La révolution et le parti dans la pensée de Gramsci, une actualisation
Par Dan Jakopovich le Dimanche, 03 Août 2008 PDF Imprimer Envoyer

Cet article tente de présenter les contributions fondamentales d’Antonio Gramsci à la théorie de la transformation sociale révolutionnaire. En particulier il s’attache au rôle du parti révolutionnaire en tant qu’institution centrale du conflit révolutionnaire : sa position en tant que « prince moderne » et « intellectuel collectif » et sa relation avec les différents acteurs sociaux-politiques (ses alliés et opposants, les différentes classes, l’État et la société civile).

Ce faisant je traite également la contribution de Gramsci à la théorie et à la pratique démocratique, au travers du prisme du conflit social, du mouvement social et du parti révolutionnaire. Cela renvoie aux questions de la participation des masses et du concept de la « volonté générale », aux rapports entre « l’avant-garde » idéologique et les masses, à la tension entre les concepts du « centralisme démocratique » et de la « démocratie directe », aux dangers du substitutionnisme, etc.

J’essayerai également d’identifier les éléments — implicites dans la pensée de Gramsci — qui renvoient à la question de la construction de la paix. Je pense au rapport dialectique entre la guerre de position et la guerre de mouvement, à celle de l’hégémonie idéologique et matérielle, en particulier aux problèmes du consentement et de la coercition, à la puissance et à la force matérielle dans le changement social comme éléments potentiellement contradictoires avec une stratégie de transformation de la conscience et de non-violence révolutionnaire visant l’établissement d’un ordre social consensuel, véritablement démocratique et civilisé.

Philosophie de la praxis

L’œuvre de Gramsci est une tentative exceptionnellement anticipatoire du développement d’un marxisme politique-stratégique, exempt de la confiance fataliste dans les « lois historiques immuables », indépendantes de l’initiative humaine. Gramsci a placé l’activité humaine au centre du processus révolutionnaire. Il voulait ainsi reconstituer et réintégrer les éléments de la totalité et la dimension subjective créatrice de la politique socialiste, longtemps négligés et particulièrement dégradés dans le marxisme officiel et dogmatique de la IIe Internationale. A son avis, le quiétisme politique, la dépolitisation et la passivité de la IIe Internationale étaient en partie la conséquence de sa compréhension positiviste, « objectiviste » et matérialiste vulgaire des changements de systèmes sociaux. A son avis l’épistémologie matérialiste simpliste de la IIe Internationale n’était qu’une forme de l’idéalisme à l’envers. Les deux se caractérisent par la même métaphysique vide et peu profonde — le réductionnisme des polarités sujet-objet, idéalisme-matérialisme, volontarisme-déterminisme, structure-conscience etc. Le matérialisme vulgaire et mécaniste et l’idéalisme sont désespérément non-dialectiques dans leur déterminisme peu sophistiqué. Ils s’opposent à la construction d’une stratégie révolutionnaire viable alors que la vie manifeste « une interaction complexe des forces subjectives et objectives » (1).

Comme un des fondateurs de la philosophie de la praxis marxiste moderne, il fut un des premiers à prendre en compte les dynamiques entre « base » et « superstructure » (sans nier le déterminisme ultime de l’économie, qui n’est pourtant pas nécessairement toujours dominant). En suivant les géants intellectuels comme Benedetto Croce et (peut-être encore plus) Antonio Labriola, Gramsci voulait atteindre l’unité dialectique réciproque entre théorie et pratique, entre pensée et action, entre sujet et objet. Il voulait construire une théorie « ouverte », non orthodoxe, pertinente pour les masses, capable de stimuler et de réveiller leur potentiel créatif. Des formules fixes, irréfléchies sont inutiles. Les contradictions du capitalisme ne vont pas simplement « exploser », elles doivent au contraire être saisies par un effort conscient.

Démocratie ouvrière directe

C’est pendant les grèves de masse et les occupations d’usines en Italie, au cours du « Biennio rosso » (les deux « années rouges » de 1919-1920), que la nouvelle philosophie de la praxis de Gramsci s’est développée très vite, en particulier dans les pages du journal légendaire L’Ordine Nuovo (co-fondé par lui en mai 1919), lorsqu’il commence à articuler le thème des conseils d’usine (consigli di fabbrica) et des soviets comme étant les formes organisationnelles centrales d’une démocratie socialiste émanant de la base. Ce « journal des conseils des usines » devait servir comme catalyseur pour ce développement qui articulait les impulsions démocratiques naissantes, contribuant à la transformation de la conscience de masse et à la formation possible d’une « République des Conseils » fondée sur la démocratie directe. « L’existence des conseils donne aux travailleurs la responsabilité directe de la production, les amène à améliorer leur travail, met en place une discipline consciente et volontaire, et crée la psychologie du producteur, créateur de l’histoire (2). (…) Toute la masse participe à la vie du conseil et prend conscience de son importance à travers cette activité. » (3)

Contrairement au caractère vivifiant des conseils, ces organes historiques de l’auto-émancipation de la classe ouvrière qui lui donnent le pouvoir et la dignité, la conscience et la structure bureaucratique du syndicalisme, souvent sectoriel, étroit et réformiste, sont un facteur de dépolitisation. L’attitude corporatiste basée uniquement sur les intérêts immédiats ou à court terme est contraire au développement de l’unité et de la solidarité de la classe ouvrière et encore plus à la construction d’alliances multiclassistes ou de fronts uniques.

Les syndicats par eux-mêmes, ne sont pas les instruments adéquats pour la tâche d’une transformation sociale radicale. Gramsci ne prônait pourtant pas le retrait du mouvement ouvrier ou des syndicats (qui peuvent toujours réaliser certaines fonctions d’unification et de défense), car la possibilité d’une offensive sociale allant au-delà du syndicalisme est conjoncturelle et dépend d’une variété de facteurs qui ne sont pas tous déterminés par la volonté subjective. Sa perspective à long terme était cependant fondée sur le développement de l’auto-organisation de la classe ouvrière, le but étant clairement de « créer ici et maintenant une authentique démocratie ouvrière – une démocratie ouvrière en opposition réelle et active à l’État bourgeois » (4).

Ordine Nuovo et les écrits de Gramsci furent les élaborations théoriques les plus importantes du communisme des conseils italien.

Parti révolutionnaire ou « prince moderne »

A l’issue de la défaite des conseils ouvriers (qui n’avaient pas réussi à rompre avec la sphère corporative-économique, laissant intacte l’autorité politique et militaire de la bourgeoisie) et de la trahison du Parti Socialiste Italien (PSI), partiellement ossifié et opportuniste, la majorité du groupe Ordine Nuovo entra dans le Parti Communiste Italien (PCI) récemment fondé lors du Congrès de Livourne de 1921. Pour Gramsci, une des tâches révolutionnaires cruciales consistait alors dans le développement d’un élément subjectif cohérent capable de diffuser une perspective socialiste alternative, d’intervenir dans les mouvements sociaux larges (la « société civile ») pour généraliser les luttes et aider à la fondation d’une nouvelle administration (la nouvelle « société politique ») et d’un système social nouveau. Il fallait construire le PCI comme une organisation massive de combat, fortement structurée et très flexible, un « parti d’avant-garde » compact et « implanté dans les masses » (5). Galvanisant les luttes, porteur d’une conscience critique et active, ce parti devait enflammer les masses. Son rôle devait être formateur et coordinateur, celui d’un pédagogue de la praxis. Le PCI devait devenir l’agent du changement organisé.

