2012 PDF Imprimer Envoyer

Une des manifestions attendue des changements climatiques est la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes : sécheresses, vagues de chaleur ou de froid, précipitations abondantes et violentes, tempêtes et cyclones. Les événements de ce type sont de plus en plus fréquents à l’échelle mondiale et l’année en cours en donne une nouvelle illustration, avec des inondations graves au Japon, une vague de chaleur et de sécheresse aux Etats-Unis (état d’alerte décrété dans 26 Etats) et un temps anormalement froid et pluvieux sur une bonne partie de l’Europe, succédant à un hiver très froid également.

Quoique la tendance à la multiplication de ces phénomènes soit d’une manière générale parfaitement en phase avec les projections du GIEC, il était jusqu’à présent impossible de dire si tel ou tel événement particulier était attribuable ou non au réchauffement global. Le système climatique étant extrêmement complexe, des écarts par rapport à la normale peuvent toujours se produire et certains d’entre eux sont parfois fort importants. Les climato-sceptiques ont beau jeu de se réfugier derrière cette réalité pour banaliser les événements. Ils ne sont pas les seuls : les gouvernements s’en saisissent pour fuir leurs responsabilités et escamoter celle du lobby des énergies fossiles.

Cette situation est peut-être en train de changer. Grâce à des systèmes de simulation plus puissants, l’Office météorologique du Royaume Uni (MET Office) et l’Administration Nationale des Océans et de l’Atmosphère des Etats-Unis (NOAA) sont parvenus à démontrer que certains phénomènes extrêmes des dernières années étaient plus que probablement attribuables au réchauffement global. C’est le cas pour le mois de novembre 2011 en Grande-Bretagne (le second plus chaud depuis le début des relevés dans ce pays, en 1659) : il y a soixante fois plus de chance qu’il soit dû au réchauffement global qu’à une oscillation naturelle du système climatique. Le rapport est de 20 à 1 dans le cas de la sécheresse au Texas en 2011. Par contre, les chercheurs estiment que l’hiver qui a fait grelotter l’Europe en 2010-2011 rentre dans le cadre d’oscillations météo normales et que les inondations en Thaïlande en 2011 s’expliquent par une mauvaise gestion des cours d’eau.

En ce qui concerne l’été pourri sur une bonne partie de l’Europe, il est trop tôt pour tirer des conclusions fermes. Il semble dû au fait que le jet stream (vents violents à haute altitude) au-dessus de l’Atlantique se situe à une latitude plus basse que la normale saisonnière. Ce phénomène pourrait expliquer à la fois la vague de chaleur aux USA et le temps froid et pluvieux de ce côté-ci de l’océan. Certains chercheurs estiment que la position anormale du jet stream cet été pourrait être due à la fonte de la banquise dans l’Arctique, qui perturbe le système des vents dans cette région. Dans ce cas, des étés comme celui-ci pourraient devenir plus fréquents…. mais ce n’est encore qu’une hypothèse.

En attendant, les inondations outre-Manche montrent une fois de plus que les effets des changements climatiques ne sont pas limités aux pays du Sud, même si ceux-ci sont les plus menacés. Ils montrent aussi l’irresponsabilité des gouvernements. Dans « L’impossible capitalisme vert », j’avais pris la Grande-Bretagne comme exemple du fait qu’une catastrophe analogue à celle de la Nouvelle Orléans pourrait se produire en Europe également. On n’en est évidemment pas là, mais, à terme, la menace est réelle. Je citais le rapport « Future Flooding ». Rédigé en 2004 par l’Office of Science and Technology, il estimait entre 2,6 et 3,6 le nombre de gens menacés par les inondations accrues du au changement climatique, à l’horizon 2080 (plus 700.000 exposés aux risques des inondations intra-urbaines dues aux averses violentes). Une augmentation considérable dont il faudrait tirer notamment comme conclusion la nécessité de renforcer le système des digues. Le gouvernement ne l’a pas fait. Au contraire, dans le cadre de son programme néolibéral de coupes budgétaires drastiques, l’équipe du Premier Ministre David Cameron a réduit les investissements dans ce secteur.

Selon le Guardian du 14 juillet, 294 projets de renforcement des digues qui auraient dû commencer en 2010 ont été abandonnés parce que les financements prévus n’ont pas été octroyés. Le pouvoir avait été prévenu : en 2007, après des inondations dévastatrices, un rapport officiel (the Pitt review) concluait que les dépenses contre les inondations côtières et fluviales devaient augmenter chaque année. Elles ont effectivement grossi de 33% entre 2007 et 2010… puis diminué de 25% en un an dès que Cameron est entré au 10, Downing street. Lors des négociations sur les « budget cuts », la secrétaire d’Etat à l’Environnement, Caroline Spelman, a fait preuve d’un zèle remarquable en proposant que les moyens de son département soient réduits de 33%.

Une bonne partie de ces mesures d’austérité ont frappé le secteur stratégique des digues. En guise de compensation, Caroline Spelman misait sur la participation du privé aux investissements, à travers des « partenariats privé-public » associant notamment… les promoteurs immobiliers, toujours avides de terrains à bâtir, y compris dans les zones inondables. Mais ces « PPP » n’ont rapporté que 2,7 millions de livres, une somme dérisoire…

Des milliers d’habitations ont été inondées ces dernières semaines en Grande Bretagne. Les dégâts se chiffrent en millions de livres. Les compagnies d’assurance seront loin de les couvrir intégralement. Les revenus modestes sont les plus touchés : ils sont les plus nombreux à habiter les zones exposées, et n’ont pas les moyens de prendre une assurance complémentaire. Le gouvernement invoque évidemment la malchance d’un été calamiteux. Mais quand l’eau monte du fait que les émissions de gaz à effet de serre augmentent (parce que le lobby énergétique ne veut pas réduire ses profits), et que les budgets baissent (parce que l’argent public sert à éponger les pertes des financiers), ce n’est pas « la nature » qui est à accuser, mais le capitalisme.


 

 

 

 

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