Le féminisme de la gauche anticapitaliste
Par Lidia Cirillo le Lundi, 03 Septembre 2007 PDF Imprimer Envoyer
Nous reproduisons ici la synthèse rédigée par Lidia Cirillo des premières discussions en vue de la rédaction d’un manifeste féministe de «Sinistra Critica», association qui structure l’une des minorités du Parti de la Refondation Communiste (PRC) en Italie.

 

 

 

Le féminisme et les courants démocratiques, progressistes et révolutionnaire

 

Le féminisme se décline au pluriel, parce que les femmes appartiennent à des classes et à des cultures différentes et ont des références politiques distinctes. Par exemple, il existe un féminisme des parlementaires de droite et des femmes qui font une carrière professionnelle, qui revendiquent leur part de pouvoir avec les arguments traditionnels du féminisme, qui se plaignent des dynamiques d’exclusion et de marginalisation dont elles sont victimes et demandent la mise en oeuvre de mesures anti-discrimination.

 

Néanmoins, le féminisme naît et renaît toujours à gauche, avec les tendances révolutionnaires, démocratiques et progressistes: aux marges de la révolution de 1789, dans les révolutions nationales de la première moitié du XIXe siècle, au sein du mouvement anti-esclavagiste aux Etats-Unis, avec le mouvement ouvrier, la radicalisation des années 1960-1970 et, tout dernièrement, le mouvement altermondialiste. Le féminisme de droite a toujours été le reflet d’idées issues de la gauche, une sorte de retombée culturelle qui a déjà bouleversé (et continue de bouleverser) l’ensemble de la société. Ce phénomène se produit pour la raison évidente qu’il a été plus facile (ou moins difficile…) aux femmes de faire pression, au nom de la libération, sur les hommes de gauche, en plaçant ceux-ci face à leurs contradictions et en utilisant leur langage et leurs schémas de pensées. (…)

 

A ses origines, le mouvement socialiste a connu des hommes féministes comme Saint-Simon ou Fourier et d’inqualifiables mysogines comme Proudhon et Lassalle. Engels a jeté les bases conceptuelles d’un féminisme anti-capitaliste, en comparant les femmes au prolétariat et les hommes à la bourgeoisie et en plaçant les bases de l’organisation sociale de l’espèce humaine dans la production et dans la reproduction; mais ces intuitions se sont perdues dans les théories et les pratiques. On pourrait écrire une véritable histoire de la misogynie et de l’anti-féminisme dans le mouvement ouvrier, mais nous ne mentionnerons que les deux approches les plus connues aujourd’hui au sein de la gauche anti-capitaliste.

 

En général, il se trouve peu d’hommes assez grossiers pour ne pas rendre les hommages dus au féminisme et ne pas envisager un avenir prolétaire, féministe et écologiste. Néanmoins, la reconnaissance est quasiment toujours accompagnée du désintérêt: les vicissitudes, les différences et les élaborations théoriques complexes du féminisme restent méconnues; on ignore jusqu’à quel point le genre peut représenter une clé d’interprétation pour comprendre la logique des rapports humains.

 

L’autre approche, beaucoup plus exceptionnelle à vrai dire, c’est le paternalisme des hommes qui prétendent enseigner le féminisme aux femmes, diriger leurs travaux et leurs discussions. Naturellement, on ne peut écarter la possibilité qu’un individu de sexe masculin connaisse et comprenne mieux qu’un individu desexe féminin la politique des femmes et le féminisme. Néanmoins, le féminisme naît, se consolide et se renouvelle seulement au travers d’un parcours d’autonomisation intellectuelle et psychologique des femmes, parfois lent et tortueux, mais incontournable.

 

(…) Ce féminisme s’est montré capable d’une élaboration indépendante et d’une lecture plus pertinente des relations de pouvoir fondées sur le genre. Par ailleurs, il a souvent reflété les désirs et les points de vues de couches académiques ou, au moins, de secteurs féminins peu intéressés par les conflits de classes et toujours exposés à la tentation de présenter leurs propres intérêts particuliers comme les intérêts généraux des femmes.

