Le gouvernement Zapatero militarise l'espace aérien pour briser la grève des contrôleurs
Par Izquierda Anticapitalista le Vendredi, 10 Décembre 2010 PDF Imprimer Envoyer

Les 3 et 4 décembre, les contrôleurs aériens espagnols ont déclenché une grève « sauvage » contre l'augmentation de leurs horaires de travail et la privatisation de leur entreprise publique (AENA) décidées par le gouvernement « socialiste » de Zapatero. L'été dernier, les contrôleurs aériens avaient été forcés de retirer un préavis de grève devant la menace du gouvernement de faire appel à l'armée. Cette fois ci, ils ont donc décidé de mener leur action sans préavis, en se déclarant tous en incapacité « physico-psychologique » de travailler. La riposte du gouvernement, s'inspirant du président états-unien Ronald Reagan dans les années '80, a été brutale: l'espace aérien a été immédiatement militarisé, les tours de contrôle occupées par l'armée, le premier niveau de l'Etat d'urgence décrété et les grévistes réquisitionnés en tant que « personnel militaire », risquant ainsi, en cas de « désobeissance », d'êtres jugés par des cours martiales! Cette grève s'est produite dans un contexte où, après s'être réuni avec 37 grands patrons, le gouvernement Zapatero a annoncé un nouveau train de mesures d'austérité: réductions et suppressions d'indemnités de chômage, privatisations de plusieurs entreprises publiques... et réductions des impôts pour les sociétés capitalistes. Nous publions ci dessous la déclaration de nos camarades d' Izquierda Anticapitalista (Gauche anticapialiste) dans l'Etat espagnol sur ces événements (LCR-Web)

Le gouvernement et le PP criminalisent les contrôleurs aériens pour masquer leur attaque brutale contre nos droits. C'est le peuple de gauche qui doit se déclarer en Etat d'urgence!

Provocation gouvernementale, intoxication de l'opinion publique, lynchage médiatique et judiciaire de salariés-es et, sous le dangereux précédent d'une militarisation du trafic aérien, une lourde menace contre l'ensemble du mouvement ouvrier, ses libertés, ses revendications. S'il y a bien quelqu'un qui doit sonner l'alarme aujourd'hui, ce sont les organisations syndicales.

Il serait oiseux de spéculer afin de savoir jusqu'à quel point le gouvernement avait prévu ce qui vient de se passer. Ce qui est certain, en tous les cas, c'est que le projet de décret instaurant « l'Etat d'alarme » (premier niveau de l'Etat d'urgence, NdT) était déjà sur la table du Conseil des Ministres une semaine avant la grève. Ce même Conseil des Ministres qui a décidé, également par voie de décret, de modifier les conditions de travail des contrôleurs aériens. Le même Conseil des Ministres qui a pris une série de décisions de très grande portée, qui ont toutes été occultées par les informations concernant la grève des contrôleurs, les annulations de vols et le chaos dans les aéroports: la suppression des 426 euros d'aides aux chômeurs en fin de droit, la réduction des impôts des sociétés... et la privatisation de l'AENA.

Dès que les contrôleurs aériens ont quitté leur poste de travail, c'est le Ministre de l'Intérieur, Rubalcaba, qui a pris en charge la situation. Le Ministre des affaires sociales passait au second plan et Zapatero était aux abonnés absents. Immédiatement, à travers les journaux et la télévision, c'est une formidable machine propagandiste qui s'est mise en branle en se focalisant uniquement sur les drames humains, les familles séparées, les espérances des gens simples... Les contrôleurs aériens étaient l'incarnation du mal. Un mal absolu; le secteur du tourisme, les compagnies aériennes et y compris les terribles « marchés » ont affiché leur nervosité. Le peuple réclamait justice contre ces privilégiés sans coeur, l'intérêt supérieur du pays exigeait une intervention énergique de la part de l'Etat. Au pas de course, l'armée et la Garde Civile ont occupé les tours de contrôle et ont forcé les rebelles à se remettre au travail.

