Wikileaks : qui a peur de la transparence ?
Par Coralie Wawrzyniak, Eduardo Febbro le Lundi, 13 Décembre 2010 PDF Imprimer Envoyer

WikiLeaks, c’est un peu le feuilleton à rebondissements depuis quelques semaines. Ce site web publiant des documents et des analyses politiques depuis 2006 est donc devenu en quelques clics un épicentre diplomatique fort dangereux. Les guerres d’Afghanistan et d’Irak sont au cœur des révélations depuis des mois, mais c’est réellement le 28 novembre 2010 que WikiLeaks prend de l’ampleur en révélant des télégrammes de la diplomatie américaine. Par cette opération baptisée « Cablegate » par les médias anglo-saxons, plus de 250.000 documents sont révélés. Relayées par cinq grands quotidiens occidentaux (dont New York Times, le Monde et El Pais), les révélations de WikiLeaks ont suscité de violentes polémiques et des intimidations au plus haut niveau, entraînant d’importants problèmes techniques et financiers pour son fondateur Julian Assange et ses collaborateurs.

Car en effet, certaines révélations dérangent. Certes, que Kadhafi apprécie les jolies filles, que Karzaï est corrompu, que Silvio Berlusconi est trop âgé, que Sarkozy est autoritaire ou que Washington espionne l’ONU, tout ça était déjà plus ou moins connu ! Mais la soudaine transparence des conversations diplomatiques semblent nourrir un certain malaise. Désormais, les correspondances privées pourraient ne plus l’être, et des secrets pourraient ne plus être si bien gardés, de quoi soulever le cœur de quelques impérialismes qui se croyaient protégés grâce à une certaine impunité diplomatique.

On ne peut donc que se réjouir de cette soudaine transparence, de ces fuites qui n’embarrassent finalement que ceux qui méritent réellement d’être embarrassés. Mais il semblerait que cela ne soit pas l’avis de tous, puisque Besson – toujours en première ligne dans ce genre de dossiers – monte au créneau pour dénoncer la dangerosité de ce site et réclamer l’interdiction de l’héberger en France, nous expliquant avec une mauvaise foi déconcertante que la violation du « secret des relations diplomatiques » met en danger « des personnes protégées par le secret diplomatique ». Si on pouvait avoir des noms et des exemples...

Mais désormais, c’est un fait, WikiLeaks est le site à abattre d’urgence au nom de l’équilibre diplomatique mondial, quitte pour les États-Unis ou la France, à se mettre à la hauteur de la Chine en matière de liberté d’expression. Les nombreux sites miroirs créés par les internautes s’affichent comme de solides ripostes aux intentions liberticides de ces pays, mais seront-elles suffisantes? Pas sûr. À moins que ces révélations soient « tolérées »...

Il est vrai qu’au final, les seules informations « pertinentes » concernent quasiment uniquement le Moyen-Orient et plus particulièrement l’Iran... de quoi attiser les tensions envers ce pays pour l’isoler encore davantage. On peut aussi s’interroger sur le peu de révélations des dossiers israéliens... Est-ce parce que les diplomates savent tenir leur langue sur ces sujets ou bien parce que les révélations WikiLeaks ne sont pas choisies au hasard? Dans tous les cas, nous ne pleurerons pas feu le secret diplomatique... il serait bon désormais que des petits frères de Wikileaks s’intéressent aussi à lever le secret bancaire et financier !

En attendant, mardi, la police britannique a arrêté le fondateur Julian Assange à la demande de la justice suédoise pour une toute autre affaire. Ce dernier dément les accusations portées à son encontre et qui ne seraient motivées que par la volonté d’entraver ses activités.

Coralie Wawrzyniak

Publié dans l'Hebdo du Nouveau Parti Anticapitaliste (France), « Tout est à nous ! » n°81 (09/12/10).


Le site de Wikileaks a nouveau opérationnel: http://mirror.wikileaks.info/

Un moteur de recherche pour les câbles publiés jusqu'à aujourd'hui: http://cablesearch.org/


Les idées des hackers qui veulent venger Julian Assange

Le journal « Página/12 » (Argentine) s'est entretenu avec les membres d'« Anonymous », le front qui a déclaré la guerre cybernétique contre des entreprises telles qu'Amazon ou Visa, qui ont coupé leurs liens avec Wikileaks. Ils nous ont expliqué leurs idées et pourquoi, cette fois ci, les cyber-attaques atteignent un niveau jamais vu.