 

Les structures patriarcales

 

Comprendre le féminisme signifie en premier lieu comprendre la nature des relations de pouvoir entre hommes et femmes. Il existe aujourd’hui un postféminisme qui nie l’existence même d’une oppression, au moins dans les régions du monde où a été obtenue une égalité formelle. (…) [En réalité], les sociétés humaines, toutes sans exception, sont traversées par des structures patriarcales, manifestes ou latentes qui, de diverses manières, excluent, oppriment et exercent une violence contre les femmes. Au sens littéral du terme, le patriarcat est un système de relations où la propriété et la position sociale se transmettent du père à l’enfant mâle, et quasiment toujours à l’aîné. Il est évident, que dans les sociétés occidentales du Nord (mais aussi dans d’autres), ce type de reproduction des positions sociales n’existe plus et que la réalité est moins explicite et plus complexe.

 

Néanmoins, la logique de la généalogie masculine du pouvoir, évidente bien au-delà des aspects juridiques et formels, revêt une dimension anthropologique que deux siècles de lutte pour l’émancipation n’ont pu dépasser. Les quatre conférences de l’ONU sur les femmes ont fourni des chiffres qui ont surpris même les théoriciennes les plus pessimistes de l’oppression, en révélant — par exemple — que le pourcentage mondial de femmes propriétaires de terres et d’immeubles ne dépassait pas 3-4 %. Les chiffres d’Amnesty International sur la violence contre les femmes ont aussi constitué une amère surprise ou une confirmation.

 

Mais la manière la plus simple de comprendre les structures patriarcales consiste à suivre le fil de l’existence d’une femme européenne de la naissance à la mort. Si des sociétés distinctes des nôtres pratiquent l’avortement sélectif et la mort par malnutrition des filles plus que des garçons, dans nos sociétés, les structures patriarcales commencent à opérer plus tardivement.

 

Dans les premières années de sa vie, la fille — dans son difficile parcours vers la féminité — se trouve confrontée à un phénomène nommé par Freud «castration »: elle découvre qu’elle est privée de pénis, ce qui produirait chez elle une sensation douloureuse d’infériorité et conditionnerait sa capacité intellectuelle, la manière de se percevoir et d’être perçue. Dans un premier moment, le féminisme a répondu à la thèse de la castration en expliquant que Freud imposait son point de vue masculin à celui des femmes, mais ultérieurement la question s’est révélée beaucoup plus complexe. (…)

 

La thèse de la castration est liée à des expériences cliniques, à la vérification du fait que les femmes aussi se sentent castrées, carentes et privées de quelque chose. La castration a donc la fonction propre de l’idéologie: c’est le point de vue de celui/celle qui dans une relation de pouvoir occupe une position dominante, mais qui est intériorisé et approprié par celui-celle qui est dans une position dominée. La thèse de l’infériorité n’est donc pas un préjugé masculin, c’est une réalité de l’inconscient féminin. Cette réalité fonctionne toujours lorsqu’entre en jeu la différence — réelle et non présumée —, la différence de position par rapport au pouvoir. En fait, les femmes envient non le pénis, mais le phallus, c’est-à-dire le pouvoir dans ses formes diversifiées et multiples, le pénis n’étant que le fétiche du phallus.

 

Autre exemple. La violence contre les femmes a des dimensions et une extension que les chiffres d’Amnesty International ont fini par rendre évidentes. Néanmoins, il peut arriver qu’une femme ne souffre, durant sa vie, d’aucun type de violence, hormis celles que lui inflige la nature avec les maladies et la mort.

 

De toutes façons, sa vie sera profondément conditionnée par ces violences, vu que la violence possible se traduit en précautions, styles de vie et attitudes psychologiques. Le paradoxe de la criminalisation des victimes démontre à quel point le monde est fait à la mesure de l’homme. Les structures patriarcales qui traversent la société font de la violence possible l’une des principales raisons de la ségrégation des femmes, en particulier des jeunes femmes. Les exemples en sont assez nombreux. Le double travail des femmes, c’est-à-dire leur accession à des tâches jusqu’ici peu féminines et l’absence de toute réciprocité. Il semble qu’en Italie, quelque chose soit en train de changer parmi les jeunes générations. Par exemple, l’hypertrophie du masculin dans la sphère publique qui contraint les femmes à assumer des temps et des modes dissonants avec la vie réelle; les images normatives de la féminité construites et cristallisées durant des millénaires de monopole masculin de la tradition symbolique. (…)

 

Les modes selon lesquels se manifeste la présence des femmes en politique sont aussi la conséquence de l’existence de structures patriarcales. Par leurs silences, leur présence limitée, leur insécurité, les femmes exercent une critique de chacun des lieux politique. Plus grandes sont la présence et la domination masculines dans un organisme politique déterminé, plus cet organisme est concerné par les logiques du pouvoir. On pourrait énoncer un théorème ou formuler une équation à ce propos.