Il serait tout à fait erroné de considérer les conseils démocratiques que prônait Gramsci (en premier lieu ceux de la période du « Biennio rosso ») comme relevant d’un spontanéisme anti-organisationnel, typique chez ceux qui s’opposent à l’intervention des organisations politiques socialistes dans le processus révolutionnaire. Concevoir la stratégie gramscienne comme une forme grossière de substitutionnisme (ou de despotisme minoritaire) serait faire fausse route également. Ce qu’il voulait c’était « un parti des masses qui, par leurs propres efforts, luttent pour leur libération de la servitude politique et industrielle, de façon autonome à travers l’organisation de l’économie politique et non d’un parti utilisant les masses au service de ses propres efforts héroïques visant à imiter les Jacobins français » (6).

Le rôle « d’avant-garde » du parti est lié à son rôle de direction idéologique et organisationnelle et non à celui d’une formation « inorganique » parasitaire, imposée au mouvement. Gramsci posait le problème de la notion du « sens commun » comme une forme primitive, ambiguë et contradictoire de la conscience majoritaire, facile à manipuler dans l’intérêt des élites. Sa position, en particulier dans ses premiers écrits, ceux d’avant qu’il n’ait rejoint le Komintern (IIIe Internationale), se situait quelque part entre un spontanéisme naïf, qui élude le rôle d’entités politiques organisées, et un centralisme Jacobin, qui réduit tout le problème à l’insertion d’un « élément extérieur ». « Cet élément de “spontanéité” n’était ni négligé ni même méprisé. Il était formé, dirigé, purgé des contaminations externes ; le but était de l’aligner avec la théorie moderne (le marxisme) — mais d’une manière vivante et historiquement efficace. (…) Cette unité entre la “spontanéité” et la “direction consciente” ou la “discipline” c’est précisément l’action politique des classes subalternes, dans la mesure où il s’agit d’une politique des masses et non d’une aventure de groupes qui prétendent représenter les masses. » (7)

En suivant ses écrits, on peut absolument affirmer que la vision de Gramsci n’était nullement celle d’un parti d’avant-garde oligarchique et hautement centralisé (bien qu’il fut certainement en faveur d’un haut degré de « centralisme démocratique ») mais bien d’un parti socialiste de masse avec une base large, qui consolidait les éléments les plus combatifs et critiques de la société (en particulier provenant de la classe ouvrière), « enraciné dans la réalité sociale de tous les jours et lié à un large réseau de structures populaires (par ex. les conseils d’usine et les soviets) ». (8) Il s’agit d’une conception d’unité dialectique de la politique et de l’économie, une thèse de travail compatible avec une stratégie politique démocratique, bien que Gramsci n’ait pas suffisamment développé ni clarifié la relation entre la lutte macro-structurelle et la transformation des relations humaines au niveau micro — destruction des structures autoritaires antidémocratiques, de la hiérarchie et de la division du travail rigide, tant à l’intérieur du parti révolutionnaire que dans les processus sociaux et au travail. Toute la rationalité bureaucratique et technocratique dominante, qui réduit les êtres humains au rang d’automates obéissants, doit faire face à une opposition active et non être silencieusement acceptée. Il faut noter ici l’appel beaucoup moins ambigu de Rosa Luxemburg pour les droits démocratiques les plus larges. Mais Gramsci avait certainement raison quand il réclamait l’adoption de mesures visant à réduire la possibilité d’une obstruction interne au parti — la liberté de débat ne devait pas être faussement interprétée comme la justification de la paralysie politique de l’organisation. Il plaidait pour maintenir à tout moment un haut degré de continuité, une unité disciplinée dans l’action, une préparation et une efficacité dans le combat.

Le « léninisme » de Gramsci (en particulier dans sa phase précoce de la période du « Biennio rosso », alors que les Thèses d’Avril et L’État et la Révolution de Lénine et le mot d’ordre « tout le pouvoir aux Soviets ! » jouaient un rôle central) semble être déterminé dans une large mesure par sa connaissance limitée de la réalité soviétique, identifiée par lui au gouvernement par les travailleurs et les citoyens (par exemple dans son article Démocratie Ouvrière). A l’origine, Gramsci considérait le léninisme presque exclusivement comme une nouvelle idéologie du pouvoir des travailleurs qui dépassait le réformisme étriqué ou l’économisme par sa compréhension dialectique de l’interaction entre l’économique et le politique — une idéologie qui permettait d’aider à la construction de la classe ouvrière comme une classe pour soi, d’aider la classe ouvrière à acquérir la conscience d’une classe dirigeante de la société (« la classe élémentaire »), un sujet historique qui auto-gouverne et qui s’actualise. L’usage du terme de « dictature du prolétariat » dans ce contexte, correspond au concept du règne des producteurs ou de la démocratie ouvrière, comme cela apparaît évident dans plusieurs de ses écrits (9). La conception gramscienne de « l’État » socialiste est radicalement différente de la machine d’État exploiteuse, qu’elle soit capitaliste ou bureaucratico-collectiviste, considérée par lui comme inutilisable pour le nouvel ordre social. Pourtant, il est facile de critiquer Gramsci pour son suivisme partiel par rapport au jeune État soviétique et au parti bolchevique et plus particulièrement son manque de position critique envers la théorie et la pratique du de l’Internationale communiste.

Pour Gramsci, le parti révolutionnaire en tant qu’organisation des éléments les plus avancés, les plus conscients et cohérents, les membres-organisateurs formés et préparés, ne doit pas être confondu avec le mouvement large au sein duquel il doit intervenir. Ceci ne l’empêche pas de devenir lui-même une organisation de masse.

Du point de vu organisationnel, le parti doit fonctionner de manière « organique » (ressemblant à un organisme biologique) et non bureaucratique, sur la base du centralisme démocratique et de l’interaction réciproque des différents niveaux décisionnels, à travers « une insertion continue des éléments venus de la base dans le cadre solide de l’appareil de direction qui réalise la continuité et l’accumulation régulière de l’expérience » (10). L’État organique a été considérée comme un mécanisme défensif, nécessaire pour la préservation de la démocratie interne du parti et de sa pratique publique démocratique : « …les organes centraux et locaux doivent toujours considérer leurs pouvoirs respectifs non comme étant imposés d’en haut, mais comme l’émanation de la volonté du parti » (11).

En plus, les organes du pouvoir populaire direct, tels les comités de grève ou les comités de base (comitati de base), les commissions internes, les assemblées municipales de démocratie directe, les réseaux de délégués syndicaux, etc. jouent un rôle crucial dans le mouvement anticapitaliste. Ils mettent en pratique le potentiel d’auto-organisation et sont des éléments supplémentaires de protection et des garde-fous contre une possible domination hiérarchique des organisations politiques (y compris des révolutionnaires bien intentionnés) sur les masses travailleuses. Pourtant ces organisations ne sont pas en soi suffisantes (12).

Gramsci a clairement posé la question de la préfiguration de la démocratie directe. Pourtant il semble avoir quand même été moins préparé que Rosa Luxemburg pour produire par exemple un programme plus précis en ce qui concerne « l’auto-abolition » du parti révolutionnaire en tant qu’organe de décision progressivement remplacé par un système libre d’autogestion. Gramsci a cependant tenté de lier d’une façon dialectique l’organisation et la spontanéité (en transcendant les deux extrêmes), lorsqu’il a noté dans sa jeunesse que « le processus révolutionnaire peut uniquement être identifié avec un mouvement spontané des masses travailleuses (…) le parti socialiste est sans aucun doute “l’agent” le plus important dans ce processus de destruction et de reconstruction, mais il n’est pas et ne peut pas être conçu comme la forme de ce processus, une forme malléable dans les mains de ses dirigeants » (13).

Pourtant, Gramsci n’a jamais réussi à « résoudre » la tension fondamentale entre le besoin de préserver la démocratie du parti et la nécessité de construire une organisation de combat solide « implantée en profondeur dans toutes les branches de l’appareil d’État bourgeois, capable de le blesser et de lui infliger de graves défaites dans les moments décisifs de la lutte. » (14).