Asymétrique, spontannée, activée par un noyau de militants invisibles, la « guerre du web », ou la « cyber-guerre » tant de fois annoncée a écrit son premier grand chapitre collectif. Les cyber-activistes du groupe « Anonymous » ont lancé une vaste offensive contre les entreprises qui participent à la persécution subie par Julian Assange, co-fondateur de Wikileaks. Amazon, PayPal, Visa, Mastercard et Postfinance, la filiale des services financiers de la Poste suisse, ont vu leurs sites internet bloqués par les attaques de cette nébuleuse. Ces entreprises, sans qu'aucun ordre judiciaire ne les y obligent, ont coupé toute possibilité de financement pour Wikileaks.

L'« Opération Payback » (Opération Revanche) montée par Anonymous n'a pas de précédent dans l'histoire du Web. Il y a déjà eu dans le passé des attaques contre des sites importants, mais il n'y a jamais eu une offensive aussi coordonnée et plurielle et dont l'objectif premier ne se résume pas à du « cyber-anarchisme » mais bien à la défense d'un bien commun tel que la liberté. Son caractère massif et son efficacité ont supris les spécialistes qui, jusqu'à peu, voyaient ces groupes comme une source de problèmes potentiels mais limités.

L'un des porte-paroles d'Anonymous, un certain « Coldblood », a expliqué à la presse britannique que l'opération « est en train de devenir une guerre, mais ce n'est pas une guerre conventionnelle. C'est une guerre de l'information numérique. Nous voulons qu'Internet continue à être libre et ouvert à tout le monde, comme il l'a toujours été ». Si Anonymous s'est révélé au premier plan par son implication dans la bataille en faveur de Wikileaks, son activisme avait déjà laissé des traces avec des attaques contre les sites de l'Église de Scientologie et, en septembre dernier, contre le bureau d'avocats Baylout, dont l'essentiel des affaires consiste à défendre les droits d'auteur de l'industrie du disque et du cinéma aux États-Unis, accusés de mener « des politiques excessives » dans la protection des droits d'auteur.

« Vadoor », un membre d'Anonymous, nous a expliqué que le noyau fonctionne « sans hiérarchie, il n'y a pas de chefs, ni verticalité. La participation est anonyme et volontaire et c'est cela qui fait notre force. Personne ne sait combien nous sommes, pas même nous autres ». Anonymous opère en effet à partir d'un forum de discussion « 4chan » et ne semble pas avoir de structure stable. La philosophie centrale du groupe tourne autour de la défense du concept d'un Internet libre et ouvert. Tous ceux qui tentent d'y porter atteinte sont dans la ligne de mire d'Anonymous.

Le succès de l'opération « Revanche » semble démontrer la pertinence des analyses apparues sur le Web au cours des derniers mois, spécialement sur le site « TorrentFreak ». Dans un texte publié sur ce dernier, « Enigmax » se demande si ce type d'actions (en termes techniques, c'est « DNS », dénégation de service) ne constitue pas « la protestation du futur ». Avant, écrit Enigmax, il fallait voyager, se déplacer. Aujourd'hui, au contraire, « à l'ère d'Internet, n'importe qui peut voyager dans le monde et être présent partout à la fois et provoquer des dégâts avec un seul clic de souris ». L'auteur rappelle le caractère quasi imparable de ces cyber-escarmouches: « Aucun avocat, aucun ordre et aucune force policière ne peut stopper ce type d'attaques ». Avec l'Opération Payback, Anonymous a ajouté une nouvelle médaille à ses états de service, après deux autres grandes opérations, « Chanology » et « Skynet ».

« 9Finger », autre membre d'Anonymous contacté par « Página/12 » nous a raconté que le groupe, à la différence d'autres, est plus solide parce qu'il a « plus de conscience et plus d'humour ». Selon lui, Anonymous est constitué de « geeks » (fanatiques de l'informatique) qui ont un haut niveau de conscience politique et beaucoup d'humour. Leur devise est une subtile déclaration de guerre; « We are Anonymous, We are Legion, We do not Forget, We do not Forgive, Expect us! (« Nous sommes anonymes, nous sommes légion, nous n'oublions et ne pardonnons pas. Prenez garde! »).