 

Les institutions politiques comme l’armée, le clergé, etc. sont les ambiances les plus masculines, parce qu’elles sont aussi les plus impliquées dans l’exercice du pouvoir. Pour différentes raisons, ces institutions peuvent coopter des femmes: pour se soustraire à la dénonciation et à l’évidence, pour récupérer leur crédibilité, ou parce qu’elles ont besoin d’une relation avec le corps social.

 

L’exemple le plus significatif de la répartition entre le masculin et le féminin, c’est justement l’Eglise catholique. Une institution qui s’est liée à de vastes secteurs populaires, y compris en donnant parfois à manger aux affamés et en faisant boire les assoiffés, a nécessairement dépendu de l’énergie des femmes et de leur tendance à se voir comme les fidèles du curé. Si une Eglise écarte le féminin, là où ses articulations pénètrent dans la société, elle développe une hiérarchie de pouvoir rigidement fermée aux femmes, expression de cette capacité à conserver les relations humaines les plus archaïques propres aux religions.

 

Trois thèmes pour un féminisme anti-capitaliste en Italie

 

Les structures patriarcales conditionnent la vie des femmes et construisent le genre selon des modes assez divers dans le temps et dans l’espace. La multiplicité des demandes — recueillies par exemple dans la plateforme de la Marche Mondiale des Femmes en l’an 2000 — montre l’ampleur des problèmes non-résolus au niveau global.

 

Il est évident que les femmes d’Afghanistan ont des problèmes distincts de ceux des femmes françaises ou allemandes, et que les thèmes qui retiennent aujourd’hui l’attention en Italie ne sont pas les mêmes que ceux des décennies de la fin 19e ou du début du 20e siècles, témoins de la première grande vague des mouvements féministes.

 

Il est évident que les obstacles que doivent surmonter les femmes varient selon les cadres sociaux, les générations et les domaines d’aspiration féminins variés. Il est toutefois nécessaire de renoncer à l’illusion chronologique et ne pas croire que nous avons l’émancipation derrière nous. S’il est bien vrai que, là où l’égalité formelle a été conquise, des tâches plus complexes attendent le féminisme, il est aussi certain que des batailles déjà gagnées, des problèmes apparemment déjà résolus et des réactions archaïques se posent à nouveau.

 

La violence contre les femmes en constitue l’exemple le plus clair et sa plus grande visibilité répond à des explications différentes et complémentaires. Les femmes dénoncent aujourd’hui plus souvent ce qu’elles supportaient hier; l’opinion publique se scandalise toujours plus face à ce qu’elle absolvait hier; les hommes réagissent, comme cela se passe dans les relations de pouvoir, avec une combinaison de reculs et de violences punitives.

 

Le féminisme d’une gauche anticapitaliste ne peut se référer seulement aux nécessités et aux aspirations des femmes prolétaires, mais doit faire siennes les aspirations de l’ensemble des femmes. Naturellement, vu que notre intervention s’oriente vers certains milieux, il est évident que l’on privilégiera les demandes des travailleuses, des immigrées, des chômeuses, des étudiantes, des femmes des partis de gauche, des mouvements et des syndicats. Voici quelques exemples de thèmes sur lesquels nous avons travaillé durant les dernières années et qui devraient être aussi prioritaires dans le futur immédiat.

 

La critique de la guerre, du militarisme et de la violence La politique des femmes dispose des instruments pour une critique spécifique de la dérive militariste et virile produite par la guerre permanente, sans lui opposer une nature pacifique ou non-violente des femmes. La non-violence est le contraire de la violence: l’une et l’autre présupposent la persistance des relations de pouvoir. La violence est une force de dissuasion permanente contre quiconque voudrait mettre le pouvoir en question; la non–violence, quant à elle, ne peut désarmer que l’une des deux parties, c’est-à-dire celle qui est dominée dans la relation de pouvoir et souffre de l’oppression, de l’exploitation ou de la spoliation néocoloniale.