« Intellectuel collectif » et mode organique

Partant du concept de Georges Sorel du « mythe » de la Grève Générale, Gramsci reconnaît l’importance de normes communes, des concepts et symboles que le parti doit pouvoir fournir en tant « qu’intellectuel collectif » ou « prince du mythe » sensible à la tâche de créer un appel émotionnel dans lequel fusionne le cognitif et l’émotionnel. Le parti doit en premier lieu être le héraut d’une vision du monde éthique et philosophique ouverte et nouvelle et non le dépositaire d’un système fermé de dogmes « scientifiques » immuables.

Dans la théorie révolutionnaire de Gramsci, le Parti, organe le plus conscient de la praxis révolutionnaire (de l’initiative politique, économique et culturelle résolue), est aussi obligé de former ses propres intellectuels « organiques » critiques, les tribuns démocratiques combatifs du peuple, impliqués dans la vie des masses et dévoués aux idéaux de liberté, d’égalité et de solidarité humaines. Ces intellectuels critiques, en cherchant à créer une unité organique, égalitaire avec les classes inférieures et avec tous les opprimés, doivent servir la cause révolutionnaire comme les porteurs avancés de l’espoir et du progrès, démystifiant l’idéologie dominante, organisant une contre-hégémonie. Ils doivent donner le pouvoir aux masses en les guidant et en guidant le genre humain rendu infirme par l’ordre capitaliste, « vers une conception plus élevée de la vie » (15).

Gramsci lui-même était le prototype de l’intellectuel organique et du défenseur passionné des droits des opprimés. Peut-être que le fait d’être bossu, et le sentiment de douleur émotionnelle et de rejet, l’ont aidé à développer une sympathie profonde avec les humbles, les exclus et les opprimés, une sympathie qui lui a permis de tenir lors des terribles périodes de déception au cours de plus de onze ans d’emprisonnement fasciste brutal, qui le mènera à une mort prématurée.

Un véritable parti révolutionnaire doit établir un lien organique réel avec la conscience populaire en se plaçant à la tête du mouvement anticapitaliste sans essayer de le dominer de façon antidémocratique. Le réformisme de la IIe Internationale n’était pas simplement un symptôme de la « trahison de la direction » ou du manque de crises économiques suffisantes, c’était aussi l’échec d’une lutte de classe « spontanée », sans direction — et du dogmatisme d’un parti sans vie et sclérosé — incapable d’effectuer un changement important dans les condition de vie des travailleurs et incapable de produire une vraie conscience socialiste contre-hégémonique internalisée.

La tragédie de la gauche au XXe siècle est peut-être largement due à son « incapacité à créer une “psychologie de masse” qui lui permettrait de “parler la langue des masses” avec de l’imagination émotionnellement attractive. Son marxisme avait tendance à être trop schématique et trop abstrait » (16). En ignorant en grande partie la psychologie humaine et en négligeant les facteurs stratégiques et idéologiques qui influencent le changement, beaucoup de marxistes ont prouvé à maintes reprises qu’ils avaient peu de liens avec la réalité et avec la conscience populaire. Dans une veine ressemblant à celle de Gramsci, Wilhelm Reich remarquait de façon brillante : « Nous présentions aux masses une analyse historique superbe et des traités d’économie sur les contradictions de l’impérialisme tandis que Hitler remuait les racines les plus profondes de l’être émotionnel. Comme l’aurait dit Marx, on a laissé la praxis du facteur subjectif aux idéalistes ; nous avons agi comme des matérialistes mécanistes et économistes. » (17) Les marxistes n’ont pas pu répondre aux préoccupations, besoins, peurs et désirs des masses et c’est la raison pour laquelle ils sont restés isolés. « Une ligne politique et économique globale, si elle veut créer et préserver un socialisme international, doit trouver des points de contact avec la vie de tous les jours, triviale, banale, primitive, avec les désirs des masses les plus larges… » (18) Gramsci se situe dans la tradition sous-évaluée des révolutionnaires qui voulaient pénétrer dans le cœur de cette conscience populaire, et le mouvement socialiste italien a réussi souvent à profiter de l’itinéraire théorique et pratique qu’il a élaboré.(19)

La démocratisation du concept d’intellectuel par Gramsci, injecte une vitalité particulière dans sa théorie et sa pratique, c’est une vision intégrale qui va au-delà des limites des classifications officielles : « En définitive, chaque homme, en dehors de son activité professionnelle, porte une forme d’activité intellectuelle, c’est-à-dire qu’il est “philosophe”, artiste, homme de goût, qu’il participe à une vision du monde, qu’il possède une morale de comportement conscient et qu’il contribue en conséquence à soutenir ou à modifier une conception du monde, c’est-à-dire à engendrer de nouvelles façons de penser » (20). Les nouveaux intellectuels ne portent donc pas seulement une fonction mentale et sociale hautement spécialisée et élitiste — ils sont « une part organique de la communauté ; ils doivent articuler les valeurs nouvelles à l’intérieur du langage commun et des symboles d’une culture plus large » (21). En effet : « La façon d’être des nouveaux intellectuels ne peut plus consister en une éloquence qui met en mouvement les sentiments et les passions de façon extérieure et momentanée, mais ils doivent participer activement dans la vie pratique en tant que constructeurs, organisateurs, motivateurs permanents, et pas simplement comme orateurs » (22). Les nouveaux intellectuels en tant que tels, comme force internalisée et non imposée, doivent entraîner les masses dans leur philosophie libératrice, en évitant un mode de communication élitiste, obscur et aliénant qui favorise une passivité anti-intellectuelle dans le peuple. La nouvelle conscience libératoire doit être liée de manière organique, intégrée dans le tissu social et culturel de la classe ouvrière. Elle doit être exprimée dans les termes du moment historique, les mots à la portée de tous.

Gramsci ne sous-estimait pas l’importance de la « conquête »-assimilation d’intellectuels traditionnels (en indiquant, entre autres, la possibilité d’une autonomie professionnelle, d’une sécurité et d’un respect plus importants). Il n’en mettait pas moins l’accent sur la nécessité d’une nouvelle couche d’intellectuels de la classe ouvrière, capable d’élaborer une relation véritablement organique et démocratique avec les masses travailleuses, absolument indispensable (à long terme) pour le développement d’une nouvelle conscience populaire intégrée et enracinée dans la réalité des masses. Les intellectuels traditionnels eux-mêmes peuvent parfois être « re-socialisés » en développant une relation démocratique avec les masses.

Par ailleurs, la liberté des fractions (bien que — et c’est sujet à controverse — Gramsci était opposé à la formation de fractions permanentes), celle d’un débat ouvert, sont une nécessité pour la démocratisation de l’activité intellectuelle et pour la politique en général. Personne ne doit devenir irremplaçable. Le parti révolutionnaire, en tant qu’« intellectuel collectif » (avec un degré d’homogénéité et de volonté collective) ne doit pas perdre le contact avec les masses ni devenir bureaucratique, il doit devenir une école de démocratie et de pensée libre, formant ses cadres (en fait, chaque membre du parti devrait devenir un intellectuel organique) et aussi de larges segments de la classe ouvrière et des mouvements ouvriers et sociaux. La théorie elle-même doit être démocratisée ; la mentalité « professionnelle » et corporatiste des intellectuels doit être contestée et Gramsci est parmi les penseurs égalitaires et les très rares organisateurs politiques qui ont essayé (même si pas toujours de façon cohérente) à détruire la division historique du travail entre les intellectuels et les masses (ou les « militants de base ») à l’intérieur du mouvement révolutionnaire et dans la société en tant que telle.

