Sur la réforme de l’état (septembre 2007)
Par M. Lievens le Mercredi, 19 Septembre 2007 PDF Imprimer Envoyer
1.Il est devenu clair pour tout le monde que la formation du gouvernement « orange-bleu » à débouché sur une véritable crise. La bourgeoisie voyait pourtant avec satisfaction la possibilité de former un gouvernement de droite homogène qui pourrait mener une politique néolibérale plus dure. Mais les profondes divergences sur la forme de l’instrument politique (l’appareil d’Etat) qui doit mener une telle politique ont abouti à une impasse. Il y a bien entendu des caractéristique très spécifiques des rapports de forces post-électoraux qui jouent dans le cas présent : d’une part le CD&V s’est étroitement lié avec le N-VA, parti nécessaire pour arriver à une majorité chrétienne-démocrate/libérale. D’autre part, le CDH regarde surtout en direction du PS et craint une déroute électorale en 2009 s’il se compromet dans une réforme de l’état. Il plaide donc pour « mouiller » le PS (qui pourrait être nécessaire pour arriver à une majorité des deux tiers) dans les négociations, mais le CD&V et les libéraux ne veulent absolument pas de ce scénario. 

2. Toutefois, la crise actuelle est avant tout le symptôme d’un problème plus profond, qui à déjà provoqué une série de crises au cours des dernières décennies.. La crise actuelle a pour origine la restructuration profonde des appareils d’état bourgeois qui s’est avérée nécessaire au cours de cette dernière période. Cette restructuration va dans deux sens :

  • La construction d’un appareil d’état européen. Le moteur de ce processus est l’internationalisation des forces productives : de nombreuses entreprises produisent aujourd’hui au-delà de que ce que le marché national peut absorber. Les forces productives se heurtent aux frontières nationales. La construction économique européenne est une tentative de répondre à cette internationalisation des forces productives en créant un marché plus vaste, un espace de valorisation du capital plus large. En outre, il s’agit de construire un espace économique européen capable d’affronter ses concurrents dans la lutte pour le marché mondial, une lutte dans laquelle  l’Europe est en train de perdre du terrain vis-à-vis des Etats-Unis.
  • La réforme de l’appareil d’Etat Belge. Son moteur est la question nationale : le fait que la Belgique est un pays avec deux peuples. Ces peuples sont très inégalement développés : c’est surtout en Flandre que l’on peut parler d’un peuple ayant une conscience nationale plus affirmée, entre autre à la suite de l’oppression que les flamands ont subie au sein de la construction belge. La Wallonie a toujours été très orientée sur la culture francophone, et n’a pas connu un processus de conscientisation sous l’impact d’une oppression similaire à celle des Flamands. C’est pourquoi la question nationale est devenue un problème surtout du côté flamand. Sur ces forces centrifuges de la question nationale s’est greffée en outre la logique néolibérale, qui ne fait qu’accroître la compétition entre les pays et les régions.

Le contexte dans lequel ces processus ont lieu est en effet celui du néolibéralisme : l’élaboration d’un nouveau régime d’accumulation, ce qui présuppose une augmentation du taux d’exploitation de la force de travail et une décomposition sociale et politique de la classe des travailleurs. La transformation des appareils d’Etat joue un rôle clé dans cette stratégie de la bourgeoisie.

3. Mais la transformation de l’Etat n’est pas une tâche facile pour la bourgeoisie de ce pays. Il y a différentes raisons à cela :

