Capitalisme, productivisme, socialisme réel et écosocialisme
Par Daniel Tanuro le Vendredi, 05 Juin 2009 PDF Imprimer Envoyer

D'un côté, il semble évident qu'une rupture avec le profit est nécessaire pour solutionner la crise écologique. D'un autre côté, le bilan environnemental des pays dits "socialistes" est catastrophique. Que faut-il en penser? Est-ce simplement le résultat de certaines erreurs commises? Qu'est-ce que le productivisme qui semble commun au capitalisme et au "socialisme réel"?

Selon nous, le bilan du "socialisme réel" en matière environnementale ne se limite pas à quelques erreurs commises dans le cadre d'un système globalement sain.

Les chiffres concernant le climat sont sans appel: juste avant la chute du Mur, la Tchécoslovaquie émettait 20,7 tCO2/hab/an et la RDA 22 tCO2/hab/an. A titre de comparaison, les USA, le Canada et l’Australie - les plus importants émetteurs de CO2 du monde capitaliste développé - émettaient à cette époque respectivement 18,9, 16,2 et 15 tCO2/pers/an, pour un PNB par habitant largement supérieur.

Il y a donc bien une responsabilité importante des pays dits "socialistes". Elle renvoie à des choix technologiques mais aussi à des mécanismes structurels de type productiviste. Les deux aspects sont liés.

On peut définir le productivisme par "produire pour produire" et "consommer pour consommer" (il faut noter que Marx lui-même emploie ces expressions dans son analyse du capitalisme et explique que les deux mouvements sont complémentaires, ce qui est d'ailleurs évident).

En l'absence d'autogestion par la population, l'économie de l'URSS était planifiée bureaucratiquement selon les consignes des dirigeants politiques qui, dans le cadre de leur théorie de "socialisme dans un seul pays", avaient fixé le but absurde de "dépasser les Etats-Unis" (Kroutchev). Les directeurs des entreprises d'Etat étaient incités à respecter les objectifs du plan par des primes proportionnelles au tonnage de matières utilisées. Ils avaient donc un intérêt personnel à brûler le maximum de charbon et à fabriquer des machines, par exemple des tracteurs agricoles, comportant le maximum d'acier à l'unité produite (dans le cas des tracteurs ce choix s'est avéré particulièrement absurde...).

Ce mécanisme est clairement productiviste: il incite à produire pour produire. En même temps, il s'agit d'une variété de productivisme différente du productivisme capitaliste: en effet, un capitaliste cherchera plutôt à brûler moins de charbon et à consommer moins d'acier à l'unité produite, pour faire baisser ses coûts, mais sa quête constante d'un surprofit le poussera à augmenter sans cesse la productivité du travail, donc à produire toujours plus d'unités, de sorte que le bilan global sera le même: de plus en plus de matières consommées, de plus en plus de gaz à effet de serre émis.

Sur le plan technologique, il est clair que l'URSS n'aurait pas pu décoller sans le charbon. Mais, après guerre, le niveau scientifique et technique aurait permis d'explorer d'autres voies énergétiques. Le régime ne l'a pas fait. Une des raisons est politique: dans un régime de parti unique, basé sur le commandement et l'obéissance, on ne peut pas sans danger faire appel à la créativité des chercheurs et de la population en général, ni à la décentralisation de la production. Or, le développement des renouvelables implique créativité et décentralisation. Pour le régime, il n'en était pas question. Le résultat a été Tchernobyl.

Le socialisme se définit classiquement comme un mode de production dans lequel la production d'utilités (valeurs d'usage) pour la satisfaction des besoins humains réels remplace la production de valeurs d'échanges pour l'accumulation de profit. Ce mode de production a certainement le potentiel d'être supérieur au capitalisme du point de vue écologique (notamment). Mais l'histoire le prouve: ce n'est qu'un potentiel. Sa concrétisation passe par trois conditions sine qua non:

- 1°) que les besoins humains soient démocratiquement déterminés, ce qui implique un système politique de type autogestionnaire, avec pluralisme politique, etc.

- 2°) que la satisfaction des besoins se fasse dans le respect des limites naturelles et des contraintes de fonctionnement des cycles naturels, en abandonnant l'idéologie de la "domination sur la nature" et en acceptant que les technologies ne sont pas neutres, ce qui implique une profonde révolution culturelle.

- 3°) que la lutte se poursuive jusqu'à l'instauration d'un socialisme mondial.

Aucune de ces conditions n'ont été remplies dans les sociétés qui ont entamé une rupture avec le capitalisme. C'est la raison pour laquelle leur bilan écologique est catastrophique, et dans certains cas pire que celui du capitalisme. Tirant les leçons de ce bilan, la LCR opte pour l'écosocialisme, autrement dit pour un projet socialiste qui intègre explicitement les trois conditions énumérées ci-dessus.

Voir ci-dessus