Forteresse Europe: problèmes à la porte Est. L'UE déploie des gardes armés à la frontière greco-turque
Par Gorka Larrabeiti le Mercredi, 27 Octobre 2010 PDF Imprimer Envoyer

D'après Frontex, l'Agence européenne des frontières, 197 gardes armés provenant de 25 pays européens défendent, depuis ce 2 novembre et pendant deux mois, la région de Orestiade à la frontière greco-turque, à la demande du gouvernement grec, incapable de faire face à l'afflux de migrants sans-papiers. Plusieurs Etats membres de l'UE ont apporté leur contribution à ce programme d'intervention rapide en apportant différents moyens: 1 hélicoptère (Roumanie); 1 autobus (Roumanie); 5 minibus (1 roumain, 2 autrichiens, 1 bulgare, 1 hongrois); 19 véhicules tout-terrain (7 roumains, 3 autrichiens, 2 slovaques, 7 allemands); 9 véhicules avec vision nocturne (2 autrichiens, 2 bulgares, 4 allemands, 1 hongrois)...

Cette mobilisation et intervention a été montée en à peine cinq jours afin de renforcer la porte Est de la Forteresse Europe. Des 40.977 migrants arrêtés depuis le début de l'année au cours leur tentative d'entrer dans l'UE, plus des deux tiers l'ont été à la frontière greco-turque. Beaucoup d'entre eux sont Afghans, comme Mussa Khan, un réfugié parmi tant d'autres, qui a été accompagné par le reporter italien Paolo Martino tout au long de son périple depuis Van, près de la frontière turco-iranienne, jusqu'à Rome. Sauf que, en réalité, Paolo Martino est arrivé seul à Rome, puisque Mussa Khan a été arrêté après avoir monté à bord du navire qui le conduisait du port grec d'Igumenitsa au port italien d'Ancône.

Après le renforcement de la porte Sud de la Forteresse Europe, à Ceuta (enclave espagnol au Maroc, NdT) et Lampedusa (île italienne en Mediterannée) notamment, le foyer de tension migratoire s'est déplacé vers la Grèce, chargée de garder la porte Est. Le 20 octobre dernier, Manfred Nowak, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, a rendu public un rapport consécutif à sa récente visite en Grèce. Plusieurs agence de presse ont repris dans leurs communiqués les déclarations de Nowak selon lesquelles « La Grèce ne peut pas supporter seule le poids de recevoir la vaste majorité des migrants irréguliers qui entrent dans l'Union européenne en 2010 ». Par contre, très peu d'agences ont relayé ses descriptions dantesques sur la situation existante dans les commissariats de police ou les prisons en Grèce:

« Nous avons reçu de nombreuse plaintes fondées dénonçant des coups portés par des agents de police, de nombreux détenus disent avoir subi des violences physiques pendant leur arrestation ou dans les commissariats. Cependant, il existe peu de preuves médicales sur ces mauvais traitements pouvant étayer qu'il s'agit d'actes de torture dans le sens de la définition de la Convention contre la torture. Ce manque de preuves peut sans doute s'expliquer tant par l'absence d'un système d'enquête policier interne que par celle d'un mécanisme de réclamations. Un autre facteur peut être le niveau élevé de crainte de représailles que j'ai pu constater parmi les détenus aux mains de la police, ce qui, ensemble avec le mauvais fonctionnement du système judiciaire, peut perpétuer un système d'impunité pour la violence policière (...)

Les conditions de détention dans les commissariats grecs varient, mais elles sont en général fort pauvres. Au cours de mes visites, j'ai pu voir des détenus enfermés dans des cellules bondées et sales, avec peu de ventilation ou de lumière. On ne permet jamais aux détenus de sortir à l'air libre, malgré le fait que bon nombre d'entre eux sont en situation d'arrestation administrative, y compris depuis 6 mois. L'accès aux soins médicaux et très limité.

Dans les départements d'enquête criminelle d'Omonia, Agiou Pantelemonos et Acropole, j'ai découvert qu'il y avait plus de 40 étrangers détenus de manière irrégulière dans des zones de détention apparemment non officielles. (...)

Dans toutes les prisons que j'ai visité, j'ai été témoin d'une grave situation de surpopulation. Il y a actuellement quelques 12.000 prisonniers pour 9.100 places dans les prisons grecques. 57% des prisonniers sont étrangers. J'ai parlé avec des détenus qui étaient en prison depuis 18 mois et toujours en attente d'un procès. (...)