De son côté, après un moment d'hésitation, les dirigeants du PP (Parti Populaire, NdT) se sont rendus compte où étaient les intérêts de classe de ceux qu'ils servent et ils ont également hurlé avec les loups et apporté leur soutien au décret de militarisation. Si ces gens reviennent au pouvoir, ce ne sera certainement pas pour leur brillante intelligence, mais bien à cause de la servilité de la gauche officielle face aux capitalistes. Les 37 grands patrons et banquiers qui, quelques jours auparavent, ont dicté à Zapatero les nouvelles attaques antisociales, immédiatement adoptées par le gouvernement du PSOE, lui ont également donné une consigne explicite: faire le sale boulot de la droite afin de lui ouvrir le chemin du pouvoir.

Et ce mandat est exécuté à la lettre. Que le ministre de la police se retrouve à la tête d'un cabinet de crise constitue tout un programme. Qu'un conflit social soit résolu avec l'intervention de l'armée constitue un sinistre présage. Le mouvement ouvrier doit sérieusement soupeser la menace. Qui peut affirmer que, demain, face à un nouveau conflit, déclaré ou imminent, les transports publics, les communications ou les raffineries – comme l'a fait Sarkozy pendant le récent mouvement de grèves en France – ne seront pas mis par décret sous juridiction militaire? Il ne s'agit plus d'un scénario hypothétique: Zapatero a clairement annoncé qu'il pouvait demander au Parlement la prolongation de l'Etat d'alarme au delà des 15 jours prévus par le décret royal. Les syndicats CCOO, UGT, USO et FSP avaient prévus, pour les fêtes de Noël, des mobilisations de protestation du personnel terrestre des aéroports contre la privatisation de 49% du capital d'AENA et les menaces pour l'emploi et les conditions de travail dans ce secteur qu'elle représente. Que se passera-t-il alors? Es-ce que le refus de décharger la cargaison d'un avion sera finalement assimilé à un acte séditieux?

Pour leur propre intérêt et celui de l'immense majorité de la population, les syndicats doivent riposter à la hauteur de l'attaque et de la démagogie du gouvernement. Le discours politique et idéologique généré par le gouvernement et par les médias doit être résolument combattu car il contient le germe d'un tournant profondément réactionnaire et peut aboutir à l'écrasement de n'importe quelle lutte contre la crise.

La campagne lancée contre les contrôleurs aériens s'inscrit également dans la volonté de livrer la partie la plus rentable d'AENA aux intérêts privés - en premier lieu les aéroports de Madrid et Barcelone. Du point devue de l'intérêt collectif, cela suppose de privatiser les bénéfices et de laisser les aéroports déficitaires à la charge de l'Etat, fragilisant ainsi un service dont le caractère public constitue la meilleure garantie de sécurité. Du point de vue des salariés-es du secteur, cela signifie fragmenter leurs équipes de travail et une dégradation importante de leurs conditions de travail et statutaire. Souvent perçus parmi les autres travailleurs-euses comme une caste « privilégiée » du fait de leurs revenus et de leurs syndicats corporatistes, l'attaque contre les contrôleurs aériens vise en réalité à affaiblir n'importe quelle lutte et résistance contre les privatisations. Les futurs opérateurs privés veulent des techniciens et des employés bon marché et précaires. Les intérêts en jeu sont énormes: AENA est responsable de 75% des mouvements aériens destinés au tourisme, un secteur qui pèse entre 8 et 12% du PIB.

Voilà ce que les syndicats doivent avoir avant tout à l'esprit. Avant les vacances, le gouvernement avait réduit de 40% les salaires des contrôleurs aériens. Mais les taxes payées par les usagers n'ont pas diminué d'autant. Et la mauvaise situation financière d'AENA ne s'est pas améliorée non plus car elle a bien plus à voir avec des projets et dépenses pharaoniques pour le réseau aéroportuaire qu'avec les niveaux de salaires d'un secteur professionnel hautement qualifié. La question principale, aujourd'hui, n'est donc pas de savoir combien gagne un contrôleur. Ni, non plus, si leur syndicat, l'USCA, a bien géré ou non le conflit, ni ses relations avec les autres syndicats, tout cela doit se discuter à un autre moment.

Ce qui est clair, par contre, c'est que la stratégie des contrôleurs aériens est affaiblie par le corporatisme de leur organisation syndicale et cela doit mener à une série de conclusions. Tout syndicaliste de combat sait que c'est dans l'unité et dans la politique d'alliances que réside la possibilité de vaincre à moyen terme. Cependant, les contrôleurs n'ont pas suivis cette voie et, dans leur action, ils ont oublié deux éléments clés de l'équation: les usagers et le reste des travailleurs-euses d'AENA. Ils se sont retrouvés isolés au moment décisif, constituant ainsi une cible parfaite pour le lynchage médiatique et la répression.