  • Au sein de la bourgeoisie, il existe des divergences profondes sur la direction à donner à cette transformation, sur la stratégie et la tactique à suivre. Quel instrument est-il nécessaire pour affronter les problèmes nationaux et européens ? Et quel instrument pour mener une politique néolibérale efficace ? Pour certaines fractions de la bourgeoisie, les deux vont de pair, pour d’autres, cela n’est pas du tout évident. Même si elle s’est très affaiblie au cours des dernières 30 années, il existe toujours une aile belgiciste-bruxelloise au sein de la bourgeoisie, parfois représentée par la FEB. Elle défend l’Etat belge également pour pouvoir peser au niveau international – la Belgique comme « produit exportateur » (soit dit en passant, la Belgique a perdu presque 20 % de parts de marchés au cours des six dernières années, d’où l’inquiétude chez cette bourgeoisie). Le poids de la monarchie ne peut pas non plus être sous-estimée. Du côté flamand, surtout après la seconde guerre mondiale, s’est développé une bourgeoisie de plus en plus consciente, organisée et influente. Elle a joué un rôle clé dans la flamandisation des partis politiques flamands. Elle veut se débarrasser de la Belgique ou au moins démanteler le niveau fédéral. Elle veut surtout casser ce qui reste du compromis fordiste belge : la sécurité sociale, les dépenses publiques élevées. La bourgeoisie wallonne est plutôt faible : le fait que le président de l’UWE est le président d’une entreprise comme Paradisio, dit beaucoup. Ces différentes bourgeoisies sont à la fois divisées entre elles car en concurrence sur le marché, mais aussi au sein de chacune d’elle. 
  • En général, le patronat belge, quel que soit sa tendance politique, s’est affaibli. Il n’y a presque plus de véritables grandes entreprises qui opèrent à partir de la Belgique. La Société Générale n’existe plus depuis un certain temps, toutes les grandes entreprises sont dans des mains étrangères. Les bourgeoisies en Belgique sont donc très dépendantes vis-à-vis des bourgeoisies étrangères.
  • Dans un contexte de lutte ouvrier, il est très risqué pour la bourgeoisie de démanteler un appareil d’Etat qui a prouvé son utilité afin d’en construire un nouveau. C’est avec réticence qu’elle prend ses distances avec le vieil appareil d’Etat. Elle ne peut donc organiser un tel processus que d’une manière graduelle, moléculaire, en conséquence de quoi l’appareil d’Etat se morcelle entre plusieurs niveaux pendant une longue période: européen, belge, régional. Ce processus n’est pas seulement peu transparent et peu démocratique, mais il n’est pas non plus très efficace pour la bourgeoisie. De plus, dans un contexte de lutte ouvrière, de résistances sociales dans la société, pour faire face à la crise et pour répondre aux diktats européens, la bourgeoisie a besoin d’un ‘Etat fort’ (cf. les gouvernements Martens-Gol dans les années ’80).

 

4.Le cadre dans lequel cette discussion doit être menée parmi les marxistes est celui de la révolution permanente. La bourgeoisie est-elle capable de résoudre une question démocratique comme la question nationale ou la construction de l’Europe ? La révolution permanente est surtout importante pour comprendre des processus révolutionnaires dans des pays dépendants, mais elle est également pertinente dans des pays impérialistes (où la question nationale n’a pas été résolue NDLR). La bourgeoisie est-elle vraiment prête et capable de faire face aux questions démocratiques ? Est-elle prête et capable de trouver un appui pour ce faire au sein de la population (ouvrière) ? Dans quelle mesure essaie-t-elle de contourner la tentative de la classe ouvrière de trouver et imposer sa propre solution pour ces questions ? Comme essaie-t-elle de garder le contrôle des mouvements populaires autour de ces questions, qui risquent de lui échapper?

5.La bourgeoisie dans les pays impérialistes n’est bien entendu pas la même que celle des pays dépendants. Elle est plus forte, plus indépendante (même si en Belgique, ce n’est plus vraiment le cas, cf. supra), mieux organisée. Toutefois, elle doit faire face à une classe de travailleurs mieux organisée elle aussi. La capacité avec laquelle la bourgeoisie peut réussir à prendre l’initiative de la restructuration de l’état, dépend donc pour une grande part des rapports de forces entre ces classes. La bourgeoisie ne peut pas se permettre le risque de bouleversements soudains et de réformes d’Etats fondamentales et rapides. Elle ne peut certainement pas courir le risque de mobiliser les masses dans  cette perspective car elles pourraient commencer à mettre en avant leurs propres revendications. De plus, elle n’en n’est tout simplement pas capable, précisément parce qu’elle est toujours contrainte de mener une politique contre la classe des travailleurs, que ce soit avec un appareil d’Etat belge, régional ou européen.

A l’occasion de grands moments de rupture, les masses risquent de surgir sur la scène politique et la bourgeoisie risque de perdre le monopole ou le contrôle de la situation. De tout cela découle le fait que la restructuration de l’Etat, qu’il s’agisse de la construction de l’Europe ou de la régionalisation de l’Etat belge, ne peut se faire que d’une façon moléculaire, graduelle, pas à pas. Cela ne rend pas ce processus plus démocratique, plus simple ou plus transparent, mais c’est la seule possibilité pour la classe dominante. Graduellement, d’une crise à l’autre, l’Etat belge est restructuré et un appareil étatique européen est mis sur pied.