« Bloc révolutionnaire historique »

Contrairement à certaines affirmations, Gramsci avait des réserves concernant le caractère universel de l’exemple russe, surtout parce que son but était toujours l’explication et le développement d’un marxisme italien, spécifique, organique, enraciné dans les conditions italiennes : dans la culture, les coutumes, le contexte socio-économique, les besoins et les aspirations du peuple italien. En effet, la lutte pour une nouvelle hégémonie ne peut pas seulement se limiter aux problèmes de classe mais elle doit s’engager dans la totalité de la vie sociale, être « la force motrice d’une expansion universelle, d’un développement de toutes les énergies nationales » (23). Comme Lénine l’a noté de manière réaliste : « Celui qui s’attend à une révolution “pure”, ne la verra jamais » (24). Le parti révolutionnaire doit se mettre à la direction de beaucoup de mouvements sociaux non-classistes et de courants sociaux, ce qui ne pourra pas se réaliser de manière démocratique si on empêche par la force (ou sournoisement) l’autonomie réelle des autres organisations ou tendances.

La solidarité internationale, la coopération et la coordination ne doivent pas être faussées par l’imposition d’un modèle « révolutionnaire » insensible aux spécificités nationales. Il est important de mentionner ici que son concept du « national-populaire », du caractère national du mouvement pour le changement, bien que cela puisse inclure un sentiment patriotique, n’a rien à voir avec du nationalisme étroit — il est l’expression de son instinct politique fortement incrusté dans la réalité sociale (« l’analyse concrète des conditions concrètes »). Son attitude dialectique ne permet jamais l’abandon d’une position qui est en même temps active et énergiquement internationaliste (25).

Gramsci était inflexible sur le fait qu’une politique vraiment révolutionnaire devait se baser sur le front unique et le pluralisme socialiste comme le produit « d’un consensus national autour d’initiatives et d’actions par le pouvoir de la classe ouvrière » (26). Il ne s’agit pas d’un concept de collaboration de classe (comme celui qui a été mis en pratique par le courant dominant dans Rifondazione Communista), d’une alliance électorale à court terme ou de coalitions au sommet (« fronts populaires » etc.) qui se substituent au mouvement large mais d’un bloc historique durable, un système d’alliances cimentées par une vision commune et capable de réagir contre la complexité croissante de la société civile et contre les tendances centrifuges dans la classe ouvrière (et aussi dans les « classes moyennes »), les différenciations et diversifications dans le capitalisme développé. Il est impossible de contester sérieusement la classe dirigeante, sans contester les tendances vers la fragmentation des secteurs opprimés et progressistes de la société, sans une certaine cohésion idéologique et organisationnelle, sans la mobilisation et le soutien des masses. Mais la ligne générale de cette approche est basée sur « l’unité dans la multiplicité » (Virginia Woolf) — une pluralité d’identités possibles — plutôt que sur une espèce d’uniformité forcée.

Le rôle dirigeant doit néanmoins appartenir à la classe ouvrière, qui n’a pas comme option viable l’exploitation ou le parasitisme d’autres groupes de la société. Ceci implique aussi la nécessité d’un degré de compromis et de concessions (restant principielles) de la classe ouvrière envers ses alliés si l’on veut prendre au sérieux la stratégie de front unique. « On peut employer la force contre des ennemis, mais pas contre une partie de son propre camp qu’on veut assimiler rapidement, sa “bonne volonté” et son enthousiasme nous sont nécessaires » (27). Ce processus n’est évidemment pas sans contradictions. La question n’est pas de les éviter complètement, mais comment minimiser en même temps les éléments d’opportunisme et d’antagonisme qui feraient perdre tout pouvoir.

La stratégie du front unique (fusionnant des couches sociales auparavant souvent antagonistes) est une nécessité aussi bien pour la conquête du pouvoir que pour la fondation d’un ordre nouveau basé sur une volonté collective. Dans « Que faire ? » Lénine appelait aussi les révolutionnaires à « aller parmi toutes les classes de la population » pour organiser à partir de ces éléments, des « détachements auxiliaires » pour la classe ouvrière (28). On ne peut pas simplement déterminer la dissidence sur une base de classe ou de statut social. Malheureusement, le mouvement ouvrier contemporain continue de présenter les intérêts des travailleurs d’une façon corporatiste et économiste étroite, comme si la classe ouvrière n’était qu’un « groupe avec des intérêts spécifiques » parmi d’autres. Ce n’est pas sur une telle base que pourra se construire une offensive politique et une hégémonie durable.

A travers l’organisation d’un contre-pouvoir, le parti révolutionnaire et le front unique essaient également d’exercer une influence disciplinaire sur des éléments non-alliés (ce qui inclut souvent les classes « intermédiaires »), pour les contenir et pour neutraliser leur influence réactionnaire possible (bien que cette subordination passive soit, à long terme, en général moins solide qu’un consensus actif), s’il n’est pas possible de garantir leur participation sous la direction révolutionnaire des travailleurs. « Le groupe dominant est coordonné de manière concrète avec les intérêts généraux des groupes subalternes, et la vie de l’État est conçue comme un processus continu de formation et de dépassement d’équilibres instables (au plan juridique) entre les intérêts du groupe fondamental et ceux des groupes subalternes — équilibres dans lesquels les intérêts du groupe dominant l’emporteront, mais cela seulement jusqu’à un certain point, c’est-à-dire en évitant des intérêts économiques corporatistes étroits » (29).

Le parti doit s’opposer constamment à tout sectarisme et maintenir à tout moment son enracinement dans le mouvement de masse. Pendant toute sa vie avant la prison, Gramsci a dû se battre avec les maximalistes, « ultra-gauches » et en même temps autoritaires de la fraction dirigée par Amadeo Bordiga, caractérisée par la stérilité politique et par une tendance accentuée vers la marginalisation à travers une intransigeance idéologique sectaire. Bordiga était peu disposé à traiter des impératifs inévitables du consensus. Tandis que les fascistes consolidaient leur dictature, le purisme irresponsable et auto-marginalisant d’organisations et de fractions déterminées à préserver leur « virginité » politique, détruisait les possibilités d’un front unique efficace, d’une large alliance des forces sociales autour de la classe ouvrière, contre le terrible ennemi. Il était déjà trop tard lorsque le comité central du PCI adoptait enfin au congrès de Lyon en 1926, la position pragmatique de Gramsci. Cette année même, Bordiga et Gramsci furent arrêtés et déportés sur l’île d’Ustica.

C’est en grande partie à cause de la différentiation continue de la classe ouvrière et aussi de la diversification des nouveaux mouvement sociaux (l’écologie, les questions sexuelles et de genre, les mouvements communautaires, etc.) que la stratégie de front unique reste toujours d’actualité — ainsi que (ajouterai-je) la nécessité d’un parti universel mais non-monolithique révolutionnaire — dans les pays les plus développés en particulier.

Hégémonie idéologique

Le développement d’une contre-hégémonie est lié avec le projet de construction d’un front unique durable à long terme. Dans la pratique capitaliste moderne d’exercice de la domination de classe, un des développements les plus significatifs consiste dans le changement de la relation entre l’État et la société civile, le rôle accru et grandissant de l’hégémonie idéologique, le contrôle et la manipulation idéologique subtile mais envahissante, le consensus « populaire » réalisé non par la simple contrainte ou la menace de contrainte physique (bien que cet élément continue à jouer un rôle) mais à travers la culture de masse, « l’industrie de la conscience » (Hans Magnus Enzensberger) raffinée, comprenant l’éducation, les médias, les divertissements, les pratiques et les croyances sociales populaires, la loi, etc. On ne peut pas combattre cette hégémonie sur le seul niveau institutionnel ; une « contre-hégémonie » socialiste (Gramsci aurait parlé d’une nouvelle « culture intégrée ») doit se construire sur le long terme si la lutte veut être durable. Le capitalisme est « un ensemble de relations », on ne peut pas s’y opposer de manière partielle ou particulariste. En effet « la société civile est devenue une structure très complexe et qui résiste aux “incursions” catastrophiques de l’élément économique immédiat (crises, dépressions, etc.) » (30).