 

La preuve la plus évidente en est fournie, en Italie, par les défenseurs de la non-violence: intransigeants envers la violence des opprimés, ils sont ensuite contraints de voter au Parlement le refinancement de la mission militaire italienne en Afghanistan… Le féminisme le plus sagace a déjà expliqué que la présumée nature pacifique des femmes est en grande partie liée à l’exigence d’intérioriser une agressivité dont la relation de pouvoir avec les hommes n’a pas accepté la manifestation. La critique du militarisme et de la violence (et en premier lieu de celle qui s’exerce contre les femmes) repose sur quelque chose de très différent de l’idéalisation de la subordination et de l’oppression. Les femmes peuvent l’exercer en premier lieu parce qu’elles ne sont pas obligées d’accepter les stéréotypes sur lesquels reposent la construction de la masculinité.

 

Elles n’ont pas besoin de montrer la dureté ou la force, autant de fantasmes liés à la sexualité masculine. Davantage d’hommes souffrent des effets dévastateurs des relations humaines dominées par la violence. En premier lieu, notre féminisme oppose à la violence sur laquelle se fondent les relations de pouvoir (entre les sexes, les nations, etc.) une société où ce type de relations aura été aboli. Il appuie donc les résistances, les luttes et les projets de transformation radicale. Il s’oppose à la guerre, au militarisme, aux armées et à leur organisation hiérarchique.

 

Il ne croit pas qu’il faille nécessairement répondre par la violence à la violence, il considère la vie de toute personne comme un bien précieux et il ne s’oppose pas seulement à la peine de mort, mais aussi à la cruauté et aux excès d’une autodéfense légitime. Il ne théorise cependant pas la non-violence, parce qu’il reconnaît le droit des sujets de la libération à défendre leurs propres voies.

 

Notre féminisme répond aussi à la violence contre les femmes avec la logique de l’autodéfense, naturellement pas par l’autodéfense armée des femmes contre les hommes, car les relations entre sexes se régulent d’une manière très différente. Il ne croit pas que le problème puisse se résoudre par une aggravation des peines, même en considérant la tutelle de l’Etat comme nécessaire et, pour le moment, non remplaçable par une autre. On doit comprendre sous le label d’autodéfense, les initiatives de femmes pour créer et financer des centres anti-violences, pour que les dénonciations ne se retournent pas contre les victimes et que la vie en société s’organise fondamentalement à la mesure des femmes, du moment que ces dernières paient plus que quiconque pour l’irrationalité et la violence manifeste ou latente de cette vie en société.

 

Notre féminisme rappelle enfin que la politique des femmes n’a été non armée qu’en apparence, vu que les dynamiques de libération se sont souvent appuyées sur les armes des hommes de tendances démocratiques, progressistes ou révolutionnaires. Sans remonter plus loin, la résistance au nazi-fascisme contenait aussi en son sein un enjeu important pour le féminisme et pour les femmes.

 

Pour la laïcité et pour l’autodétermination, contre l’intégrisme catholique

 

Nous vivons dans un pays où l’Eglise catholique estime devoir exercer son pouvoir temporel dans la sphère étatique: elle ne s’est jamais résignée à la laïcité de l’Etat et continue à la combattre par tous les moyens à sa disposition. Durant ces dernières années, la montée des forces de droite et les systèmes électoraux renforçant le pouvoir de chantage des forces politiques catholiques ont rendu toujours plus évident l’aveuglement du clergé, avec ses implications patriarcales et homophobes.

 

De différentes manières, il a mis en cause la possibilité de l’avortement légal et assisté; il a empêché l’expérimentation de l’avortement pharmacologique, une loi horrible, qui convertit en sujet de droit l’embryon dès le moment même de sa conception, a été approuvée; souvent de manière agressive et raciste, une opposition très dure s’est manifestée contre toute forme de reconnaissance des couples gays et lesbiennes. Ces derniers jours, les vicissitudes de Piergiorgio Welby (un malade de distrophie musculaire en phase terminale) ont pris fin, grâce à l’acte de désobéissance civile d’un médecin.