6. Ce type de processus est appelé par Antonio Gramsci une « révolution passive » ou une « révolution-restauration ». La révolution permanente n’est pas une loi mécanique, mais elle limite l’espace de manœuvre de la bourgeoisie au sein duquel elle peut mettre en oeuvre sa révolution passive. Il s’agit également dans ce cas d’une transformation profonde de l’appareil d’Etat, mais à partir d’en haut, dans le cadre de la société de classe et avec pour objectif la réorganisation des rapports de domination de classes afin de les maintenir, de les restaurer ou de les renforcer. Dans ce processus, la bourgeoisie s’efforce donc de ne pas impliquer les masses d’une façon active. L’absence  de participation des masses et l’initiative à partir d’en haut font que ce processus ne crée que peu d’enthousiasme populaire et ne peut donc acquérir qu’une « faible hégémonie ». Cela vaut pour la réforme de l’Etat belge où peu de gens se sentent vraiment impliqués. Cela vaut aussi pour la façon dont l’Europe se construit: pas à pas, d’en haut et sans participation des masses. La bourgeoisie est capable de mettre de tels processus en marche via la « révolution passive », mais ses capacités à le réaliser d’une façon démocratique sont très limités. D’abord parce que, comme on l’a déjà évoqué, elle craint le mouvement de masse lorsqu’ils se mettent en marche. Ensuite, l’objectif explicite de chaque transformation de l’Etat par la bourgeoisie est de disposer d’un instrument plus efficace pour (ré)organiser sa domination de classe. La bourgeoisie flamande veut ainsi son propre appareil d’Etat pour pouvoir mener une politique néolibérale plus efficace. Les bourgeoisies européennes ont réalisé le marché européen et ont construit un nouvel appareil politique spécifiquement modelé pour cet objectif néolibéral. Les appareils d’Etat nouvellement créés ne sont pas des instruments neutres que chaque classe peut utiliser selon ses intérêts, ils ont toujours un objectif politique. Via la restructuration de ses appareils d’Etat la bourgeoisie veut surtout garantir sa propre domination de classe. Avec un tel projet, il n’est donc pas facile de susciter un enthousiasme parmi la classe ouvrière, la grande majorité de la population. La bourgeoisie peut compenser ce manque d’enthousiasme en utilisant une bonne dose de nationalisme, avec les excès racistes qui vont nécessairement de pair. Les possibilités de cette démarche sont néanmoins limitées, essentiellement parce que cela ouvre un boulevard pour ceux qui en tirent les conclusions les plus conséquentes et les plus radicales, à savoir l’extrême-droite.

7. La restructuration de l’Etat est donc un processus morcelé, moléculaire, graduel, qui s’appuie sur la recherche permanente de compromis entre des intérêts et des idées très contradictoires existant dans les différents secteurs de la bourgeoisie. Cette approche crée bien entendu un tas de problèmes : tant en Europe qu’en Belgique, on constate une crise permanente par la présence permanente de problèmes non résolus. Pour les bourgeoisies nationales européennes, il n’est pas évident de se détacher de ‘leur’ appareil d’Etat, et de devenir un maillon parmi d’autres dans une chaîne plus vaste. La construction européenne va donc de crise en crise. Le bricolage de la réforme de l’Etat belge connaît lui aussi sa succession de crises et de problèmes non résolus : Bruxelles, la complexité de la structure étatique, Bruxelles-Hal-Vilvorde…

Le problème fondamental de la Belgique est bien sûr Bruxelles. Le schéma de trois régions et trois communautés créait avec la région Bruxelloise un problème énorme. Le populisme de droite limite ce problème aux francophones qui habitent autour Bruxelles. Il s’agit bien sûr d’un problème réel, qui est ressenti par les flamands présents dans ces communes comme une forme d’impérialisme francophone, sentiment alimenté par la façon dont les partis francophones jouent dans ce jeu. Toutefois, le problème est beaucoup plus vaste: les compétences de Bruxelles sont des compétences régionales, donc l’économie, l’infrastructure, la mobilité etc. tandis que l’espace économique et l’infrastructure réelle autour de Bruxelles est beaucoup plus étendu que ses 19 communes. Pour vraiment pouvoir mener une politique intégrée pour cet espace, une extension radicale de Bruxelles serait nécessaire, de telle façon même, qu’il ne reste presque rien du Brabant Flamand. Cela constitue la véritable question bruxelloise, et elle provoquera encore bon nombre de problèmes et de crises, plus graves encore que celui autour de l’arrondissement de Bruxelles-Halle-Vilvorde. Sauf à condition de remettre en question la frontière linguistique, en niant ainsi la question nationale, on ne peut que scinder cet arrondissement.

