A propos de la crise du NPA
Par Catherine Samary, Michael Löwy le Mardi, 10 Juillet 2012 PDF Imprimer Envoyer

Le Nouveau Parti Anticapitaliste a été fondé en 2009 suite à la décision de la Ligue Communiste Révolutionnaire de se dissoudre pour fonder un parti anticapitaliste large. Cette décision sans précédent la LCR française l’a prise suite à la campagne présidentielle de 2007, où son candidat, Olivier Besancenot, rassembla sur son nom près d’un million et demi de voix, ce qui le plaçait nettement en tête des candidat(e)s à gauche du Parti Socialiste : Dominique Voynet (Les Verts), Marie-George Buffet (PCF) et José Bové - qui prétendaient pourtant incarner l’unité dans la campagne pour le « non » lors du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen. La victoire d’Olivier confortait la politique de la LCR qui, après cette victoire du « non », avait fait du refus de toute collaboration gouvernementale avec le PS la condition d’une candidature unitaire de la gauche antilibérale. Etant donné l’absence de partenaires pour lancer un regroupement de la gauche radicale, la LCR décida de prendre seule ses responsabilités politiques.

Cependant, après des débuts prometteurs, le NPA fut très rapidement confronté à la concurrence du Parti de Gauche créé par Jean-Luc Mélenchon, et surtout du Front de Gauche (FdG)- que l’ex-ministre de Mitterrand fonde dans la foulée avec le Parti Communiste et quelques dissidents de l’ex-LCR. Lors des élections européennes de 2009, le NPA recueillit 4,88% des suffrages et rata de peu un ou deux sièges à Strasbourg. Le Front de Gauche l’emporta sur le fil. Depuis lors, les difficultés s’accumulent pour le NPA.  Le parti a joué un rôle important dans le mouvement contre la réforme des retraites, notamment,  mais il ne parvient plus à traduire cette influence en termes électoraux. Le Front de Gauche joue à fond la carte de l’unité, Mélenchon occupe l’espace médiatique et le PCF, grâce à lui, reprend des couleurs... Les membres du NPA se divisent profondément sur la réponse à apporter. Le nombre de membres diminue rapidement.

Depuis la campagne présidentielle de mai 2012, la crise est ouverte. Le NPA présentait la candidature de Philippe Poutou, ouvrier de l’automobile. Des dirigeants du courant Gauche Anticapitaliste, qui plaident pour l’intégration du NPA au FdG, appelèrent ouvertement à voter Mélenchon. Suite à la Conférence nationale du NPA les 7 et 8 juillet, dix-sept membres de la Gauche Anticapitaliste, issus de la LCR – et qui ont participé à la fondation du NPA – ont publié sur Mediapart une tribune où ils annoncent rejoindre le Front de Gauche, sans attendre le congrès du NPA prévu pour la fin de l’année. Pour ces camarades, le fait que le PCF -dominant dans le FdG- ait décidé de ne pas participer au gouvernement Hollande ouvre la possibilité d’un vaste regroupement avec une dynamique vers la gauche, semblable à ce qui s’est passé avec Syriza en Grèce. En refusant de s’y rallier, le NPA mènerait une politique sectaire et isolationniste, selon eux.

Cette décision de scission ne fait pas l’unanimité parmi les militants du courant Gauche Anticapitaliste, notamment parmi les ex-membres de la LCR en son sein. Nous publions ci-dessous une lettre dans laquelle Catherine Samary explique pourquoi elle n’a pas signé cette tribune. Nous reproduisons aussi un texte qu’elle avait écrit avec Michael Löwy pour le débat préparatoire à la Conférence nationale du NPA, et auquel elle se réfère dans sa contribution du 9 juillet 2012. La LCR-SAP (Belgique) a pris position sur le FdG dont elle a analysé le programme, et apporté son soutien à la campagne présidentielle de Philippe Poutou. Nous espérons que l'évolution des luttes contre l'austérité permettra de refaire l'unité de celles et ceux qui défendent la nécessité d'une issue anticapitaliste à la crise et refusent toute cogestion de celle-ci. LCR-Web



NPA et FdG : Pourquoi je ne signe pas la tribune des « ex » LCR/GA de Médiapart ?

