Pour la justice fiscale, un préalable: la levée complète du secret bancaire!
Par Denis Horman le Jeudi, 10 Décembre 2009 PDF Imprimer Envoyer

Le scandale de l'acquittement des grands fraudeurs capitalistes dans le procès de la KB-Lux souligne la nécessité de mener le combat pour la justice fiscale. Selon la Constitution belge (article 172), « Il ne peut être établi de privilèges en matière d’impôt ». En d’autres termes, tout le monde doit payer ses impôts selon ses moyens, sa faculté contributive, sur base de l’ensemble de ses revenus (professionnels, immobiliers, financiers…). Cet article est en réalité lettre morte. Nous sommes, dans notre pays, en pleine injustice fiscale.

Le constat

Une réalité que nos deux organisations syndicales, la FGTB en particulier, ont replacée en pleine lumière ce derniers mois, lors du conclave budgétaire sur l’assainissement des finances publiques. Le constat : ce sont les travailleurs, secteurs privé et public, ainsi que les allocataires sociaux qui contribuent le plus, via l’impôt sur les personnes physiques, au financement des recettes de l’Etat fédéral. L’impôt sur les bénéfices des sociétés n’intervient dans les recettes fiscales que pour 13% et le capital (patrimoines et revenus –placements- financiers) que pour 3% seulement.

Deux poids, deux mesures

Pourquoi cette situation ? L’administration générale des impôts connaît parfaitement les revenus des salariés via la fiche établie par l’employeur. Et c’est sur base de cette fiche que sont perçus les impôts directs. Par contre, pour les indépendants, les sociétés, les détenteurs de capitaux, de placements financiers, la transparence n’existe pas. Les organismes financiers –banques et autres intermédiaires financiers- ne sont tenus à aucune obligation de communiquer automatiquement au fisc les numéros de comptes bancaires, leurs titulaires, le montant et l’origine de l’argent…Devoir de discrétion par rapport aux clients, nous diront les banques ! Le secret bancaire fiscal existe bel et bien. De ce fait, l’Administration fiscale ne peut établir un cadastre des données bancaires, des patrimoines financiers, des fortunes. Ainsi, une grande partie des revenus financiers échappe à l’impôt. Et la fraude fiscale (dont le montant annuel est évalué à 30 milliards d’euros) a encore de beaux jours devant elle.

Précisons que le but recherché n’est pas que chaque contribuable connaisse le compte en banque de son voisin. Par contre, l’Administration fiscale est en droit d’établir un cadastre des données bancaires- et en l’occurrence des fortunes- pour établir, sur cette base, un impôt juste.

L’exception belge

Dans son rapport 2007, intitulé Taxation du travail, emploi et compétitivité, le Conseil supérieur des Finances estime que le secret bancaire fiscal est de plus en plus anachronique en comparaison internationale. Il précise que « La Belgique est u n des rares pays de l’Union européenne (3 sur 27 : Belgique, Luxembourg, Autriche) et de l’OCDE (4 sur 30) à s’accrocher à l’utilisation fiscale du secret bancaire ».

La Commission d’enquête parlementaire, chargée d’examiner les grands dossiers de fraude fiscale a, dans son rapport, émis le constat suivant : « Le secret bancaire, tel qu’organisé en Belgique constitue un véritable obstacle à une lutte efficace contre la fraude fiscale ».

«Assouplissement» ou levée complète du secret bancaire?

En avril dernier, le parlement européen s’est prononcé en faveur de l’abandon du secret bancaire en Europe d’ici au 1er juillet …2014. Un eurodéputé socialiste français, Benoît Hamon, a eu une formule de circonstance : « Les gouvernements européens ont mis sur la table près de 3.000 milliards d’euros pour sauver les banques ; il paraît légitime de demander en retour aux banquiers de jouer le jeu de la transparence ». Ajoutons : sans attendre 2014 pour les quelques pays, comme la Belgique, qualifiée de «paradis fiscal » et qui maintient toujours un secret bancaire de fait.

Une des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire, ayant trait à la modification des lois et des règles fiscales organisant le secret bancaire dans notre pays, est de « permettre à l’administration d’interroger les banques lorsqu’elle dispose d’un ou de plusieurs indices que des revenus n’ont pas été déclarés ». C’est le sens de la proposition de loi, déposée par Dirk Van Der Maelen et Alain Mathot, respectivement parlementaires Spa et PS. Celle-ci propose d’assouplir les conditions de la levée du secret bancaire, en référence aux recommandations de la Commission d’enquête. En fait, il existe déjà une procédure pour lever le secret bancaire. L’administration générale de impôts peut demander des informations aux banques dans deux cas précis : si un contribuable dépose une plainte ou si, à la suite d’une enquête « sérieuse », de forts soupçons de fraude existent. Procédure complexe et difficile à mettre en œuvre!

Une telle recommandation de la Commission, traduite en proposition de loi par Van Der Maelen et Mathot « risque de se révéler être un vœu pieux ». C’est ce que souligne, à juste titre, la FGTB, dans son bulletin mensuel Echo FGTB de mai 2009. « Pour que le fisc puisse disposer d’indices de non déclarations de revenus, il est préférable qu’il connaisse, comme c’est le cas en France, l’existence de l’ensemble des comptes bancaires des contribuables concernés ».

C’est le sens d’une autre proposition de loi, déposée par Georges Gilkinet (Ecolo) et Stéfaan Van Hecke (Groen), visant à abroger le secret bancaire. Cette proposition de loi souligne entre autre : « afin de rendre la lutte contre la fraude encore plus efficace, les établissements financiers seront tenus de communiquer à l’administration fiscale un fois l’an une liste reprenant l’ensemble des comptes ouverts ou l’ayant été au cours de l’année précédente ».

Le Réseau pour la justice fiscale

Le Réseau pour la justice fiscale (RJF), qui regroupe une quarantaine d’organisations, dont les deux syndicats, s’est prononcé pour l’abrogation totale du secret bancaire fiscal. Cela consiste en l’obligation pour les banques et autres intermédiaires financiers d’établir annuellement une liste nominative des bénéficiaires d’intérêts, de dividendes, de plus-values et autre revenus financiers ; de fournir les informations sur les ouvertures, les modifications et les fermetures de comptes bancaires en vue d’établir un répertoire national des comptes bancaires ; de déclarer toutes les sorties de capitaux de Belgique avec l’identification du donneur d’ordre.

Ainsi, la levée complète du secret bancaire est un préalable pour commencer une juste perception de l’impôt, pour mener une lutte efficace contre la fraude et l’évasion fiscales, pour établir un cadastre (inventaire) des patrimoines financiers et permettre ainsi un impôt sur la fortune. Il appartient au Parlement de modifier en ce sens quelques articles du code des impôts sur les revenus.

Pour une véritable justice fiscale, qui entraînerait une diminution des impôts sur les revenus du travail et la satisfaction des besoins fondamentaux de la population, mobilisons-nous. Imposons un débat et un vote parlementaire concrétisant cette démarche.

Voir ci-dessus