Parce qu’il a anticipé sur ces thèmes, qui deviendront centraux dans la théorie critique de l’École de Francfort, Gramsci fut qualifié « le théoricien révolutionnaire peut-être le plus précoce du capitalisme avancé » (31). Il a été décrit comme un fin observateur de la vie moderne et comme un stratège politique d’une grande souplesse. Il a aussi été vu comme le précurseur des « nouveaux mouvements sociaux » et l’avant-coureur de l’émancipation humaine totale, qui allait devenir un élément notoire dans les années 1960. Ceux qui (comme Carl Boggs) font ce lien, argumenteront probablement qu’il est nécessaire de rejeter la « ligne de la moindre résistance » et d’opposer à la logique socioculturelle du capitalisme contemporain — une logique qui bloque le développement d’une conscience anticapitaliste plus profonde et plus conséquente — la politique anticapitaliste de la vie quotidienne.

Une nouvelle Renaissance, un renouveau intellectuel et moral — une explosion d’énergie contre-culturelle créative — est un ingrédient indispensable pour un changement social radical. L’accent mis par Gramsci sur l’importance de « la guerre de position » et sur la construction d’une nouvelle culture, montre son engagement sur la notion d’une révolution « totale » (politique, sociale, culturelle). Il s’agit d’une transformation qui n’affectera pas seulement les institutions politiques formelles, mais aussi le style de la vie de tous les jours et les conceptions de la vie (civiltà). Il désirait ardemment la « libération de l’esprit, l’établissement d’une nouvelle conscience morale » (32). Le but à long terme ne pourrait être que l’épanouissement d’une nouvelle culture humaine. Négliger ou mettre de côté cet élément crucial du processus révolutionnaire, enraciné dans la subjectivité créative, serait une trahison de la révolution sociale anticapitaliste elle-même. Si cette affirmation est correcte, il est toujours possible de choisir avec sagesse ses batailles. Le parti révolutionnaire est en général une entité totalisante-universalisante mais des regroupements spécifiques de fronts ou des associations qui ne sont pas directement liées au parti, peuvent être mis en place ou soutenus indirectement dans des cas où il s’agit de questions plus controversées. Pour autant, beaucoup des vieilles inconsistances typiques des organisations radicales (comme par exemple le refus ou l’incapacité de contester les normes sexuelles dominantes) devront être dépassées (d’une façon tactique intelligente) par les organisations révolutionnaires du futur. « Chaque révolution a été précédée par un travail intense de critique sociale, de pénétration et de diffusion culturelle » (33).

Bien qu’une nouvelle hégémonie culturelle intégrale soit probablement impossible avant de parvenir au pouvoir matériel, parce qu’elle avance selon une spirale tortueuse hautement dépendante de l’existence matérielle concrète des masses (car la logique socioculturelle capitaliste est très profondément enracinée), la réalisation d’une hégémonie politique plus directe mais limitée (incluant plus particulièrement les quelques concepts-clés qui sont cruciaux pour le maintien du « sens commun » dominant) ne peut pas être différée, parce que c’est un des facteurs décisifs pour évaluer la possibilité même d’une prise de pouvoir politique immédiate. Il serait probablement imprudent de s’attendre à — ou d’essayer de réaliser un — changement idéologique complet avant la montée d’une réalité matérielle nouvelle (Gramsci était certainement de cet avis). Il est peut-être plus souvent nécessaire de trouver le moyen de neutraliser ou de subvertir les effets réactionnaires de la morale dominante, des normes culturelles ou sociales au lieu de s’y opposer directement avant la naissance d’un nouveau système politique et économique (la théologie de la libération en est un bon exemple). Cette proposition élargit les options disponibles pour une approche non frontale qui mène plus souvent vers un lien réussi avec les masses dans leur situation actuelle réelle. Discuter de la stratégie d’un changement idéologique à travers le prisme de la société actuelle en mouvement, est souvent plus constructif que d’opposer au monde contemporain une structure statique idéaliste. Comme Gramsci, nous devons apprécier les éléments appropriés de la continuité et construire sur leur base, de même que nous radicalisons et capitalisons les éléments appropriés de discontinuité du présent avec le passé. Si on les utilise de façon dialectique, les deux perspectives peuvent être utiles. Elles laisseront un ample espace pour l’élargissement des horizons populaires et offriront des alternatives viables par rapport aux modes de vie dominants (aussi en assimilant les réussites du passé dans la structure du futur ) ; il ne s’agit donc pas d’un opportunisme sans principes mais d’un appel pour une approche réfléchie et sensible envers les croyances et les coutumes dominantes. Je pense qu’une application gramscienne de « la guerre de position idéologique » pourrait se mener selon les lignes que je viens d’indiquer.

En continuant d’exister dans des moments de crise et d’offensives sociales, l’hégémonie idéologique capitaliste continuera à exercer une grande partie de son influence passée, en poussant même « les opprimés à accepter ou à “consentir” à leur propre exploitation et leur misère quotidienne » (34). Pourtant, une transformation révolutionnaire est impossible sans une érosion et une crise idéologique de l’ordre ancien accompagnée de la construction d’une nouvelle culture basée sur des changements matériels réels. « Chaque nouvelle pièce de Voltaire, chaque nouveau pamphlet était comme une étincelle passant dans un réseau de lignes qui s’étendaient de nation à nation, de région à région. (…) Le chemin était déjà préparé pour les baïonnettes de Napoléon par une armée invisible de livres et de pamphlets et une armée qui s’était disséminée en partant de Paris (…) et qui avait préparé les hommes et les institutions pour la rénovation nécessaire » (35).

Ce serait une fantaisie aux proportions catastrophiques que d’essayer de créer une nouvelle société sans construire au préalable partiellement une nouvelle légitimité de masse. Le changement structurel et le changement idéologique sont intrinsèquement liés. La capacité de la gauche révolutionnaire à remplacer la vieille idéologie bourgeoise, fondée sur le mensonge, l’exploitation et l’obéissance, dépendra en grande partie de son inventivité historique, de sa cohésion et de sa préparation organisationnelle et culturelle.

Dialectique du consentement et de la coercition

De nombreux écrits des Carnets de Prison de Gramsci concernent l’idée de la construction graduelle de l’hégémonie de la classe ouvrière, en mettant l’accent sur la sous-évaluation supposée de la « guerre de position » (ou « guerre de tranchée »). « En Russie, l’État était tout, la société civile était primaire et gélatineuse ; en Occident, il y avait une relation bien définie entre État et société civile, et quand l’État tremblait, la robustesse de la société civile devenait tout de suite apparente. L’État ne formait qu’une digue extérieure, derrière laquelle se trouvait un solide système de fortifications et de tranchées » (36).