Par Catherine Samary


Sollicitée, comme ancienne membre de la direction de la LCR, j’ai refusé de signer cette tribune [1dès avant la CN des 7 et 8 juillet – mais a fortiori après...

Avant même la CN, Michael Lowy et moi (qui sommes aussi des « ex » LCR de longue date) avons écrit dans une contribution (reproduite ci-après) pour les débats préparant la CN des 7-8 juillet du NPA : « nous ne pensons pas qu’une démarche pour une entrée constructive dans le FdG et de regroupement des anti-capitalistes, justifie de quitter le NPA -surtout dans les prochains mois, sans élections... Nous voulons quant à nous mener le débat du congrès – à l’automne – pour discuter des causes de la crise du NPA, de ses atouts et carences comme de celles des expériences alternatives, de leur faiblesse dans les quartiers populaires et face au FN. Nous sommes pour un pluralisme d’appartenances « en transition » combattant les sectarismes quand aucun cadre n’est pleinement satisfaisant ».

Mais, je ne signe pas cette tribune également pour certains aspects de ce qu’elle dit et ne dit pas., et en fonction du bilan de la CN.

D’une part, ce texte porte des jugements de court terme et superficiel, mettant trop l’accent sur des résultats électoraux dans un contexte spécifique, aussi bien concernant la gauche radicale que le FdG, marqué par l’ampleur du vote utile, des difficultés des luttes sociales et en particulier européennes. Il y aurait beaucoup à réfléchir sur l’importance des abstentions dans la jeunesse et les quartiers populaires aux législatives – une fois écarté Sarkozy. Elles témoignent du fait que, pas mieux que la gauche radicale, le FdG n’a capté ces populations de façon attractive et militante. La façon de combattre le FN est également un enjeu majeur à débattre, concernant toutes les composantes de la gauche de la Gauche, sans exception – GA incluse.

Or, une ligne de fait émerge de la tribune avec deux facettes articulées : « hors du FdG, point de salut » et « les jeux sont faits – la bataille est perdue dans le NPA ». Les deux sont discutables et se synthétisent par une formulation : la bataille pour l’entrée au FdG ayant été perdue à la CN (en guise d’analyse...) « comme on pouvait s’y attendre », on quitte le NPA...
Le glissement est clair : l’accord sur l’entrée dans le FdG est devenu le discriminant essentiel des analyses politiques et du jugement porté sur le NPA.

Ceci serait convaincant si le FdG était (déjà) le front social et politique que l’on souhaite qu’il devienne... L’attitude face à Syriza en Grèce serait déjà un peu plus crédible, mais là encore on est face à des périodes trop courtes et des critères trop limitatifs pour des bilans convaincants.

Le téléscopage entre ce que l’on veut et ce qui est (concernant le FdG) s’est produit lors de la campagne de JLM – poussant quelques dirigeants et signataires de cette tribune à faire le saut : l’appel à voter JLM contre le candidat Poutou du NPA – au risque d’affaiblir considérablement la crédibilité de la bataille sérieusement menée au sein du NPA par d’autres membres de la GA, sans respecter des choix collectifs. L’Histoire nous mordait la nuque... Le Front de Gauche était déjà Syriza, si ce n’est mieux. Il fallait « prendre ses responsabilités » ?

Mais si la campagne de JLM a ouvert des fenêtres importantes à gauche du PS, et si même, la faiblesse des résultats électoraux du FdG élargit une certaine potentialité de positionnement indépendant du PS – et un intérêt pour l’entrée de la GA – on est loin de voir encore le FdG impulser les luttes et l’auto-organisation sans avoir peur de déborder le PS... Des contradictions existent qui peuvent permettre de peser sur l’abstentionnisme du PCF et le bureaucratisme de ses élus... Mais on est loin des transformations démocratiques et militantes qu’il faut encore tester.

