Il y a 70 ans: aux origines de la IVe Internationale
Par François Sabado le Mardi, 23 Septembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

La IVe Internationale a été fondée alors qu’il était « minuit dans le siècle »: le fascisme se déchaînait, la contre-révolution triomphait en URSS et le stalinisme étouffait le mouvement ouvrier révolutionnaire dans le monde entier. À la différence des précédentes Internationales, elle ne fut pas portée par des vagues de luttes ouvrières et une croissance du mouvement ouvrier. La Ière Internationale suivit les explosions révolutionnaires de 1848 en Europe. La IIe Internationale incarna la croissance et l’organisation du mouvement ouvrier, à la fin du xixe siècle et au début du XXe. La IIIe Internationale fut lancée après la Révolution russe. Mais la IVe Internationale se dressa à contre-courant, dans une période de défaites historiques majeures pour le mouvement ouvrier. Aussi, contrairement à certains pronostics, en particulier ceux de Trotsky qui, à l’instar de la IIIe Internationale après la Première Guerre mondiale et la Révolution russe, voyait le développement d’une IVe Internationale de masse après la Deuxième Guerre mondiale, celle-ci restera une organisation minoritaire.

Mais la fondation de la IVe Internationale ne fut pas justifiée par les pronostics ou les réponses à la conjoncture de l’époque ; elle le fut par la nécessité, face aux trahisons de la social-démocratie et du stalinisme, d’affirmer une alternative historique, un nouveau courant politique qui assure la continuité et la vitalité programmatique, théorique et politique du mouvement ouvrier révolutionnaire. Il ne s’agissait donc pas de proclamer une « Internationale trotskyste ». Il fallait, au moment où avec la guerre « tout foutait le camp », préserver les acquis du marxisme, non pas pour les mettre « sous cloche » en attendant des jours meilleurs, mais afin d’aider au combat politique et à la construction de partis révolutionnaires.

À contre-courant

L’origine, c’est l’Opposition de gauche au stalinisme. Mais la IVe Internationale, c’est beaucoup plus. Elle a maintenu une certaine vision du monde, marquée par l’internationalisme – qui déjà découlait d’une certaine globalisation capitaliste et s’opposait au « socialisme dans un seul pays » de Staline. Tout son combat était ordonné par la lutte de classe, des éléments d’un programme de transition vers le socialisme, le front unique des travailleurs et de leurs organisations, l’indépendance du mouvement ouvrier face aux gouvernements de collaboration de classes dans les pays capitalistes développés – les différentes formules de l’Union de la gauche ou de la gauche plurielle –, mais aussi vis-à-vis des bourgeoisies nationales dans les pays dominés par l’impérialisme, ce que l’histoire retiendra comme la théorie de la révolution permanente. Là ou nombre de commentateurs réduisaient leur analyse du monde du siècle dernier aux camps ou aux États – les USA et l’ex-URSS –, la IVe Internationale mettait en avant la lutte des peuples et des travailleurs contre leur propre impérialisme et la bureaucratie soviétique.

La IVe Internationale ne s’est pas cantonnée à défendre de manière générale ou dogmatique les idées marxistes. Ernest Mandel a, par exemple, analysé la dynamique du développement du capitalisme, des années 1950 à la fin des années 1970. Des documents programmatiques ont été discutés et adoptés par des congrès internationaux, sur les questions de la démocratie socialiste, du féminisme, de l’écologie. Face au stalinisme, Trotsky et son mouvement s’étaient singularisés, à partir des années 1930, par la défense tenace d’un socialisme démocratique. Ces références permirent à de nombreuses générations, surtout aujourd’hui, à l’heure où les manuels scolaires confondent communisme et stalinisme, de faire la différence entre la Révolution russe et la contre-révolution stalinienne, de garder le cap de la révolution… et de pouvoir, malgré les défaites, « recommencer ».

Car notre courant a aussi une autre singularité, même vis-à-vis des autres mouvements trotskystes : celle de reconnaître des processus révolutionnaires, anti-impérialistes et socialistes, au-delà même de leurs directions, de leur manifester une solidarité sans faille contre l’impérialisme. Nous avons clairement défendu les révolutions chinoise, yougoslave, vietnamienne, algérienne, cubaine et nicaraguayenne. En particulier, notre rapport à l’expérience de Che Guevara traduit cette volonté de se lier à ces processus révolutionnaires.

Nouvelle période…

Alors, bien sûr, cela ne s’est pas fait sans erreurs ou fautes politiques. Tout en combattant le stalinisme et en manifestant notre solidarité avec les peuples de l’Est contre la bureaucratie, notre courant a globalement sous-estimé l’ampleur des destructions staliniennes qui, à l’effondrement du bloc soviétique, ont laissé la place, non à une révolution politique antibureaucratique ou à des mouvements de masse pour le socialisme démocratique, mais à la restauration du capitalisme. Dans notre solidarité avec les révolutions coloniales, dans cet enthousiasme pour des révolutions vivantes, nous avons sous-estimé les problèmes qui leur étaient liés. Nous n’avons pas suffisamment exercé le devoir de critique. Mais les organisations de la IVe Internationale ont manifesté d’autres faiblesses, liées souvent à leur petite taille : un caractère propagandiste, certains travers sectaires, un style de « conseilleurs » politiques envers d’autres forces plus importantes, en général des partis réformistes… « Faites ce que nous ne pouvons pas faire ! », leur disait-on…

Le trotskysme a aussi pâti du fractionnalisme. On connaît l’adage : « un trotskyste, un parti ; deux trotskystes, deux fractions ; trois trotskystes, une scission… » Alors que, ces 70 dernières années, nombre d’organisations ou courants révolutionnaires ont disparu, la IVe Internationale a tenu. Elle n’a pas rempli ses objectifs historiques, elle a connu des hauts et des bas, des crises majeures dans certains pays – comme le Brésil, dans la dernière période –, mais aussi des percées, comme en France, de belles expériences, comme au Portugal, en Italie, au Pakistan ou aux Philippines. C’est un acquis considérable.

À l’heure où la LCR souhaite écrire une nouvelle page de l’histoire du mouvement ouvrier, il faut savoir d’où l’on vient, afin de « féconder d’un contenu révolutionnaire » les processus de réorganisation en cours du mouvement ouvrier. Car il s’agit bien d’un tournant historique. La IVe Internationale est le produit d’une période marquée par la force propulsive de la Révolution russe, mais son programme, sa réalité militante vont au-delà de cette histoire. Pourtant, rien n’est acquis. « Nouvelle époque, nouveau programme, nouveau parti », cela signifie aussi nouvelle Internationale. Celle-ci ne se décrète pas et le chemin sera long. Mais les camarades de la IVe Internationale feront tout pour qu’elle voie le jour.

François Sabado est membre de la direction nationale de la LCR en France

 

A lire également sur notre site sur l'histoire de la IVe Internationale:

- Septembre 1938: fondation de la IVe Internationale , par Georges Dobbeleer

- La Quatrième Internationale, 60 ans d'analyses et de combats , par Livio Maitan

- La Quatrième Internationale, continuité d'une tradition , par Daniel Bensaïd

- Le Programme de transition , le texte programmatique fondateur de la IVe Internationale

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