Il ne faut pourtant pas mystifier cette notion d’une longue accumulation de soutien et d’une « révolution par étapes » ou de « guerre de position » (il s’agit probablement d’une réaction ouvertement schématique contre la « théorie de l’offensive révolutionnaire » aventuriste et contre une série « d’actions partielles » et d’attaques armées contre l’establishment) . Le développement à la base de réseaux de double pouvoir à l’intérieur de la société civile constitue un aspect décisif de la « guerre de position », qui doit précéder la conquête directe du pouvoir dans la société politique. Les aspects « organiques » aussi bien que « conjoncturels » de la vie politique trouvent leur place dans une totalité dialectique. La guerre de position et la guerre de mouvement possèdent une certaine complémentarité. Il ne faut pas réduire la force vitale, capricieuse et turbulente de l’histoire à une accumulation prévisible et parfaitement linéaire de forces jusqu’à l’obtention de l’hégémonie. Beaucoup d’insurrections, y compris en partie la révolution espagnole et la révolution portugaise de 1974-75, montrent l’erreur d’un manque de résolution pour élargir et prendre le pouvoir à des moments critiques du conflit, laissant ainsi suffisamment de temps et d’énergie aux contre-révolutionnaires pour consolider leurs forces et organiser une contre-offensive. Dans un tel scénario, il y a un fort danger de réticences et de démoralisation, surtout si cela est couplé avec le rejet de la stratégie de « révolution permanente ».

L’hypothèse apparemment logique de Lénine était que le moment décisif, où l’accumulation des forces doit faire place à l’assaut direct du pouvoir d’État, c’est le moment où l’activité organisationnelle de l’avant-garde populaire est à son niveau le plus élevé, tandis que la classe dominante est la plus divisée et que ses soutiens sont les plus faibles et les plus indécis (37). En plus, une tactique de « blitzkrieg » pourrait s’avérer la plus efficace quand les forces accumulées de la révolution se sont pleinement engagées dans l’action (38).

Pour des raisons internes et externes, sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici, la foi de Gramsci dans la puissance positive de l’expérience russe s’est avérée partiellement erronée. Pourtant, il serait difficile de nier le besoin général de la construction d’institutions révolutionnaires fortes et de structures organisées capables de préserver la stabilité et la continuité même en période de stagnation socialiste et de retrait. Dans ce sens, Gramsci a raison quand il souligne que « la dictature du prolétariat doit résoudre les mêmes problèmes que l’État bourgeois : l’État interne et externe. (…) Le prolétariat est peu entraîné pour gouverner et diriger ; la bourgeoisie résistera jusqu’au bout à l’État socialiste, de façon ouverte ou cachée, violente ou passive… La révolution est une chose grande et terrible, ce n’est pas un jeu pour amateurs ou une aventure romantique » (39). Bien que dans les sociétés capitalistes développées, l’idéologie et la société civile soient le mode dominant du pouvoir capitaliste, la coercition reste pourtant le pouvoir ultime déterminant. A la différence de certains « libertaires » modernes, Gramsci aurait clairement été d’accord avec le constat de Mao que « la révolution n’est pas un goûter » parce que l’État capitaliste est un « État intégral » : « la société politique et la société civile, en d’autres termes, l’hégémonie protégée par l’armure de la coercition » (40). Toutefois, la question de la forme actuelle que prend cette coercition, est pourtant trop rarement posée.

Cette stratégie qui reconnaît le rôle crucial, politiquement constitutif de la coercition et de la « société politique » (l’État, les forces armées et la police, les tribunaux, les prisons, etc. sous le capitalisme) semblerait acceptable aussi longtemps qu’on recherche l’équilibre « gramscien » entre sociétés politique et civile, et que les formes des nouvelles institutions et leurs activités ne répliquent pas aveuglément à la nature inhumaine et répressive de la coercition capitaliste et d’État, qui érode l’organisation du consensus et les potentiels à long terme pour organiser un nouvel ordre social participatif et démocratique basé sur un pouvoir populaire et l’exercice de la « volonté générale ». Gramsci lui-même admettait la possibilité que « l’élément de coercition de l’État pourrait dépérir graduellement dans la mesure ou des éléments manifestes de la société civile apparaissent » (41). Des esquisses audacieuses pour utiliser cette compréhension humaine « naïve » d’une non-violence radicale devraient être réalisées dans la construction d’une contre-hégémonie socialiste qui implique une morale nouvelle plus exigeante, un ethos anticipé de façon poétique il y a très longtemps : « Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger (…) En agissant ainsi, vous empilerez des braises ardentes sur sa tète, c’est-à-dire, vous allumerez le feu de l’amour en lui » (42). Au lieu d’une approche « superficielle » concentrée sans flexibilité sur des mesures de police administratives et punitives pour inventer et préserver l’ordre nouveau, le mouvement et l’ordre nouveau doivent être construits sur la base d’une popularité et d’un consensus large, ce qui est impossible sans la capacité de pardon et l’appel aux meilleurs instincts de l’humanité (43) et aussi sans la capacité de faire des compromis, la volonté de prendre en compte les intérêts d’autres forces sociales et de les combiner avec les intérêts de la classe ouvrière. Une avant-garde révolutionnaire qui s’attaque sérieusement à la construction d’une contre-hégémonie consensuelle a le devoir de mener ses activités (au sein des mouvements sociaux mais aussi de l’administration publique) dans l’esprit d’un humanisme authentique, de camaraderie démocratique, de compréhension et d’anti-sectarisme. La stratégie des alliances de Gramsci présuppose le rejet de toute forme de « corporatisme ouvrier », parce que le mouvement unifié contre le capitalisme doit embrasser les intérêts objectifs de toutes les couches et classes sociales alliées. Une telle stratégie basée sur la légitimité, est la seule voie pour construire une hégémonie sociale durable, stable et démocratique. Un nouvel ordre pluraliste basé sur une alliance tolérante (mais suffisamment cohérente et dirigée) des forces sociales progressistes doit être en mesure de réduire les dangers d’une contre-révolution violente.

« Non-violence révolutionnaire armée »

Le pionnier marxiste américain qui a influencé Gramsci de façon significative — Daniel De Leon — espérait qu’une majorité parlementaire ouvrière permettrait une révolution relativement « paisible » (sans effusion de sang), avec une classe ouvrière qui exercerait son pouvoir extraparlementaire comme soutien à la victoire parlementaire. Engels aussi indiquait la nature instructive d’élections comme un baromètre utile (bien qu’imparfait) des forces et il mettait en garde contre des tentatives d’insurrection prématurées (44). Gramsci, à l’opposé de son rival politique du PCI, Bordiga, rejetait l’abstentionnisme et considérait les politiques électorales comme une nécessité tactique et stratégique. Le parlement est un élément décisif dans lequel se déroule la lutte pour l’hégémonie et la légitimité de masse. Cependant, le parti doit résister à toute possibilité de se faire incorporer dans un statu-quo, dans une approche du haut vers le bas, une adaptation réformiste au système dominant (« révolution passive » selon Gramsci). Avant la première guerre mondiale, la « guerre de position » du parti social-démocrate allemand montre les conséquences catastrophiques de l’opportunisme. Gramsci s’opposait de toutes ses forces contre toute conception du parti qui l’aurait réduit à une association uniquement électorale. Il comparait les parlementaires collaborationnistes de classe et opportunistes à « un essaim de mouches du coche à la chasse d’un bol de blanc-manger dans lequel elles s’engluent et périssent sans gloire » (45). La conception de la démocratie de Gramsci ne pouvait simplement pas être assimilée aux cadres institutionnels quasi -« démocratiques » de la société capitaliste. Malheureusement, sa critique de la politique électorale et parlementaire du PSI et du syndicalisme bureaucratique demeura d’une parfaite actualité dans le monde stalinisé du PCI après la seconde guerre mondiale.

Bien que la conception pluricentrée du pouvoir de Gramsci ne liquide pas automatiquement le rôle possible d’une insurrection armée, elle la met dans un contexte socioculturel et politique plus large de l’interaction complexe qui implique des facteurs alternants, montrant la nature limitée des stratégies révolutionnaires traditionnelles.

Déjà en 1895, Engels disait « il y a déjà eu de nombreux (…) changements, et tous en faveur du militaire (…) du côté des insurgés toutes les conditions ont empiré » (46). Il écrivait que la lutte militaire des travailleurs avait « plus un effet moral que matériel », en notant du côté des militaires « la supériorité d’un meilleur équipement et entraînement, d’une direction uniforme, de l’emploi planifié des forces militaires et de la discipline » (47).