De fait, la guerre virtuelle a commencé à l'envers. Avant qu'Anonymous ne prenne la défense d'Assange, le portail de Wikileaks avait été attaqué avec la même méthode (dénégation de service) par une cyber-activiste appelé « Jester ». Dans deux message postés sur Twitter (http://twitter.com/th3j35t3r/status/8997739723493376), Jester justifiait son acte contre Julian Assange parce que « Wikileaks met en danger la vie de nos soldats ». À partir de ce moment là, Anonymous a laissé en suspens ses autres opérations et fait circuler un message sur Internet (https://uloadr.com/u/4.png) appellant à la défense d'Assange: « Julian est l'objet d'une chasse aux sorcières globale, au sens physique et virtuel. Nous avons la chance de pouvoir combattre dans la première guerre de l'information ».

Anonymous a perdu ses deux plate-formes virtuelles d'appel; les comptes « Opération Payback » sur Facebook et « Anon_operation » sur Twitter ont tous deux été suspendus mercredi dernier. Mais un nouveau compte a été ouvert sur Twitter (http://twitter.com/anonops) dont le volume de messages démontre l'écho obtenu par les initiatives d'Anonymous. Avec l'affaire Wikileaks et la persécution d'Assange, l'insurrection numérique s'est doté d'une solide identité. Ceux qui pensaient que les cyber-activistes étaient une confrérie de doux dingues sans connexion avec une quelconque autre forme de réalité que celle des ordinateurs ont découvert la pertinence d'une cause et l'efficacité avec laquelle ils ont pu la défendre.

Cependant, Anonymous décline un nouveau courant dans le monde de la cyber-dissidence. Son contour idéologique signale une évolution par rapport aux « pères fondateurs » de la piraterie informatique tel que Hakim Bey. Ce dernier, dont le véritable nom est Lamborn Wilson, est un écrivain poétique et militant qui s'auto-définit comme un « anarchiste-ontologiste ». Bey a théorisé les fameuses initiales « TAZ », pour Zones Autonomes Temporaires (Temporary Autonomous Zone en anglais) dont la mission est d'apparaître et de disparaître « afin de mieux échapper aux croquemittaines de l'État ». Pour Bey, la TAZ est « une insurrection hors du Temps et de l'Histoire », une tactique de la disparition ». C'est avec ces principes qu'ont fonctionné beaucoup de pirates informatiques, hackers, cyber-rebelles…

Anonymous, au contraire, revendique un autre objectif, plus ample et permanent et – détail singulier – il l'explique. Dans une lettre diffusée afin d'expliquer les actions en faveur de Wikileaks, le groupe affirme; « Anonymous est une idée vivante. Anonymous est une idée qui ne peut pas être éditée, actualisée ou changée comme on veut. Nous ne sommes pas une organisation terroriste comme veulent le faire croire les gouvernements, les démagogues et les médias. En ce moment, Anonymous est centré sur une campagne pacifique pour la liberté d'expression (…). Quand les gouvernements contrôlent la liberté, c'est vous qu'ils contrôlent. Internet est le dernier bastion de la liberté dans ce monde en constante évolution technique. Internet est capable de connecter tout le monde. Lorsque nous sommes connectés, nous sommes forts. Quand nous sommes forts, nous avons le pouvoir. Quand nous avons le pouvoir, nous sommes capables de faire l'impossible. C'est pour cela que le gouvernement est en train de se mobiliser contre Wikileaks. C'est de cela qu'ils ont peur. N'oubliez jamais ceci: ils ont peur de notre pouvoir quand nous nous unissons ».

John Perry Barlow, co-fondateur de la Electronic Frontier Foundation, une organisation indépendante qui travaille à la protection des libertés civiles et de la liberté d'expression sur Internet, a averti il y a quelques jours sur ce ce qui est en train de se passer: « La première guerre de l'information a déjà commencé. Le champ de bataille est Wikileaks ».

Eduardo Febbro, « Página 12 » (Argentine), publié sur le site www.rebelion.org . Traduction de l'espagnol pour le site www.lcr-lagauche.be

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