La réforme de l’Etat belge connaît sa propre logique institutionnelle et politique. Des problèmes non résolus génèrent des crises qui ouvrent un nouveau tour dans la réforme de l’Etat. De plus en plus, la Belgique devient un pays avec deux sociétés (des partis séparés, une presse séparée, des embryons d’appareil d’Etat propres, avec leur propre personnel et leur propre agenda etc.), ce qui renforce à son tour les forces centrifuges. Dans un contexte capitaliste et néolibéral, cette tendance est renforcée: la Flandre et la Wallonie sont également des concurrents sur le marché international. Cette logique de concurrence explique aussi pour une partie la difficulté du processus européen, dans lequel des bourgeoisies nationales, qui sont en concurrence entre elles, doivent malgré tout collaborer. 

8. Parce que la réforme de l’Etat se déroule par une « révolution passive », graduelle et sans participation démocratique des masses, on ne peut pas considérer la question nationale en Belgique comme étant résolue. Jusqu’à présent, jamais un  processus constituant démocratique dans lequel le peuple se donne une structure étatique n’a été mené. La bourgeoisie a systématiquement évité un tel processus démocratique. Même s’il n’y a plus une oppression des Flamands en Belgique, à l’exception des Flamands autour de Bruxelles, le véritable problème politique n’est pas résolu: celui de la reconnaissance étatique du problème dans un processus constituant. Cela ne veut pas dire que le problème ne peut être résolu qu’avec la scission de la Belgique, loin de ça. Cela signifie que le problème ne peut être résolu que s’il l’est de manière démocratique, si le peuple décide lui-même de la constitution de l’Etat et participe ainsi véritablement à la vie de l’Etat. Tant pour la Belgique que pour l’Europe (la constitution européenne !), la revendication d’une assemblée constituante élue reste donc cruciale.

9. La bourgeoisie utilise chaque marge que lui donnent les rapports de forces existants pour faire un pas en avant. La capacité avec laquelle la bourgeoisie peut déplacer et restructurer petit à petit les appareils d’Etat dépend avant tout de l’espace qui lui est donné par la classe ouvrière. Chaque pas que fait la bourgeoisie pour arriver à un nouveau - et pour elle meilleur - appareil d’Etat est en contrepartie  une défaite pour la classe des travailleurs. Ce qui ne veut pas dire que le maintien de l’existant (l’Etat unitaire belge) est un avantage pour de la classe des travailleurs. Cela signifie que sans une politique autonome du mouvement ouvrier, la bourgeoisie va saisir chaque occasion pour utiliser la réforme de l’Etat en faveur de ses propres intérêts.

Le rôle joué par les organisations du mouvement ouvrier est donc décisif car de ces dernières et de leurs directions dépendent le fait que la classe ouvrière puisse prendre une position autonome dans la résolution de la question nationale et de la construction de l’Europe. Sur ce plan là, la situation actuelle est désolante, ce qui rend très difficile pour la gauche d’élaborer propre orientation propre sur la réforme de l’Etat :