« Il ne faut pas imiter les méthodes des classes dominantes pour éviter de tomber facilement dans des guet-apens » (48). La stratégie d’une « transformation de la conscience » est un aspect décisif du changement social profond et durable. Gramsci tenait beaucoup au rétablissement du facteur consensuel en politique, et c’est sur ce terrain qu’une des contributions de Gramsci à la théorie de la non-violence pourrait se développer (49). La nécessité d’une hégémonie idéologique et le soutien des masses n’a jamais été plus grande et plus indispensable si on ne considère pas seulement les méthodes sophistiquées de contrôle idéologique capitaliste mais aussi le pouvoir destructif et meurtrier sans précédent de l’État capitaliste et des armées privées. L’approche militariste brute, tout comme une conceptualisation gandhienne simpliste, échoue à tenir vraiment compte de ces dangers — ou de possibilités alternatives. « Se fixer sur le modèle militaire est un preuve de folie : ici aussi, la politique doit être prioritaire par rapport à l’aspect militaire » (50).

Marx reconnaît la possibilité théorique de révolutions « pacifiques ». « Nous savons qu’il faut tenir compte des institutions, coutumes et traditions des différents pays ; et nous ne nions pas l’existence de pays comme l’Amérique, l’Angleterre, et si je connaissais mieux vos institutions, j’y ajouterais la Hollande, où les travailleurs pourraient atteindre leurs buts par des moyens pacifiques » (51). La prise de pouvoir par les bolcheviques s’est aussi effectuée relativement sans effusion de sang, mais même les rébellions anticapitalistes radicales et relativement non-violentes ont le plus souvent été suivies par des contre-révolutions violentes. Il ne faut pas oublier qu’en 1917, Lénine utilisait la perspective d’une transition pacifique vers le socialisme comme arme de propagande — probablement indispensable (52). Pourtant, l’existence continue d’un « noyau irréductible de forces contre-révolutionnaires » aussi bien à l’intérieur qu’à l’étranger, étatiques et privées, légales, semi-légales et illégales, et aussi le rôle que joue « la force de l’exemple » auprès des soldats — devrait nous servir d’indication concernant les limites de la persuasion verbale pour diviser et désintégrer l’appareil coercitif capitaliste de l’État et donc de la nécessité d’une « audace de classe concrète et de combat » (53) dans la rébellion anticapitaliste. Il nous faut donc repenser de manière créative l’application de ce principe.

La tâche de saper la cohésion interne du capitalisme et de l’État est absolument décisive. Les révolutions portugaise et vénézuélienne en particulier (caractérisées toutes deux par un mouvement de jeunes officiers et de soldats, bien qu’à un degré différent) montrent qu’il est toujours pertinent de faire exploser le militarisme de l’intérieur » (54).

Essayer de réaliser une révolution relativement sans effusion de sang, reste une fantaisie fatale sans un travail soutenu à l’intérieur des forces armées. Le développement et la préservation de bonnes relations avec les forces militaires (qu’il faut clairement distinguer de la politique qui les jette souvent dans des conflits sanglants) est une des priorités absolues du travail révolutionnaire préparatoire. Par des fraternisations, du travail interne secret, les forces armées devraient être soutenues comme des gens qui sont hyper-exploités au profit des élites, elles devraient être transformées en nos alliés les plus forts — sinon, il y a une grande chance qu’elles ne deviennent nos adversaires les plus terribles. C’est précisément pour pouvoir minimiser la violence, pour saboter et paralyser le système militaire de l’intérieur, que la révolution a besoin des forces armées. L’approche récemment popularisée (de façon imparfaite) par Chavez au Venezuela « pacifique mais armé » reste probablement l’approche la plus réaliste et productive. Il semble raisonnable d’éviter de trop aliéner vos opposants et de travailler vers les potentiels souvent sous-estimés de non-coopération et d’intervention relativement non-violente. Jamais on a eu plus besoin d’une synthèse dialectique supérieure à la place de la vieille dichotomie « violence — non-violence » et c’est ici que le concept raffiné de la « non-violence révolutionnaire armée » peut nous aider.

« Ceci est le cœur de mon argumentation : On peut mettre plus de pression sur l’antagoniste pour qui nous montrons le souci humain. C’est précisément la sollicitude pour sa personne, combinée avec une interférence têtue avec ses actions, qui peut nous donner un degré spécial de contrôle (justement si nous agissons tous les deux avec amour, si vous voulez — dans le sens où nous respectons ses droits humains — avec sincérité, dans le sens où nous exprimons entièrement nos objections à sa violation de nos droits). Nous exerçons sur lui deux pressions — la pression de notre défiance envers lui et la pression du respect de sa vie — et il se fait que ces deux pressions combinées sont efficaces de manière unique. (…) Plus les problèmes réels sont dramatisés et la lutte élevée au-dessus du niveau personnel, plus ceux en rébellion non-violente commencent à gagner un contrôle sur leur ennemi (…). L’action la plus efficace utilise en même temps le pouvoir et engage la conscience. » (55)

***

Le travail monumental de Gramsci, lui a valu à juste titre la renommée d’être un des plus grands dialecticiens du XXe siècle. Une des leçons les plus claires qu’il peut nous donner se trouve dans la lucidité générale de son exemple méthodologique. La construction d’une contre-hégémonie matérielle et idéologique, d’un double pouvoir matériel et d’une « révolution de la conscience » — la transformation vers le socialisme — vont exiger un niveau sans précédent de créativité historique. Malgré certaines ambiguïtés et quelques erreurs et aussi quelques détournements, il a enrichi la tradition du socialisme par en bas dédié à la création d’une République démocratique des conseils des travailleurs et des citoyens, une association de producteurs autogérée. A travers sa vie de souffrances, dans ses premiers combats et déceptions, l’angoisse terrible et le travail incertain dans le cachot fasciste, avec un optimisme de la volonté imbattable, Gramsci a toujours été derrière le drapeau rouge sur lequel était inscrite la devise « Jamais Esclaves, Jamais Maîtres », accompagnant une civilisation socialiste nouvelle et démocratique.

* Dan Jakopovich, militant socialiste démocratique croate, est rédacteur de Novi Plamen (Nouvelle Flamme : www.noviplamen.org), un magazine de gauche diffusé dans l’ensemble de l’ex-Yougoslavie. (Traduit de l’anglais par M. C. et H. P.)

1. Carl Boggs, Gramsci’s Marxism, Pluto Press, London 1976, p. 30.

2. Antonio Gramsci, Sindicato e consigli 1919, dans Carl Boggs, ibid. p. 92.

3. Ibid., p. 93.

4. Antonio Gramsci, Workers Democracy, dans Political Writings-I p. 65, dans Carl Boggs, The Two Revolutions : Gramsci and the Dilemmas of Western Marxism, South End Press, Boston, 1982, p. 82.

5. Christine Buci-Glucksmann, Gramsci and the State, Lawrence and Wishart, London, 1980, p. 157.

6. Antonio Gramsci, Two Revolutions, 1920, Political Writings-I p. 309, dans Carl Boggs, The Two Revolutions, 1982, pp. 106-107.

7. Antonio Gramsci, The Modern Prince, Prison Notebooks p. 198, dans Carl Boggs, Gramsci’s Marxism, Pluto Press, London, 1976, pp. 74-75.

8. Carl Boggs, ibid., 1976, p. 18.

9. Antonio Gramsci, Collected Works, vol. 28, pp. 455-456.

10. A. Gramsci dans Hoare and Nowell-Smith (ed.), Selections from The Prison Notebooks of Antonio Gramsci, p. 188, cité par Roger Simon, Gramsci’s Political Thought, Lawrence and Wishart, London, 1991, p.103.

