Les confidences éclairantes du futur ex-président de la CSC
Par Aristide Filoselle le Lundi, 26 Décembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Il n’est pas de sauveurs suprêmes :

Ni Dieu, ni César, ni Tribun.

Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes;

Décrétons le salut commun.

(L’Internationale)

Luc Cortebeeck semble en phase avec le « gouvernement papillon ». Il a attendu d’avoir 62 ans avant de prendre anticipativement sa retraite en quittant la présidence de la CSC ! Ce petit clin d’œil  à une actualité sociale passablement bousculée n’est finalement pas si fortuit que cela. L’intéressé vient, en effet, d’accorder un entretien au quotidien La Libre Belgique (24/12/2011), et les propos qu’il y tient sont extrêmement révélateurs d’une conception d’un syndicalisme à vocation co-gestionnaire, qui privilégie des convergences avec les dominants et qui cultive certaines attitudes complaisantes. Exagération de notre part ? Démonstration, en douze points.

1.      Sans surprise, Luc Cortebeeck vante les mérites de son organisation syndicale, entièrement orientée vers la « concertation »,  et qui n’envisage des actions que lorsque toutes les autres possibilités ont été épuisées.

2.      Les actions décrétées le sont avant tout pour éviter de perdre le contrôle de la base ; elles ne sont pas conçues pour gagner : « Cela fait un petit moment qu’on sent la tension monter. C’est pour cela qu’on avait organisé une concentration des affiliés le 15 novembre et une grande manifestation, le 2 décembre. On voulait canaliser les rancœurs. ».

3.      Il reproche surtout au gouvernement sa méthodologie brutale (à l’image du ministre des pensions), moins le fond de son programme : « Je ne comprends pas comme on a pu laisser monsieur Van Quickenborne avancer comme il l’a fait. Sans égard pour les interlocuteurs sociaux. Sans calendrier pour la concertation. J’ai travaillé 40 ans dans le syndicalisme. Je n’ai jamais vécu cela. Même durant la période des pouvoirs spéciaux dans les années 80, il y avait des contacts avec les employeurs, avec les syndicats  (…) Il faut ramener les syndicats dans le jeu. Et ne pas exagérer. Car il y a, dans le programme du gouvernement, des mesures qui sont acceptables. ».

4.      En ignorant la concertation et en ne respectant pas les traditions, le gouvernement favorise la gauche (syndicale) en lui offrant des perspectives de débordement de l’appareil : « Le gouvernement a refusé la concertation. Les affiliés l’ont compris. Ils nous ont alors doublés par leur gauche ».

5.      Les organisations syndicales sont un intermédiaire (un « filtre ») entre les travailleurs et les décideurs, qui peuvent accompagner et amortir (« arrondir les angles ») les politiques mises en œuvre. Il serait donc dangereux de les mettre hors-jeu !

6.      Luc Cortebeeck est fier de son bilan de « concertateur » en chef et il préfère oublier les mouvements de contestation de ses propres militants contre les politiques orchestrées hier par différents gouvernements : « durant ma présidence, beaucoup de réformes ont été menées à bien. On a mis en place le système du crédit-temps, que le gouvernement est en train de détricoter et qu’il reconstruira sûrement ensuite, on a amélioré le pacte des générations, on a appliqué la norme salariale, on a trouvé un accord sur la présence des syndicats dans les PME, on a relevé le salaire minimum, on a obtenu la liaison des allocations sociales au bien-être, on a imaginé des mesures anti-crise qui ont été louées à l’étranger. Tout cela grâce à la concertation sociale. Et l’on croit qu’on peut aujourd’hui se passer des interlocuteurs sociaux ? ».

7.      Face à l’hégémonie du néo-libéralisme, le syndicalisme doit évoluer vers  un syndicalisme de service  qui comprend les réalités d’une société plus égoïste : «Le syndicalisme est né à l’époque de l’industrialisation. Mais maintenant l’économie est mixte. Les services ont pris une part prépondérante. Le syndicalisme doit mieux en tenir compte. Et puis, les gens ont changé. La société s’est individualisée. Les syndicats doivent mieux répondre aux besoins des affiliés, à leurs questions».

8.      La droite classique n’est pas nécessairement hostile aux syndicats et reste fréquentable On peut donc discuter avec elle, à l’image du parti de… Vincent Van Quickenborne : « L’Open VLD n’est pas vraiment hostile aux syndicats. Il est pragmatique ». Ce que chaque militant a pu vérifier dans la pratique, suite à la charge menée par la tête de pont libérale (parfaitement soutenue par ses partenaires) à la Chambre et au Sénat ! Le leader syndical pense peut-être qu’il suffit de brandir l’épouvantail de la NVA pour justifier sa connivence avec des forces politiques traditionnellement hostiles au mouvement ouvrier?

9.      Luc Cortebeeck se réjouit du succès de son syndicat : « En tout cas, nous, nous ne nous affaiblissons pas. Nous avons encore gagné des membres, un peu en Flandre, et beaucoup à Bruxelles et en Wallonie - grâce à une économie plus dynamique. Et la relève est là. La CSC compte 280 000 affiliés de moins de 25 ans. Les gens sont là. Ils payent leur cotisation. Ce n’est pas rien ». Comme si l’objectif d’une  organisation syndicale était de gagner des parts de marché plutôt que de faire preuve d’efficacité pour défendre les intérêts collectifs des travailleurs salariés, actifs ou inactifs!

10.  La CSC ne doit pas être confondue avec la FGTB : « Nous travaillons bien ensemble. Mais nous sommes des organisations vraiment différentes. Dans nos objectifs. Dans la manière de travailler. Dans notre organisation interne. Et ces différences se marquent évidemment plus dans les moments difficiles ». Il est vrai que les élections sociales approchent et que la CSC aime se distinguer d’un concurrent catalogué plus à gauche , et entretenir ainsi une image de modération et de responsabilité !

11.  Luc Cortebeeck part à la retraite après douze années de règne au sommet durant lesquelles il a vu défiler «5 présidents de la FGTB, 5 présidents de la FEB, 5 ministres de l’Emploi, 4 Premiers ministres ». Mais, pour autant, il ne quitte pas le devant de la scène, car il garde ses « mandats au niveau international, à l’Organisation Internationale du Travail, à la Confédération Syndicale Internationale, à Solidarité mondiale ». Le cumul est assurément un avantage des hommes de pouvoir sur le commun des mortels !

12. Luc Cortebeeck affirme vouloir garder ses distances avec  la politique et les politiques : « J’ai le sentiment qu’on peut davantage changer la société dans un syndicat que dans un parti ».  C’est néanmoins le gouvernement qui impulse des plans d’austérité et met en œuvre une batterie de mesures anti-sociales.  Cet « apolitisme » de façade a peut-être pour but de ménager ses amis politiques, d’exclure les luttes qui iraient jusqu’au bout ( y compris la chute du gouvernement !),  de poser sérieusement la question du débouché politique à l’action syndicale et de la construction de relais politiques capables de concrétiser ses objectifs. Toutes ces prises de position du principal dirigeant de la plus grande organisation syndicale de ce pays confirment que les travailleurs, dans les prochaines semaines, devront surtout compter sur leur propre énergie et leur propres capacités d’initiative, car il y a vraiment peu de chance que le salut vienne d’en haut…

Lire l’interview de Cortebeeck ici : http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/708797/luc-cortebeeck-la-n-va-a-fait-son-succes-grace-a-une-idee-simpliste.html



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