  • La social-démocratie joue entièrement le jeu de la bourgeoisie et se profile comme le gérant et le réformateur le plus « responsable » de l’Etat bourgeois. Presque toutes les réformes de l’Etat en Belgique on été soutenues ou élaborées avec la participation de la social-démocratie. Elle joue également un rôle tout aussi décisif dans la construction de l’Europe. Gramsci appelait ce phénomène le « tranformisme »: la direction de la classe ouvrière n’a plus d’orientation autonome, elle est au contraire devenue le meilleur exécuteur (d’une variante) du projet bourgeois (aujourd’hui le néolibéralisme). La classe ouvrière est pour ainsi dire décapitée et ne peut qu’essayer de défendre via ses organisations que ses intérêts sociaux-économiques les plus immédiats, elle ne pèse plus en tant que classe sur les véritables questions politiques, comme la formation de l’Etat. A cause de sa politique de collaboration de classe, mais aussi parce que son aile flamande s’est alignée sur le mouvement ouvrier wallon, la social-démocratie et le mouvement ouvrier ont historiquement raté la question nationale flamande. Cette dernière a donc pu être monopolisée par la droite ; grâce, entre autres, au rôle actif de l’Eglise, la bourgeoisie catholique flamande a pu encadrer une grande partie des travailleurs flamands (cf. les liens profonds entre l’ACW et le CD&V).
  • La bureaucratie syndicale prend dans toute cette discussion une attitude très apolitique, conservatrice et corporatiste: elle se limite au maintien de ce qui existe (entre autres la sécurité sociale et la concertation sociale au niveau belge), mais ce conservatisme sera incapable d’éviter le démantèlement graduel des conquêtes sociales tant qu’il n’y aura pas devéritables luttes et de mobilisations offensives. On constate le même phénomène au niveau de l’Europe avec le rôle joué par la CES. 

10. Le manque d’une alternative de gauche face aux différentes options défendues par la bourgeoisie  provoque aujourd’hui une énorme confusion. Beaucoup de gens à gauche et dans le mouvement ouvrier commencent à défendre la Belgique unitaire. Ils s’opposent , à partir d’un réflexe sain contre la droite et l’extrême-droite, à chaque revendication nationale, ou contre toute tentative de résoudre la question nationale. D’autre part, beaucoup de travailleurs qui sont conscients de la problématique nationale atterrissent dans les partis bourgeois puisque leurs propres organisations n’offrent pas d’orientation autonome de classe.

Un élément additionnel qui rend difficile l’élaboration d’une stratégie de gauche est la problématique du multiculturalisme. Si la Belgique est un pays avec deux peuples, il est tout aussi  clair que ces derniers ont en leur sein d’importantes minorités, leur composition est donc très hétérogène. Plus que jamais, nous devons rejeter toute forme de nationalisme qui comporte toujours une élément de racisme.

11. Dans l’histoire du mouvement ouvrier des 150 dernières années, il y a tout de même eu différents moments où au moins quelques secteurs de ce mouvement ont pris au sérieux la question nationale et ont tenté de formuler des réponses à partir de leur propre point de vue de classe. La revendication du fédéralisme a par exemple été mise en avant dans les années ’50 et’60 au sein du mouvement ouvrier. Fédéralisme et réformes de structures anticapitalistes formaient ensemble l’épine dorsale d’une stratégie pour démanteler le capitalisme des holdings belge et son état oppresseur, afin de les remplacer par autre chose. Ces mots d’ordre étaient à la base d’un schéma cohérent d’une stratégie révolutionnaire, qui manque actuellement à la gauche radicale. Ce programme a connu un assez grand écho dans le mouvement des travailleurs, mais n’a jamais pu être réalisé. La droite flamande a réussi à s’approprier la question flamande et elle a pu le faire d’autant plus aisément que le mouvement ouvrier était affaibli suite à ses défaites consécutives contre le néolibéralisme. Au lieu de réformes de structures anticapitalistes, l’Etat a été restructuré pour des réformes néolibérales.

12. Aujourd’hui la situation pour le mouvement ouvrier et la gauche autour de cette question est plus difficile que jamais. L’enjeu reste pourtant le même : développer une orientation de classe autour de cette question politique par excellence, celle de la formation de l’Etat. Une série d’axes indiquent un cadre dans lequel résoudre le problème :

