Bridgestone Frameries: une grève déterminée, un bilan mitigé
Par Collectif le Vendredi, 14 Août 2009 PDF Imprimer Envoyer

La grève des 140 ouvriers de Bridgestone Aircraft Tire (Frameries) a pris fin ce vendredi 07 aout 2009, après 58 jours de résistance. Le projet d’accord approuvé par 57% des 111 travailleurs présents à la dernière assemblée générale répond partiellement aux revendications de départ mais n’annule pas les huit licenciements à l’origine du mouvement. Ce vendredi, on croisait sur le piquet quelques uns des 42% de travailleurs qui voulaient maintenir le mouvement. Retour et bilan d’une grève test.

Le début de la grève

Bridgestone Aircraft Tyres est une entreprise qui se porte très bien. Elle contrôle 50% du marché du pneu des compagnies aériennes d’Europe, d’Afrique et du Moyen Orient. Son chiffre d’affaires est passé de 53,2 millions d’Euros en 2007 à 62,3 millions en 2008. Les bénéfices du site de Frameries qui s’est mis en grève, s’élèvent en 2008 à 5,2 millions d’euros (2 fois plus qu’en 2007). En 2008, la direction a investi des milliers d’euros dans des panneaux photovoltaïques et dans de nouvelles capacités de production. Elle a même engagé du personnel tout en refusant d’accorder des prépensions, et en fixant de nouveaux contrats de sous-traitance. En même temps, l’entreprise a bénéficié d’avantages mis à sa disposition par les pouvoirs publics pour plus d’un million d’euros sous la forme d’ intérêts notionnels, réductions de cotisations de sécurité sociale, économies au niveau de la formation.

Début juin 2009, c’est en Conseil d’entreprise et sans discussion préalable que la direction de Bridgestone annonce la fermeture du département « Magasin Pneus» et par conséquent le licenciement sec des 8 ouvriers qui y travaillent, ainsi que la mise en route d’une procédure de levée de protection pour un neuvième licenciement, celui du délégué principal de l’entreprise. Des raisons techniques et de sécurité sont invoquées, mais la direction n’a pas avancé la moindre preuve pour étayer ses dires. De plus, ces événements violent ouvertement la convention collective de travail sectorielle (qui a force de loi) et qui prévoit que "L’entreprise mettra tout en œuvre en vue d'éviter des licenciements pour raisons économiques et techniques. Si des difficultés surviennent en la matière, il est préalablement instauré un régime de chômage partiel, si possible par roulement."

Face à ces licenciements secs et aux comportements injustifiés et méprisants des cadres de la direction, l’élan de solidarité est rapide et complet: les travailleurs présents sortent devant l’entreprise et chaque nouveau travailleur qui arrive pour prendre son temps de pause se joint au piquet pour résister ensemble à l’injustice patronale.

Une grève soutenue par la population

Le ton a rapidement été donné aussi du côté de la direction qui a fait immédiatement appel aux forces de l’ordre pour que 80 policiers maîtrisent les 20 travailleurs « dangereusement armés »…de farine, qui avaient déjà laissé repartir tous les employés et les cadres dans la tranquillité. A partir de là, les déclarations patronales n’hésitaient pas à verser dans la désinformation et la diabolisation des travailleurs.

Mais d’autres voix se sont élevées autour de la grève et c’est par le biais d’internet que les premiers mouvements de solidarité ont pris forme. Florence Defourny, montoise, employée à la FGTB Mons a lancé fin juin, un premier appel à la solidarité, via facebook, qui a réuni à ce jour plus d’un millier de signataires.

Lors d’une première rencontre de solidarité avec les grèvistes, la LCR et quelques sympathisants NPA frontaliers ont récoltés les premières adhésions à ce qui est ensuite devenu le comité de soutien des travailleurs. Avec 150 signataires et 25 militants actifs, le Comité de soutien a diffusé le manifeste des travailleurs, seul compte rendu qui expliquait la réalité du contexte de la grève et les revendications des travailleurs. Pour ne pas laisser les travailleurs seuls face à la stratégie patronale de l’isolement de la grève, le Comité a lancé, chaque vendredi, un appel à solidarité pour assurer une présence sur le piquet. Les signatures de soutien continuent à arriver, même maintenant que le mouvement est terminé.