En 2008, 50% des arrestations de migrants irréguliers dans l'UE ont eu lieu en Grèce. Ce nombre a augmenté jusqu'à 75% en 2009 et jusqu'à 90% en 2010. (...)

J'ai visité la prison de Chios, où les migrants sont enfermés dans des cellules surpeuplées, sales, humides, sans lumière naturelle, avec des toilettes anti-hygièniques et inadéquates, avec de l'eau froide, sans produits sanitaires tels que du savon ou du papier toilette. Dans certains cas, les détenus n'ont tout simplement pas un accès direct aux toilettes, ou bien cet accès est restreint et ne peut se faire que par tournée (ex: dans la zone frontière de détention à Venizelos, il y avait deux toilettes à l'extérieur des celules pour 88 détenus). En conséquence de ces mauvaises conditions, des gens souffrent de problèmes respiratoires, dermatologiques, mais aussi psychologiques. De plus, dans la région d'Evros, où la température a commencé à baisser, les détenus n'ont pas de draps ni de vêtements chauds. (...)

Le cas de surpopulation le plus grave se trouve à Feres, où j'ai pu constater le jour de ma visite la présence de 123 détenus alors que la capacité maximum prévue est de 28 personnes. (...)

Pendant mes entrevues avec des détenus, j'ai observé qu'il est très difficile d'accéder au statut de réfugié en Grèce (...). La Grèce souffre d'un système d'asile hautement dysfonctionnel, avec un pourcentage d'accès au statut de réfugié en première demande proche de zéro pour cent.

En seconde demande, le pourcentage d'octroi est également très bas (2,89% en 2009). En conséquence, les migrants qui cherchent protection en Grèce n'ont pas confiance dans les procédures d'asile et s'abstiennent souvent de faire les démarches nécessaires, malgré la crainte d'êtres expulsés dans leur pays d'origine. »

Malgré leur gravité, ces extraits du rapport de Nowak n'ont pratiquement rencontré aucun écho. Pour l'UE monétaire et économique, les droits humains semblent être un luxe. Elle se précipite pour militariser une frontière en solidarité avec un Etat membre qui ne peut plus faire face « au poids d'un immense flux migratoire direct », mais elle détourne le regard et ne lève pas le petit doigt lorsqu'il s'agit de défendre les droits humains des migrants ou des gitans.

Personne ne s'est offusqué non plus lorsque l'Union européenne elle-même a commencé à organiser ses propres vols de déportation ethnique collective. Le 28 septembre dernier, « avec une discrétion absolue » selon le journal « Le Monde », 56 Géorgiens, détenus en Pologne, en France, en Autriche et en Allemagne, ont été embarqués à Varsovie, siège de l'agence Frontex, dans un avion à destination de Tiflis, capitale géorgienne. En 2011, on estime que Frontex organisera et financera entre 30 et 40 « vols de groupe », afin de rapatrier dans leurs pays d'origine des migrants ayant pénétré de manière « illégale » les frontières de l'UE. Pour la période 2008-2013, Frontex dispose d'un budget estimé à 679 millions d'euros.

Autre fait récent qui n'a provoqué aucun scandale: le vol de déportation collective de 68 personnes vers l'Egypte à partir de Catane, en Italie. Ces personnes étaient arrivé 48 heures avant dans cette ville, à bord d'une embarcation, ensemble avec 44 mineurs d'âge. Amnesty International a dénoncé le fait qu'aucune de ces 68 personnes n'a eu la possibilité de solliciter l'asile politique. Autre fait grave à souligner: aucune organisation internationale – ni l'ACNUR, ni l'Organisation internationale pour la migration, ni la Croix-Rouge italienne – n'a pu avoir accès à la salle de sports où les migrants ont été conduits de force.

Dans la Forteresse Europe, le droit d'asile se réduit comme peau de chagrin. Rien qu'en Grèce au mois d'août 2010, il y avait 52.000 demandes d'asile en attente d'une réponse. Dans une telle situation, il ne faut pas s'étonner que plusieurs demandeurs d'asile iraniens en Grèce ont entamé une grève de la faim et se sont cousus la bouche. S'ils avaient fait cela en Iran, il est certain que les médias les auraient immédiatement érigés en héros de la liberté. Mais puisque c'est dans la Forteresse Europe que cela se passe, les médias se taisent sur les injustices dont souffrent les personnes migrantes.

Article publié dans Rebellion http://www.rebelion.org/noticia.php?id=115889

Traduction de l'espagnol par Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be

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