Il ne s'agit évidement pas du fait d'avoir organisé la grève de manière « légale » ou non. La législation du travail est souvent un chiffon de papier et le produit des reculs du mouvement ouvrier. Le droit de grève est une farce. Des millions de travailleurs-euses sont empêchés de faire grève à cause de la répression patronale. Ceux qui utilisent ce genre d'arguments ne sont jamais dans les conflits sociaux, ni dans l'organisation de luttes qui apportent des victoires et l'auto-organisation des travailleurs-euses. Nous savons qu'il faut combiner l'utilisation de méthodes diverses, et qu'avec une législation du travail actuelle qui protège si peu, les actions légales et illégales auront de plus en plus d'importance dans un contexte d'attaques croissantes contre l'enemble des travailleurs-euses.

La question clé est plutôt celle-ci: le lien et l'unité avec les usagers et le reste des salariés-es d'AENA (12.000 selon le syndicat CGT), la nécessité de forger une politique d'alliances. Les travailleurs-euses d'AENA sont les premiers intéressés à ce que la lutte des contrôleurs aériens soit victorieuse, tout comme le reste de la classe ouvrière car dans un contexte comme le nôtre, il est nécessaire de faire plier ce gouvernement dont la politique est entièrement orientée vers la destruction des conditions de vie des travailleurs-euses et de leurs résistances. L'exemple d'une résistance réussie, dans n'importe quel secteur, peut devenir un exemple contagieux. Cela, les syndicats de classe et alternatifs, engagés dans la défense des secteurs les plus précaires, comme la CGT ou CoBas, le savent parfaitement bien et ils ont immédiatement démontré leur solidarité contre la répression qui a frappé les travailleurs-euses d'AENA. Le syndicalisme corporatiste, lui, nous pousse au contraire vers la défaite pour tous et toutes. Il s'agit au contraire d'impulser la solidarité et les alliances entre les différents secteurs de la classe ouvrière.

Le fait ne pas avoir eu non plus aucune orientation pédagogique préventive vers les usagers, y compris en préparant le conflit dans les médias, a facilité l'isolement des grévistes et la perte de la bataille dans l'opinion publique. Or, il s'agit d'une question clé de la lutte syndicale dans les services tels que les transports.

Mais, dans l'immédiat, l'urgence n'est pas au débat sur la tactique utilisée par les contrôleurs. Il y a aujourd'hui une autre urgence: la riposte face aux nouvelles mesures décidées par le Conseil des Ministres et aux méthodes utilisées par le gouvernement pour briser la grève. Les principales organisations syndicales, CCOO et UGT devraient se mettre sur le pied de guerre en fixant immédiatement une date pour une nouvelle grève générale. Le 28 janvier, date à laquelle le gouvernement veut approuver la contre-réforme des pensions? Pourquoi pas! Mais il faut le savoir sans tarder et ne pas l'organiser au-delà de cette date. Ce n'est qu'en fixant l'attention sur un tel objectif, celui de paralyser effectivement le pays, qu'on pourra faire comprendre le caractère gravissime et menaçant de l'attaque gouvernementale contre les contrôleurs. Que personne ne se laisse tromper par les discours sur leurs « privilèges »! Demain, ce seront les conducteurs de bus qui seront désignés comme des aristocrates, ou les enseignants, ou les chômeurs. Décréter l'Etat d'alarme? Oui, il faut le faire pour les dizaines de milliers de familles qui sont sur le point d'êtres expulsées de leur logement; pour les centaines de milliers de sans emploi dépourvus de ressources... es-ce que l'armée ira leur apporter des rations?

Il est temps d'être fermes et déterminés. La gauche sociale et le syndicalisme ne doivent ni se taire, ni hésiter. La CGT et d'autres syndicats plus petits ont déjà pris position. Mais cette clameur doit s'étendre. On ne peut accepter la moindre sanction, licenciement ni inculpation pour désobéissance à l'autorité militaire. Le gouvernement est le seul responsable de la situation qu'il a lui même provoqué.

Dehors l'Etat d'alarme!

Préparer dès maintenant une autre grève générale!

Ils sont 37, nous sommes des millions!

Izquierda Anticapitalista, 7 décembre 2010 www.anticapitalistas.org

Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be

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