Je partage tout à fait l’idée de la GA qu’il ne faut pas rester commentateur extérieur – et suis donc pour l’insertion offensive de la GA dans le FdG – mais il n’est pas démontré que les défiances et le scepticisme envers le FdG relèvent seulement du sectarisme organique, et que l’idée qu’on peut davantage faire bouger le FdG de l’extérieur que de l’intérieur soit totalement dénuée de sens.

C’est le deuxième volet contestable de la tribune – le bilan du NPA.

Il n’était pas démontré avant la CN que le sectarisme dominait désormais et de façon irréversible.

L’émergence de la plate-forme F impulsée par OB [Olivier Besancenot] a fait plaisir à une partie de la GA la percevant comme un possible tournant – quand elle inquiétait une autre (parlant de manœuvre et de poudre aux yeux visant à diviser seulement la GA...). Il est certain que les positionnements au sein de la F étaient eux-mêmes hétérogènes, plus « tacticiens » pour les unEs que pour les autres. Mais le problème n’était pas d’attendre un changement de jugement sur le FdG au point d’être d’accord pour y entrer... Le point politique important était la capacité à ouvrir les yeux sur l’évolution du FdG, l’impact et les qualités de la campagne de JLM, les contradictions internes ouvertes, et l’importance des positionnements nouveaux face au PS... Le scepticisme reste légitime pour la suite. L’important n’est pas là : il est dans l’acceptation d’une démarche politique qui teste les évolutions et tente de modifier les rapports de force de façon unitaire et politique... C’est cette démarche qu’ouvre la plateforme F – et c’est important.

Les votes et interventions de la CN ont plutôt confirmé que les tentatives des courants E, H et I de réaliser un vote « anti GA » (anti-front avec le FdG) majoritaire – et donc de remettre en cause l’orientation de la plate forme F, ont échoué – cette dernière se légitimant en outre par un vote majoritaire.

Le climat de la CN a plutôt confirmé à mes yeux qu’on n’était pas loin de pouvoir justifier une autonomisation de la GA dans une logique d’expérimentation de sa ligne (évidemment refusée) et non pas de scission – avec bilan d’ici quelques mois pour faire avancer et apaiser les débats.

Mais avec, entre temps, 1°) des débats de fond à mener sur le bilan du NPA et de sa crise - loin de l’aveuglement supposé ; 2°) une ligne majoritaire du NPA (incarnée par la plateforme F impulsée par OB) de « front avec le FdG ».

En tout état de cause celle-ci devrait être appliquée et impliquer toute la gauche de la Gauche sociale, associative et politique y inclus le FdG, dans des collectifs unitaires de campagne pour l’audit de la Dette et contre le pacte d’austérité européen – prolongeant le « non de gauche » des collectifs unitaires de 2005, contre le non de droite du FN. Car l’enjeu principal au NPA, en-deçà de l’entrée au FdG, était de savoir si une démarche unitaire pouvait être menée et tentée avec le FdG – quels que soient les pronostics des uns et des autres sur l’évolution de celui-ci à plus long terme : le test devait être l’action politique menée en commun, accompagnée de débats stratégiques, et non pas l’étiquetage figé et le révolutionnarisme arrogant qui fait la chasse aux réformistes dans le NPA depuis sa formation.

Il n’y a pas de certitude. Ni sur l’avenir du FdG, ni sur celui du NPA et l’issue des débats de congrès – ni sur le contour de la formation politique à faire émerger pour rendre efficaces les anti-capitalistes...