Cette grève fut soutenue par la population laborieuse de Frameries comme en témoignaient les coups de klaxons de la plupart des automobilistes qui passaient devant l’usine et les nombreux témoignages de solidarité. Plusieurs dons ont étés faits, par des particuliers ou des organisations au fond de grève, certains atteignant jusqu’à 1000 euros. Ce fond était géré par les délégués syndicaux pour aider les travailleurs à faire face aux premières échéances financières. Tout était en place pour que la grève se maintienne.

Ceux qui ont soutenu le mouvement avaient évidemment raison car cette grève concernait en effet tous les travailleurs qui peuvent se retrouver dans la même situation dans leur entreprise. Ces signes de soutien montrent la persistance d’une conscience de classe qui peut unir les travailleurs et élargir les luttes.

Les revendications des travailleurs formulées au départ du mouvement étaient les suivantes : l’annulation des huit licenciements; la reprise des travailleurs dans la production; le respect de la convention collective de travail du secteur; et la transformation des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.

En plus de ces revendications, les travailleurs en grève lançaient un appel à l’opinion publique, aux travailleurs et aux allocataires sociaux dans lequel ils accusent les patrons de profiter de la crise pour accroître la pression sur les salaires, sur les conditions de travail, sur les contrats, et pour briser la force syndicale. Tout cela dans le but d’avoir à leur disposition une main d’oeuvre docile et flexible, sans droits. Ils appelaient à un combat d’ensemble du monde du travail pour interdire les licenciements.

Bilan mitigé pour une grève déterminée

Lors de la dernière assemblée générale, la reprise du travail aurait été demandée par un permanent de l’appareil syndical au cours de l’assemblée général alors qu’un délégué s’était exprimé en faveur de la poursuite de la grève.

A la reprise du travail, près de la moitié des travailleurs ont regretté qu’un mouvement bien lancé se soit arrêté sans que les revendications ne soient pleinement satisfaites. En effet, selon l’avis de plusieurs travailleurs, la direction était sur le point de céder sur toute la ligne. Au cours des deux premières semaines de grève, elle avait commencé par mépriser les grévistes en pensant que leur action serait de courte durée et se refusait à toute négociation. Mais elle a vite changé d'avis face à la détermination des travailleurs et aux retards qui s’accumulaient dans les commandes.

Par rapport aux revendications, les travailleurs du piquet ont jugé l’accord décevant au regard de la longueur de la grève. Les 9 travailleurs n’ont pas été réintégrés. Ils ont obtenu une prime de départ en fonction de l’ancienneté qui était trois fois supérieure à ce que la direction proposaient au départ mais qui ne constituait que quelques mois de salaires, soit des montants bien en dessous de ce que d’autres travailleurs ont pu bénéficier dans d’autres plans de licenciement en Belgique.

Selon l’accord, la direction aurait trouvé des emplois à Frameries pour les 8 travailleurs. Si c’est effectivement vrai, cela pose une question au Forem. Tout à coup, on trouve 8 emplois sur Frameries qui connaissait en 2009 un taux de chômage supérieur à 20%. Pour créer de nouveaux emplois, il faut donc se mettre en grève et ils apparaissent miraculeusement. Cela prouve que les patrons locaux ont peur que le mouvement fasse tache d’huile et qu’ils ont manifesté leur solidarité de classe entre capitalistes.

Certains CDD pourraient être transformés en CDI mais après l’Assemblée Générale, les travailleurs n’avaient pas reçu de garantie précise à ce sujet. La direction envisagerait cette transformation au cas par cas.

Plusieurs travailleurs ont exprimé le fait qu’il y avait eu peu d’assemblées générales ce qui avait contribué à démobiliser une partie des travailleurs. Certains travailleurs considèrent toutefois que les résultats obtenus et la durée de la grève sont dejà en soi une belle victoire et que tout ce mouvement n’est qu’un début, qui pourra se répéter au premier faux pas patronal. Les travailleurs du piquet gardaient en tout cas la tête haute et affichaient leur détermination à recommencer si la direction lançait d’autres attaques et gardait son attitude méprisante. Ils disaient qu’elle réfléchirait à deux fois avant de recommencer.

Il faut saluer la détermination des grévistes qui ont tenu près de deux mois et espérer qu’elle fasse tâche d’huile auprès des autres entreprises de la région et du pays car pour inverser le rapport de force et faire céder le patronat, il faudra des luttes généralisées de grande ampleur, des luttes qui devront dépasser le cadre d’une seule entreprise. C’est à cela qu’il faut travailler. Bravo aux grévistes de Bridgestone pour leur détermination!

Voir ci-dessus