 

Durant des mois, Welby a demandé l’arrêt de la machine qui l’obligeait à une douloureuse survie et lui aurait imposé à court terme une mort encore plus douloureuse. Sa demande est devenu un cas politique retentissant, où la bureaucratie vaticane a exercé toute sa capacité de pression et d’intimidation sur les juges et les médecins.

 

L’intégrisme catholique (comme du reste tous les autres intégrismes) ne représente pas seulement une menace pour les femmes et pour les homosexuel-le-s, mais aussi pour tout processus de libération, bien au-delà des envolées humanitaires et pacifistes de l’action politique de la hiérarchie ecclésiastique. Celle-ci a pris position contre la guerre, mais a avalisé ensuite l’idée de la «mission de paix» de l’armée italienne. Elle soutient la nécessité d’accueillir les immigrant-e-s, mais appuie ensuite les gouvernements de la droite autoritaire et leurs lois discriminatoires et répressives à l’encontre des migrante-s.

 

On ne peut pas oublier non plus que l’Eglise catholique a été l’une des institutions qui ont favorisé l’ascension du fascisme, dont elle a été ensuite l’un des piliers durant 20 ans. Evidemment, la paix, l’accueil et la démocratie sont pour le clergé catholique des préoccupations bien moindres que celles qui le poussent à privilégier ses relations avec la droite, c’est-à-dire le contrôle de la vie quotidienne non seulement des fidèles, mais de tout le pays, sur lequel elle souhaite exercer son pouvoir temporel.  Durant ces dernières années, le mouvement féministe et le mouvement queer ont été les uniques protagonistes de la résistance à l’intégrisme catholique.

 

En ce qui concerne le féminisme, longtemps il s’agissait d’une résistance faible, due à sa désorientation. Au moment le plus délicat, lorsque le gouvernement de la droite a commencé à préparer, et ultérieurement accepter, la loi sur les techniques de reproduction, des organisations et des groupes féministes se sont enfermés dans une discussion marqués par la pression des arguments les plus sophistiqués des catholiques et les préoccupations relatives à des aspects inquiétants de la recherche scientifique. Le fantasme du scientifique créateur de Frankenstein, les craintes archaïques de perte du pouvoir féminin sur la reproduction, les inquiétudes fondées sur les limites de la recherche scientifique ou sur le rôle des multinationales dans le trafic d’embryons se sont entremêlés, constituant un frein à toute initiative afin d’intervenir dans les débats sur ces thèmes.

 

C’est aussi pour cela que le référendum pour l’annulation de cette loi a été perdu. Deux raisons y ont concouru. La première a été la très faible participation au vote, qui n’a pas permis de réunir le quorum nécessaire: la matière traitée était complexe et l’expérience directe (contrairement à l’avortement) concernait un nombre très limité de personnes. La seconde, c’est que si le référendum sur la loi dépénalisant l’avortement durant les trois premiers mois de grossesse reposait sur un travail mené depuis des années et sur des arguments enracinés en faveur de l’autodétermination des femmes, le référendum concernant la loi sur les techniques de reproduction avait été décidé dans les quelques mois précédant le vote. Dans ce contexte, les médias pouvaient imposer leur point de vue.

 

Des attaques directes tardives contre la possibilité de l’avortement légal — dont on pouvait déceler la nature misogyne et répressive — ont remis en route le mouvement des femmes et, en janvier 2006, une manifestation de centaines de milliers de femmes à Milan a constitué une réponse efficace. Le même jour, à Rome, les principales organisations du mouvement LGBTQ (lesbiennes, gays, bissexuelles, transsexuel-le-s et queer) ont manifesté en faveur du PACS. Dans l’ensemble, 2006 a été une année de manifestations, d’initiatives et de luttes sur des thèmes en rapport avec la laïcité et l’autodétermination.

 

La défense des droits des travailleuses

 

Paradoxalement, les défaites des salarié-e-s et la globalisation ont ouvert de nouvelles possibilités d’emplois aux femmes. Néanmoins, il ne s’agit pas d’un paradoxe, mais de quelque chose de partiellement déjà vu dans l’histoire des rapports de classe.