L’ex-LCR et le NPA ont incorporé des richesses et expériences, mais beaucoup de débats mal menés et d’échecs sur tous les enjeux – anciens et nouveaux. Mais l’essentiel des débats analytiques et programmatiques nécessaires est devant nous, à mener bien au-delà et en-deçà de l’enjeu du FdG : il faudra des mises à plat sur réformes et révolutions, sur les questions de l’éco-socialisme du XXIè siècle, sur les atouts comme les incertitudes et les faiblesses de la situation actuelle et des problèmes stratégiques redoutables et nouveaux qu’elle soulève (du national au planétaire en passant par l’Europe) ; il faudra un retour sur les expériences accumulées par tous ceux et celles qui n’acceptent pas l’ordre existant comme horizon incontournable, et proviennent de diverses traditions politiques. Cela concerne encore tout le NPA et les diverses composantes qui se situent dans la gauche de la Gauche, dans ou hors le FdG...

Mais il est très abusif de prétendre incarner (s’approprier) la richesse et les traditions de la LCR à partir du discriminant que serait l’entrée dans le FdG, dans les conditions actuelles.

Camaradement...

Catherine Samary, 09/07/2012

[1 Voir sur ESSF (article 25800), Pourquoi nous allons rejoindre le Front de gauche.

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De Syriza au Front de Gauche et au NPA – en défense d’une logique « transitoire »... 

Texte de débat pour la CN du NPA des 7 et 8 juillet 2012


Syriza a ouvert une bataille politique historique dans/contre cette UE en crise. Son rejet radical du Mémorandum de l’UE, en défense de droits sociaux pour tous les peuples européens – au risque d’être éjecté de l’UE – impose que des plans « indiscutables » devront être révisés. Mais il faut d’autres Syriza pour atteindre une cible européenne à la fois contre les pouvoirs du système bancaire européen et le dumping social et fiscal, pour des plans sociaux et écologiques et contre les réponses nationalistes xénophobes.

Syriza incorpore des expériences nouvelles et anciennes articulant mobilisations extra-parlementaires et progression considérable d’un front dont les élus proviennent des luttes populaires et pourront en retour les amplifier -jusqu’aux victoires et futures assemblées constituantes légalisant de nouveaux droits....

Le NPA et toute la gauche radicale devraient y être attentifs et nouer des dialogues et actions communes partout en Europe.

Certes les fronts politiques où cohabitent et agissent ensemble des formations politiques de cultures diverses réformistes ou radicales peuvent être précaires : l’opposition commune aux politiques dominantes, ne donne pas des réponses stratégiques faciles ; la conscience des enjeux est évolutive – et c’est pourquoi les frontières entre réformistes et révolutionnaires ne sont pas pré-établies. L’efficacité de tels fronts dépendra de leur capacité à stimuler l’auto-organisation des populations sur des objectifs concrets en conflits avec les institutions et critères dominants : le rapport de force gagné dans des victoires partielles permet d’aller de l’avant.

Telle est l’orientation politique que le NPA devrait défendre en direction voire au sein même du FdG, tout en gardant son autonomie, si celui s’ouvre en affirmant son indépendance envers le PS. Nous partageons la conviction de la GA qu’il faut s’efforcer de construire un pole Rouge et Vert et de transformer le FdG en un large front social et politique impulsant des résistances au social libéralisme au racisme et à la xénophobie. La porte est étroite entre révolutionnarisme impuissant et glissement vers un soutien peu critique du PS, mais la campagne contre les plans d’austérité européens devrait être un creuset pour un front d’action et de débats impliquant toute la gauche de la Gauche – dont le NPA et le FdG.

Nous ne pensons pas qu’une démarche pour une entrée constructive dans le FdG et de regroupement des anti-capitalistes, justifie de quitter le NPA -surtout dans les prochains mois, sans élections... Nous voulons quant à nous mener le débat du congrès – à l’automne – pour discuter des causes de la crise du NPA, de ses atouts et carences comme de celles des expériences alternatives, de leur faiblesse dans les quartiers populaires et face au FN. Nous sommes pour un pluralisme d’appartenances « en transition » combattant les sectarismes quand aucun cadre n’est pleinement satisfaisant.

Michael Löwy NPA Paris 11e

Catherine Samary NPA Paris 18e

Les deux articles ont été publiés sur le site www.europe-solidaire.org


Voir ci-dessus