  • La classe des travailleurs ne peut redevenir un acteur politique tant que persistent le conservatisme et le corporatisme de ses directions bureaucratiques. La seule défense de ce qui existe, tandis que ce dernier est mis constamment sous pression, n’est pas une stratégie, mais une attitude qui doit inévitablement aboutir à de nouvelles défaites. L’enjeu qui est devant nous doit donc être pris au sérieux, tant en ce qui concerne la question nationale en Belgique qu’en ce qui concerne la construction européenne. Fondamentalement, ni l’une ni l’autre ne peuvent êtres résolues sans le consentement démocratique et la participation de la majorité de la population, donc de la classe des travailleurs. Seule cette dernière peut mener à bien démocratiquement ces projets. Une Europe réelle  et démocratique est impossible si la classe ouvrière n’est pas la force porteuse et donc déterminante de ce projet. La même chose vaut pour la question nationale.
  • Une orientation propre de la classe des travailleurs doit considérer ces deux questions comme étant liées entre elles. La question nationale ne peut être résolue sans modifier fondamentalement la construction européenne, qui délimite fortement les possibilités politiques des Etats-membres. En même temps, un pas en avant au niveau européen peut enlever une série de dilemmes de la réforme d’Etat actuelle (scinder la sécu ? Organiser la représentation syndicale à quel niveau ?…), et faciliter une solution politique de la question nationale.
  • Le mouvement ouvrier ne peut se limiter sur ce terrain à une lutte autour des thèmes sociaux, même si ceux-ci peuvent bien sûr être un point d’appui pour arriver à des mouvements de lutte européens. Il devra surtout peser sur les questions politiques-institutionnelles.
  • Les questions nationales et européennes resteront sans solution tant qu’elles ne sont pas résolues démocratiquement. La bourgeoisie refuse un processus constituant véritablement démocratique, tant en Belgique qu’en Europe. D’où l’importance de la revendication d’une assemblée constituante, et d’une orientation du mouvement ouvrier pour peser là-dessus.
  • La discussion sur la formation de l’Etat ne peut être détachée des objectifs politiques de cet Etat. La question est surtout : à quoi va-t-il servir ? Quelle politique veut-on mener avec lui ? Pour la bourgeoisie, tant la réforme de l’Etat belge que la construction européenne servent un objectif néolibéral. Cet enjeu fondamental est néanmoins embrouillé et masqué par quantités de questions accessoires et techniques. Au cours des négociations gouvernementales actuelles, les questions fondamentales sont occultées en faveur de discussions futiles sur les plaques de voitures flamandes et wallonnes ou sur le financement des chaises roulantes. C’est pourquoi il est nécessaire de chercher une la clarification politique afin de dégager l’enjeu réel hors des détails technique et accessoires, et des tactiques concrètes des partis de gouvernement, de rechercher le conflit entre gauche et droite.

Une discussion sur l’article 35 de la constitution est dans ce contexte non dénué de sens. Cet article dit que le gouvernement fédéral est compétent pour toutes les matières qui lui sont explicitement accordées, tandis que le reste est pour les communautés et les régions. L’avantage est qu’une discussion ouverte et démocratique est rendu possible sur ce qui doit absolument rester fédéral. Une telle méthode oblige tout le monde de s’exprimer là-dessus, et permettrait à la gauche et au mouvement ouvrier d’aller au coeur de l’affaire afin mette le doigt sur la véritable opposition politique. La scission de la Belgique serait en effet une grave défaite pour la classe ouvrière, mais une réforme de l’Etat en tant que telle ne l’est pas nécessairement. Cela dépend de son contenu, de ce qui va ou doit être fait avec elle, de qui en est la force porteuse.

L’enjeu crucial est donc la politisation du mouvement ouvrier autour de cette question. En Belgique, avec ses puissants syndicats, on ne peut passer à côté d’eux. Mais celui-ci reste actuellement incapable pour ce qui concerne ces questions politiques clés. On ne peut sortir de la crise du mouvement ouvrier sur base de la seule défense de la sécurité sociale nationale. Bien sûr, la sécu doit être défendue. Mais sans entrer sur le terrain politique, les syndicats ne peuvent pas le faire d’une façon efficace. Si la lutte syndicale n’est pas politisée, on cède le terrain à la bourgeoisie et à sa « révolution passive » et celle va utiliser chaque marge de manoeuvre ainsi gagné non seulement pour réformer l’Etat, mais également pour démanteler les conquêtes des luttes du passé du mouvement ouvrier. Bien sûr, il nous faut un nouveau parti qui représente les intérêts de la classe ouvrière sur le terrain politique. Mais ce sont autant les syndicats eux-mêmes qui doivent pouvoir peser sur les événements politiques. Ils doivent s’exprimer sur la structure de l’Etat ou de l’UE, mobiliser les travailleurs sur ces questions, tant en Belgique qu’en Europe, et essayer de peser de tout leur poids pour exiger une assemblée nationale constituante élue et y peser véritablement, pour éviter la scission de la Belgique sans nier la question nationale, pour arriver à un confédéralisme qui est à la base d’une toute autre politique que la politique néolibérale et capitaliste, pour arriver à une Europe des travailleurs.

Voir ci-dessus