 

Dans les économies qui affrontent pour la première fois le marché mondial, on a préféré les femmes, parce que ces économies reposaient sur la production intensive de la force de travail et qu’elles bénéficiaient de bas salaires, de restrictions à l’organisation syndicale et d’une grave absence de droits. En Europe aussi, un mouvement ouvrier faible a dû affronter, de son côté, le problème de la concurrence féminine par rapport à la force de travail masculine, et ce phénomène explique du moins en partie les aspects misogynes du mouvement ouvrier à ses origines. La défense des travailleuses a aussi eu pour mobile de réduire l’intérêt patronal à embaucher des femmes.

 

On préfère les femmes dans les économies des pays les plus développés, lorsque la composante des services s’est développée et que les droits des salariés ont connu des restrictions drastiques, surtout grâce aux processus moléculaires et élargis de précarisation.

 

L’autre face de la médaille, c’est que la précarité qui touche l’ensemble du travail salarié préfère les femmes, pour qui la stabilité du poste de travail paraît être devenu quasiment impossible. Les lois pour la protection de la maternité agissent dans ce contexte comme une forte pression sur les contrats à durée indéterminée: dans une dynamique de carrières toujours plus compétitives, les femmes sont destinées à rester au second plan ou à devoir choisir entre carrière et maternité. A vrai dire, dans la majorité des cas, le choix de la profession peut se révéler impossible, bien au-delà des projets personnels de vie, parce qu’être en âge de fécondité pour une femme représente en tout cas un obstacle dans la possibilité de cooptation ou d’engagement stable.

 

De plus, il existe une crise dans des débouchés professionnels — comme l’enseignement qui garantissaient des salaires modestes, mais des horaires de travail et des droits compatibles avec les choix de vie de la majorité des femmes.

 

Face à des problèmes de cette nature, le féminisme s’est trouvé par le passé devant le choix de demander des droits spécifiques en faveur des femmes, avec le risque d’augmenter les difficultés d’engagement, ou de renoncer à ces droits, source tôt ou tard de contradictions insolubles.

 

La question ne peut se résoudre seulement d’un point de vue de genre. Les lois rendent plus difficiles l’engagement lorsque les rapports sociaux sont défavorables aux classes subalternes: ce n’est pas par hasard si le fascisme a été un défenseur convaincu de la maternité. Les lois qui permettent aux femmes de concilier le travail avec une existence distincte de celle des hommes ne suffisent pas, il est nécessaire d’imposer aussi des types de contrats qui rendent la discrimination impossible. En Italie, durant les années 1970, une réforme de l’emploi de courte durée obligeait le patronat à engager dans les fabriques davantage de femmes que ce qu’il aurait désiré. Mais beaucoup d’autres mesures sont possibles.

 

A propos des droits, il est aussi nécessaire de changer d’optique et de philosophie. On devrait revendiquer le moins possible des droits spécifiques pour les femmes et demander en échange que la mesure de l’égalité soit féminine et non masculine. Selon cette optique, nous avons rejeté la norme européenne qui dérogeait à l’interdiction du travail nocturne pour les femmes, en demandant qu’elle soit étendue aux hommes, sauf dans les cas exceptionnels où le travail de nuit est absolument indispensable. De même, dans les cas des retraites anticipées pour les femmes, nous préférons revendiquer des années sabbatiques pour les tâches d’éducation auxquelles pourraient se vouer aussi bien des femmes que des hommes, tout comme nous préférerions des congés maternité-paternité pour les mères et pour les pères.

 

Evidemment, ce critère n’est pas opérationnel lorsqu’il viole la différence irréductible du corps. Parmi les droits propres des femmes, figurent par exemple les congés pour grossesses et accouchements sans perte de salaire, la possibilité de l’avortement libre et gratuit, l’accès des femmes âgées aux techniques de reproduction assistée.

 

Dans ce cas, la différence doit fonctionner totalement. On ne peut soutenir l’égalité des droits des hommes à décider, parce que les corps et les vies des femmes sont les seuls engagés et bouleversés.

 

 

Publié dans le Cahier Emancipations du journal SolidaritéS (Suisse) n°103

Traduction de Hans-Peter Renk d’après la version espagnole publiée par la revue Viento Sur (http://www.vientosur.info). Coupures de la rédaction.

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