11. A. Gramsci, Political Writings, 1921-1926, Lawrence and Wishart, London, 1978 dans Anne Showstack Sasoon, Gramsci’s Politics, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1987, p.364.

12. Pour un développement plus ample sur ce sujet, voire A. Gramsci, The Occupation, 1920, Political Writings-I p. 327 dans Carl Boggs, 1982, op. cit., p. 64.

13. A. Gramsci, Il partito e la Rivoluzione, cité par Carl Boggs, op.cit., 1976, p. 96.

14. Rinascita, 12 décembre 1964, pp. 17-21, cité par Perry Anderson, The Antinomies of Antonio Gramsci, New Left Review n° 100, p. 72. Cela peut conduire à des situations aussi dramatiques que celle des juges, soutenant le parti Communiste dans le Royaume de Yougoslavie, qui — pour cacher leur affiliation subversive — devaient prononcer la peine de mort pour d’autres communistes, qui auraient de toute façon été exécutés.

15. A. Gramsci, Prison Notebooks pp. 332-333, dans Carl Boggs, 1976, op.cit. p. 34.

16. Carl Boggs, 1976, op.cit. pp. 56-7.

17. Wilhelm Reich, What is Class Consciousnes, cité par Carl Boggs, ibid., p. 57.

18. Ibid., p. 59.

19. A propos du modèle « gramscien » de la politique municipale voir par exemple : Max Jaggi, Roger Muller & Sil Schmid, Red Bologna, Writers and Readers, London, 1977. Et aussi : Let us Take the City par Lotta Continua.

20. A. Gramsci, The Intellectuals, Prison Notebooks, p. 9, dans Carl Boggs, 1976, op.cit., p. 76.

21. Ibid., p. 76.

22. A. Gramsci, The Intellectuals, dans Hoare and Nowell-Smith (ed.), op.cit., p.1 0.

23. Quintin Hoare and Geoffrey Nowell Smith (ed.), op.cit., p. 182 dans Roger Simon, Gramsci’s Political Thought : An Introduction, Lawrence & Wishart, London, 1991, p. 43.

24. V. I. Lenin, The Discussion on Self-Determination Summed Up, Sbornik Sotsial-Demokrata No. 1., 1916 - http://www.marx.org/archive/lenin/works/1916/jul/x01.htm.

25. Voir par exemple A. Gramsci, State and Civil Society, Prison Notebooks, p.240 dans Boggs, 1982, op.cit., p. 140.

26.. Antonio Gramsci, Écrits politiques, Gallimard, Paris, 1975, p. 366 dans Christine Buci-Glucksmann, op.cit., p. 166.

27. Valentino Garratana (ed.), Antonio Gramsci, Quaderni del Carcere, III, Turin 1975, pp.1612-13 cité par Perry Anderson, The Antinomies of Antonio Gramsci, New Left Review n° 100, p. 19.

28. Lenin, What is to be Done, cité par Perry Anderson, ibid., p. 16.

29. A.Gramsci, Prison Notebooks, Lawrence and Wishart, London, 1971, pp. 181-182 dans Roger Simon, 1991, op.cit., p. 32.

30. Quintin Hoare and Geoffrey Nowell Smith (ed.), State and Civil Society, Selections from the Prison Notebooks, Lawrence and Wishart, 1971, p. 235 dans Carl Boggs, 1982, op.cit., p. 188.

31. Carl Boggs, 1976, op.cit., p. 18.

32. Antonio Gramsci, Political Writings-I, op.cit., p. 30.

33. Antonio Gramsci, Il Grido, 1916 dans Carl Boggs, 1976, op.cit., p. 59.

34. Carl Boggs, 1976, ibid., p. 40.

35. Antonio Gramsci, Socialism and Culture in History, Philosophy and Culture, 1916, pp. 20-21 dans Carl Boggs, 1984, op.cit., p. 45.

36. A. Gramsci, State and Civil Society, Prison Notebooks, p. 238 dans Boggs, 1984, ibid., p. 48.

37. V.I. Lenin, Marxism and Insurrection: A Letter to the Central Committee of the RSDLP, Lenin’s Collected Works, Progress Publishers, Moscow, Volume 26, 1972, pp. 22-27.

38. Pour un plus long développement de cette question on peut se reporter à mon article « Time Factor in Insurrections », Strategic Analysis, Vol. 32, n° 3, mai 2008.

39. A. Gramsci, Ordine Nuovo, Lo Stato e il Socialismo dans Christine Buci-Glucksmann, op.cit., pp. 380-382.

40. A. Gramsci, Prison Notebooks, op.cit., p. 262.

41. Ibid., p. 263.

42. Reuven Kimelman, Nonviolence in the Talmud, in Robert L. Holmes (ed.), Nonviolence in Theory and Practice, Waveland Press, Prospect Heights, 2001, pp. 24.43. Rosa Luxemburg a exprimé cette vision humaine progressiste de façon brillante : « Pendant les quatre années de ce carnage des peuples, le sang a coulé à flots. Il faudrait aujourd’hui garder chaque goutte de ce liquide précieux dans des urnes de cristal. L’activité révolutionnaire et un humanitarisme profond — ce sont les seuls vrais visages du socialisme. Il faut mettre le monde sens dessus dessous. Mais chaque larme qui coule, si elle pouvait être évitée, est une accusation et celui qui, par inadvertance, écrase un lombric, commet un crime. » (Rosa Luxemburg, Against Capital Punishment, Die Rote Fahne, n° 3, 18 November 1918 : http://marx.org/archive/luxemburg/1918/11/18c-alt.htm)

44. Friedrich Engels, Introduction to Karl Marx’s The Class Struggles in France 1848 to 1850, MECW, Vol. 27, pp. 506-24, http://www.marxists.org/archive/marx/works/1895/03/06.htm.

45. A. Gramsci, dans Chris Harman, Gramsci versus Reformism, Socialist Workers' Party, London, 1977, p. 8.

46. Friedrich Engels, op. cit.

47. Ibid.

48. Antonio Gramsci, Prison Notebooks, State and Civil Society dans Paul Le Blanc (ed.), From Marx to Gramsci : A Reader in Revolutionary Politics, Humanity Books, New York, 1996, p.317.

49. Même si Gramsci n’a certainement pas exprimé un intérêt pour la non-violence en tant que telle, « l’élasticité » ou la nature ouverte de sa théorie, propose plusieurs voies possibles, divergentes et créatives, d’un développement théorique et pratique.

50. Antonio Gramsci, dans Paul Le Blanc, ibid., p. 317.

51. K Marx, F Engels Collected Works, Vol 23, London 1988, p. 255 dans Jack Conrad, Formulation Nine and the Possibility of Peaceful Revolution, Weekly Worker 448, September 19, 2002 - http://www.cpgb.org.uk/worker/448/peaceful.html.

52. V.I. Lenin, Collected Works Vol. 24, Moscow 1977, p.120 ; V.I. Lenin, Collected Works Vol. 25, Moscow, p. 23 ; V.I. Lenin, Collected Works Vol. 25, Moscow 1977, p. 55, dans Perry Anderson, ibid.

53. Perry Anderson, op.cit., p.77.

54. Friedrich Engels, The Force Theory, dans Bernard Semmel (ed.), Marxism and the Science of War, Oxford University Press, 1981, p. 54 dans Martin Shaw, Dialectics of War, Pluto Press, London, 1988, p. 51.

55. Barbara Deming, On Revolution and Equilibrium, in Robert L. Holmes, op.cit., Waveland Press, Prospect Heights, 2001, pp. 100-102.

Voir ci-dessus